Mise à jour 9 juillet 2020 La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, a annoncé certains changements au Programme d’expérience québécoise (PEQ). Il est notamment question d’une mesure transitoire permettant aux étudiant.es étranger.es qui obtiendront leur diplôme avant le 31 décembre 2020, ainsi qu’aux diplômés admissibles à l’ancien programme, de présenter une demande de CSQ en fonction des conditions de l’ancien PEQ. Les nouvelles demandes soumises avant le 22 juillet 2020 seront aussi traitées selon les anciens règles. Sous le nouveau PEQ, les exigences de travail à temps plein seront réduits pour les personnes détentrices des diplômes d’études professionnelles (DEP) (18 mois plutôt que deux ans) et pour les travailleurs temporaires qualifiés (deux ans plutôt que trois ans). Le règlement modifié entrera en vigueur le 22 juillet. Selon la ministre, ces modifications permettront d’alléger les démarches administratives pour les travailleurs et les employeurs, tout en permettant d’assurer une intégration réussie à la société québécoise. Elle a souligné que le règlement qui entrera en vigueur le 22 juillet serait la version finale du nouveau PEQ. .

Avant son départ pour Montréal, il y quatre ans, Carla savait qu’avec le Programme d’expérience québécoise (PEQ), elle pouvait faire sa demande de résidence permanente un an après la fin de ses études, peu importe, le genre de travail qu’elle arrivait à décrocher, ce qui accroîtrait ses chances de pouvoir bâtir sa vie au Canada et de contribuer au soutien de sa famille laissée au Pérou. Or, ses plans sont maintenant chamboulés, et pas seulement par la COVID-19.

D’abord, en novembre dernier, l’ancien ministre provincial de l’immigration Simon Jolin-Barrette avait apporté des changements au PEQ, limitant l’accès au programme à un nombre très restreint de métiers. Devant le désarroi du milieu syndical, patronal et académique, il a été obligé de rebrousser chemin. Pourtant, à la fin mai, en pleine pandémie, il est revenu à la charge avec une autre réforme. Elle prévoyait inclure une plus grande gamme de professions, en exigeant néanmoins 12 mois de travail qualifié à temps plein à tout.e diplômé.e faisant une demande de Certificat de sélection du Québec (CSQ). Ni le travail peu qualifié (comme un poste de préposé aux bénéficiaires ou un emploi temporaire de cuisinier ou caissier) ni le travail autonome ne pourra plus être compté dans le calcul des 12 mois. Pour les détenteurs d’un diplôme d’études professionnelles, il faudra avoir plutôt 24 mois d’expérience.

«Ça m’a crevé le cœur quand ils ont changé les règles du jour au lendemain, et ça n’a pas aidé ma famille que a investi des dizaines de milliers de dollars dans mon éducation.»

En théorie, les diplômé.es, qu’ils détiennent un DEP ou un diplôme universitaire, ont accès à un permis de travail post-diplôme du gouvernement fédéral d’une durée de trois ans. Par ailleurs, pour faire une demande de résidence permanente, ils doivent entamer la demande avant l’expiration du permis temporaire, et afin d’entamer la demande, ils doivent déjà être en possession du CSQ, qui prend plusieurs mois à obtenir.

Compte tenu du contexte économique, des milliers d’étudiant.es et diplômé.es, comme Carla, craignent qu’ils ne puissent pas cumuler à temps les heures de travail nécessaires. Ils déplorent aussi qu’il n’y ait pas de clause des droits acquis pour les diplômé.es qui ont planifié plusieurs années de leur vie en fonction des anciennes règles.

«C’est une grosse charge mentale»

«L’Université McGill, c’est l’une des meilleures universités au monde, et c’était une opportunité incroyable de venir vivre ici,» dit Carla, qui a appris le français et commencé à faire du bénévolat. «Faire ma vie ici, c’était un rêve.»

Un rêve qui a viré au cauchemar quand on a modifié les paramètres du PEQ. «C’est un stress constant. Ça m’a crevé le cœur quand ils ont changé les règles du jour au lendemain, et ça n’a pas aidé ma famille que a investi des dizaines de milliers de dollars dans mon éducation. C’est déjà assez difficile de trouver du travail compte tenu du contexte de la pandémie. Ce n’est pas croyable qu’ils aient fait cela au milieu d’une crise.»

Carla Trigoso fait partie du mouvement Le Québec, C’est Nous Aussi, une alliance d’étudiants, de diplômés et de travailleurs temporaires mis sur pied pour contester la réforme du programme. Claire Launay, diplômée et résidente permanente originaire de France, est une des porte-paroles du mouvement. «Avec cette réforme, on crée deux catégories de travailleurs, les « moins qualifiés » qui sont hors d’options, même s’ils travaillent dans les secteurs qu’on appelle essentiels, et les « qualifiés » qui font face à une attente plus longue et à la nécessité de travailler dans un domaine précis,» dit-elle. Il y aurait 15 000 étudiants, diplômés et travailleurs au Québec qui sont visés par la réforme.

«Il y a des nuits où je ne dors pas. C’est trop d’anxiété, alors je quitte.»

«La réforme de novembre était clairement un fiasco, mais ces nouveaux critères sont si stricts qu’ils sont dissuasifs,» dit Claire Launay. «Il y a des organismes à l’étranger qui disent aux étudiants de ne pas aller au Québec, que c’est trop compliqué.»

Le mouvement a trouvé des appuis dans le milieu syndical ainsi qu’au sein de Québec solidaire et du Parti libéral, qui a introduit le PEQ en 2010. La députée libérale Kathleen Weil, ancienne ministre de l’Immigration, déplore le démantèlement d’un des programmes phares de son parti. Tout comme Claire Launay, elle s’inquiète que des jeunes immigrants qualifiés soient obligés de quitter la province: «Le Québec a besoin de ces talents. On a une population qui vieillit et… nous sommes en compétition avec le monde pour attirer ces talents. La CAQ [ne voit pas] à quel point le Québec a besoin d’immigration.»

En effet, plusieurs personnes rencontrées à la dernière manifestation du mouvement Le Québec, C’est Nous Aussi comptaient s’installer dans d’autres provinces, où, avec le programme Entrée Express, l’obtention de la résidence permanente peut prendre moins d’un an.

Sandrine Mounier, une architecte de formation originaire de France, a décidé de plier bagage malgré ses six ans passés au Québec. «C’est une grosse charge mentale – chaque fois que ton permis de travail temporaire expire, tu as une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de ta tête. Si je faisais un postdoc, comme je le souhaite, j’aurais deux ans d’études et un an de travail avant d’entamer plus de deux ans de démarches pour la résidence permanente. Il y a des nuits où je ne dors pas. C’est trop d’anxiété, alors je quitte.»

Plusieurs personnes ont aussi mis de l’emphase sur le fait que les frais de scolarité payés par les étudiants étrangers s’élèvent parfois à jusqu’à cinq fois les frais payés par les étudiants québécois.

«On paye et ils nous virent,» résume Karim Achour, frustré. Sa famille a dû vendre des terrains et une auto pour payer son DEC. Algérien d’origine, informaticien en formation de 20 ans, il craint de ne pas pouvoir remplir les critères à temps. «Je suis venu ici en pensant que les [anciennes] règles du PEQ s’appliqueraient à moi,» dit-il. «Je me sens chez moi ici. Si rien ne change, j’irai peut-être à Ottawa… mais ce serait comme être obligé de partir de chez moi une deuxième fois.»

Selon Émilie Vézina, porte-parole du Ministère de l’Immigration, de la francisation et de l’intégration, les réformes visent à sélectionner «des personnes dont l’intégration au marché du travail serait assurée à moyen et long terme.» À la sortie de la crise sanitaire, selon elle, «il sera alors encore plus important que la main-d’œuvre, notamment celle issue de l’immigration, détient les compétences nécessaires pour assurer et relancer l’économie.»

Fin juin, les membres du mouvement Le Québec, C’est Nous Aussi ont déposé au bureau montréalais du premier ministre François Legault une boite de lettres destinées à lui et à la ministre de l’Immigration, Nadine Girault. Il reste à voir s’ils les liront.