«Je veux éviter de faire un débat de mots, et de faire le procès des Québécois. La majorité des Québécois ne sont pas racistes.»
Telle était la réponse de François Legault en conférence de presse le 8 juin dernier , questionné sur le racisme systémique au Québec.
Son déni du racisme systémique ne date pas d’hier. En 2017, au lendemain de l’attentat de Québec, François Legault alors dans l’opposition avait affirmé qu’il n’y avait «pas de courant islamophobe au Québec, mais plutôt un contexte malsain causé par l’absence d’encadrement des accommodements religieux». Malgré que l’attentat ait été perpétré dans une mosquée et que le tueur visait directement des musulmans, François Legault refusait de nommer un chat un chat.
Aujourd’hui premier ministre, il répète qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec, malgré la quantité d’études qui sont publiées sur le sujet, malgré les nombreux témoignages des personnes racisées (de toute évidence inaudibles pour M. Legault), malgré tous ces reportages et publications sur les réseaux sociaux, en passant par des rapports de la Commission des droits de la personne. Or, on le sait, le déni du racisme systémique, tout comme le déni l’islamophobie, est une réalité qui participe à la difficulté d’avancer collectivement sur ces enjeux sociaux d’importance.
Le premier ministre n’est pas l’unique responsable, il représente la majorité de la population, son électorat est d’accord avec lui. Lorsqu’on aborde des enjeux du racisme, plusieurs aiment se comparer aux autres pour se redorer le blason. Tel que l’illustre le chercheur Paul Eid dans La Tribune le 2 juin dernier : «J’ai animé plusieurs conférences sur le sujet, et il y a une question qui revient toujours : “mais, au Québec, est-ce que c’est pire qu’ailleurs ?” C’est une façon de protéger son image, mais ça a aussi comme effet collatéral de minimiser le fait qu’il y a du racisme ici comme ailleurs.»
Est-ce plus difficile pour les Québécois et les Québécoises «de souche» de se regarder dans le miroir et admettre leurs torts? Attention il ne faudrait surtout pas faire de Quebec bashing, sacrilège! (En passant, on peut très bien s’insurger contre le Quebec Bashing tout en reconnaissant l’existence du racisme systémique au Québec.) Reconnaître ce problème n’implique pas qu’on rejette notre culture et nos traditions ni que nous sommes en train de nous traiter de nazis. N’avons-nous à ce point aucune confiance en nous?
Nationalistes contre fédéralistes
Au Québec, on le sait, s’ajoute la particularité que nous avons été historiquement un peuple opprimé, et que le Québec a du mal à se penser à la fois comme colonisé et colonisateur. Le fait d’admettre l’existence d’un racisme systémique nous ferait perdre le monopole de l’opprimé, que certains semblent vouloir conserver jalousement. Ou encore, que sais-je, cet aveu détournerait le débat du vrai coupable : l’impérialisme anglais. Certains nationalistes vont jusqu’à accuser les antiracistes de faire le jeu des fédéralistes et du multiculturalisme canadiens. Comment se sortir de cette impasse?
Le racisme est présent au Québec tout comme dans le reste du Canada. Cette manie d’instrumentaliser la lutte antiraciste à des fins politiques, que ce soit du côté nationaliste ou fédéraliste, est dans les deux cas tout simplement abject. À propos, autant l’interculturalisme québécois que le multiculturalisme canadien peuvent être utilisés comme vernis pour camoufler des réalités dérangeantes, comme les nombreuses discriminations dont sont victimes les personnes racisées à travers le Canada. Il existe toute une littérature critique en sociologie qui démontre que, sous des attraits inclusifs, ces modèles reproduisent aussi l’effacement des réalités autochtones.
Un examen de conscience qui gène
Le même débat s’est joué en 2017, lorsque le gouvernement libéral mettait sur pied un comité-conseil dans le cadre d’une consultation sur le racisme et la discrimination systémique. Notamment, le chef du Parti Québécois Jean-François Lisée s’était insurgé qu’une telle commission ne soit en réalité rien d’autre que le procès des Québécois, un «procès en racisme qui va être organisé par l’État québécois contre les Québécois».
Will Prosper lui rétorquait dans La Presse : «La sensibilité des gens à l’effet d’être perçus comme racistes semble plus importante que le tort causé par le racisme systémique». C’est bien là le nœud du problème.
L’expression «racisme systémique» dérangeait tellement que la consultation a fini par changer de nom et de mandat. En octobre 2017, il s’agissait désormais du Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination, dont la démarche était principalement axée sur les questions d’immigration, d’emploi et de francisation. Le paradigme de la diversité, bien moins menaçant que celui de l’antiracisme, contribue toutefois aux discriminations dont sont victimes les personnes racisées, en faisant silence sur celles-ci.
Émilie Nicolas, qui avait milité pour cette consultation depuis le début, avait réagi sur Facebook :
«Pour ma part, je ne suis pas surprise du changement de cap du gouvernement qui retourne à ses bonnes vieilles habitudes de refuser de parler de racisme. Ce qui m’avait surprise le plus, c’est plutôt que le gouvernement avait accepté de s’asseoir avec des gens de la société civile pour discuter de comment éventuellement peut-être agir contre le racisme.»
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, alors sous la présidence de Me Tamara Thermitus, qui était la première femme noire a exercé cette fonction, avait diffusé ce communiqué : «la Commission considère essentiel de poursuivre l’analyse des impacts de ces diverses problématiques notamment sur les personnes racisées, dont celles nées au Québec». On vient tout juste d’apprendre dans La Presse que tout de suite après la diffusion de ce communiqué, Me Tamara Thermitus a été obligée de démissionner de la Commission. Je vous invite à lire son texte ici. J’ai l’impression qu’on n’a pas fini d’en entendre parler.
Le privilège de l’ignorance
Le Québec n’a rien voulu savoir de cet examen de conscience, comme si on avait eu peur, au fond, de voir ce qu’on aurait pu y découvrir. Que pourrait-il arriver de si grave si on prenait le temps de tendre l’oreille et d’écouter les témoignages des Québécois-es racisées? Quelle est leur expérience du racisme quotidien au Québec aujourd’hui?
Évidemment en tant que personne blanche, on ne saisira jamais l’ampleur de l’expérience du racisme au quotidien. Nous avons le privilège de pouvoir détourner le regard, la première étape est donc de regarder la vérité en face et de s’éduquer soi-même.
Qu’est-ce que ça fait d’être racisé et de grandir au Québec, à quel moment de leur vie ces Québécois et Québécoises comprennent qu’ils et elles sont perçu-es comme différent-es, et comment naviguent-iles et elles à travers ce système? Une partie de ces réponses se trouve dans le très bon documentaire «Briser le code» sur Télé-Québec, dont l’avocat et entrepreneur social Fabrice Vil est l’un des instigateurs.
James Balwin écrivait en 1962 : tout ce que les Blancs ignorent des Noirs révèlent précisément et inexorablement ce qu’ils ignorent à propos d’eux-mêmes. En écoutant et en nous éduquant, nous ne saurons jamais exactement ce que ça fait d’être une personne racisée. Mais nous devrons faire face au fait que c’est nous, les Blancs, qui racisons les personnes de couleurs. Ce sont nos gestes, nos préjugés, nos mots, nos blagues qui blessent. Ce sont nos profs qui créent des malaises, nos familles qui excluent, nos supérieurs qui discriminent, nos polices qui brutalisent.
Sauver notre image
C’est peut-être un des obstacles majeurs dans la lutte au racisme systémique, tout comme pour d’autres formes d’oppression : la fragilité de l’ego, ce malaise, d’aller creuser au fond de soi, qui nous empêche de reconnaître nos torts et d’avancer, tant au niveau personnel que collectif.
Le déni, ou le fait de minimiser le problème, le tourner en dérision ou encore de retourner le blâme sur l’autre, sont toutes des stratégies pour éviter de vivre des émotions négatives, telles que la culpabilité ou la honte. (En thérapie on apprend justement à vivre ces émotions, s’asseoir avec, les accueillir et les accepter. C’est la seule façon de faire une véritable introspection et de progresser.)
Fabrice Vil avance aussi que la peur est un obstacle de taille à la reconnaissance du problème. «Je fais l’hypothèse que certaines personnes ont la crainte profonde de disparaître, littéralement, en voyant l’émergence d’un pluralisme revendiquant le respect de ses droits», écrit-il dans une publication Facebook. «Ça doit être désagréable à vivre, et générer des réactions qui tendent à résister à ce pluralisme.»
«L’évolution tranquille»
On peut se réjouir que le discours du premier ministre ait monté d’un cran cette semaine. Même s’il ne reconnaît pas l’existence d’un «racisme systémique», il a toutefois affirmé que le racisme est un «mal qui gruge notre société». Soixante ans après la Révolution tranquille, il a avancé que le Québec était prêt pour une «évolution tranquille». Ce clin d’œil au récit national n’est pas anodin, et semble être une autre stratégie pour essayer de se redorer le blason.
On aime bien se raconter que les gains issus de la Révolution tranquille se sont faits dans l’harmonie, que les hommes et les femmes ont marché main dans la main pour l’égalité entre les sexes, que les mégas projets de barrage d’Hydro-Québec n’ont pas été des saccages pour l’environnement, que les Premières Nations n’ont pas été lésées, et ainsi de suite. On aime bien se raconter aujourd’hui que l’on est une des Nations les plus accueillantes du monde.
Mais tant que nous n’aurons pas pris la mesure de l’ampleur du problème, et tant que nous n’accepterons pas le malaise qui vient avec, on s’enfargera dans les mêmes débats, les mêmes réactions, et on fera du surplace. Le paradigme de la diversité doit laisser place à celui de l’antiracisme, et ce dans toutes nos institutions, en commençant par notre éducation nationale qui est toujours centrée sur la réalité du majoritaire**. Il est temps de cesser d’alimenter cette image de soi idéalisé, et accepter cette idée choquante qu’on n’est pas parfait et qu’on a encore du chemin à faire.