Même si ça ne fait qu’à peine deux semaines que j’ai délaissé le craquelant bitume montréalais pour les verdoyantes terres salines du Bas-Saint-Laurent, ça faisait déjà de nombreuses années que je ressentais déjà la nécessité d’un processus de reconnexion avec les racines du terroir québécois.

Une reconnexion d’abord physique – nous nous sommes finalement installés dans une jolie fermette de deux hectares, située sur un coteau qui surplombe les terres aux abords du fleuve. Chaque caresse de brise qui vient nous flatter le visage transporte avec elle la douce odeur de l’eau salée, chaque regard vers l’ouest nous fait grâce d’une magnifique vue, même partielle, sur la majesté d’un des plus beaux paysages sur Terre.

Image d’Épinal? Peut-être. Tant pis.

Mais surtout, j’ai l’impression d’amorcer une communion métaphysique avec le territoire. Comme si le choix d’aller occuper cette terre, loin du cosmopolitisme propre aux grandes métropoles terriennes du 21e siècle, me ramenait à quelque chose qui m’avait échappé il y a déjà longtemps. Comme si, en cette ère de grands bouleversements climatiques, j’avais finalement ressenti le besoin inconscient de retourner à un essentiel qui, simultanément, me ramène aux sources et transcende ma condition de simple descendant d’un jeune officier du régiment de Carignan-Salières qui avait quitté son Carcassonne natal pour venir « mater les Iroquois » et sécuriser le commerce de la fourrure au bénéfice de la Compagnie des Cent-Associés.

N’y a-t-il pas là, d’ailleurs, un parallèle entre l’aventure du lieutenant Jean-Pierre Forgues et celle de son descendant parti, lui, faire un peu la même chose en Afghanistan plus de trois siècles plus tard?

C’est dans cet esprit que j’ai lu, sur Facebook, un statut de la chanteuse inuk Elisapie Isaac dans lequel elle nous rappelle les douleurs vécues par les Premiers Peuples et les Inuit depuis l’avènement de la Nouvelle-France.
« J’ai dévoré Leclerc, suis tombée en amour avec la poésie de Desjardins et les chansons de Leloup », écrit-elle.

J’ai même flirté avec le trad. Pourquoi est-ce que aujourd’hui je me sens plus proche d’une Kim Thuy ou d’un Dany Laferrière? Pourquoi ai-je le sentiment de venir d’ailleurs. D’être une déracinée chez moi. »
– Elisapie Isaac

Et c’est le long de cette immense balafre toujours ouverte que s’effondre l’espoir d’un réel Québec libre, affranchi de son passé, conscient de son présent et visionnaire de son avenir.

C’est au pied de cette colline encore occupée par les forces obscures du néo-colonialisme canadien et du reste de l’empire anglo-saxon que les nationalistes ont plutôt choisi de mourir quitte à se saborder plutôt que de solliciter des renforts de son flanc gauche ou de son arrière-garde composée d’hommes et de femmes venus d’ailleurs et qui ont, pour beaucoup, justement fui l’oppression dans leurs terres natales.

C’est en refusant de la transformer en combat des temps modernes au nom d’une justice et d’une égalité universelles fondés sur des droits humains fondamentaux que les nationalistes tuent à petit feu la lutte indépendantiste soit au profit d’une vision dépassée de la société québécoise ou, pire, de la fausse nostalgie d’une époque heureusement révolue qui évoque trop souvent l’adage « Travail, Famille, Patrie ».

C’est en rejetant du revers d’une main dans laquelle ils ont aussi craché leur venin l’héritage révolutionnaire des pionniers et des pionnières de la lutte indépendantiste, ceux et celles qui luttaient en solidarité avec les grandes mouvances de libération, de l’Irlande à la Palestine en passant par le Maghreb et les militants Noirs américains, qu’ils étouffent les braises de la révolte.

C’est en réveillant, du même coup, les vieux fantômes du duplessisme et du Péril rouge qu’ils cherchent à réaffirmer la suprématie des descendants canadiens-français, à reproduire la mentalité de colonisateur conquérant.

Ne saisissent-ils pourtant pas l’ironie de chercher à s’affranchir d’une oppression tout en plaçant un joug de plomb au cou non seulement de Québécois issus de l’immigration, mais aussi de ceux et celles dont les aïeux furent les premiers à habiter le territoire? Ne sommes-nous pas d’ailleurs des colonisateurs conquis? Le racisme systémique gangrène la société. Ai-je osé dire « systémique »? Oui. Parce que les systèmes d’oppression ne s’annoncent pas toujours à coups de clairons et de bruit de semelles des bottes cavalières battant le sol au pas de l’oie. Parce qu’il s’exprime à-travers des comportements profondément gravés dans la conscience collective.

Le racisme systémique gangrène la société. Ai-je osé dire « systémique »? Oui. Parce que les systèmes d’oppression ne s’annoncent pas toujours à coups de clairons et de bruit de semelles des bottes cavalières battant le sol au pas de l’oie. Parce qu’il s’exprime à-travers des comportements profondément gravés dans la conscience collective.

Ne voient-ils pas de paradoxe à vouloir libérer un territoire pour mieux en livrer les ressources à rabais à l’étranger? À vouloir demeurer dans le giron impérial anglo-saxon à-travers l’OTAN?
Pourquoi, au nom d’une supposée unité dans la lutte contre le fédéralisme canadien, les nationalistes conservateurs devraient-ils demeurer les chefs de file d’un combat dont ils ont perdu toute perspective?

Plus que jamais, alors que les feux de la colère se rallument sur le bûcher du racisme et du colonialisme, nous, indépendantistes, devons impérativement repenser notre lutte, amorcée il y a un demi-siècle par de jeunes intellectuels et intellectuelles militants.

Ils et elles s’appelaient Bourgault, Vallières, Aquin, Vadeboncoeur, Godin, mais aussi Andrée Ferretti, Michèle Lalonde, Pauline Julien. Ils et elles militaient au RIN, mais aussi au sein du FLQ et du Front de libération des femmes.

Aujourd’hui, pourquoi ne pas convier aussi ceux et celles qui, depuis des générations, sont venus ici pour devenir Québécois? Pourquoi les abandonner à la propagande de l’État canadien et de son progressisme de façade?

Pourquoi ne pas nous joindre aux Premières Nations pour partager avec eux, entre humains égaux, la richesse de ce nouveau pays?

Un tel renouveau devra nécessairement passer par une profonde remise en question, que refuseront certainement les nationalistes les plus ardents.

Tant pis pour eux, mais accueillons ceux qui verront là la voie de salut de cette lutte encore pertinente puisque jamais gagnée.

Pour citer à nouveau Elisapie, « Le territoire nous unit et probablement la douleur que chacun de nous a vécu ces derniers siècles ». Hannah Arendt disait, pour sa part, que la liberté, c’est l’acte de fonder quelque chose de nouveau.

C’est le moment où jamais de reprendre notre parcours dans la grande marche de l’Histoire.