La crise déclenchée par le coronavirus a déjà mis en évidence de nombreuses faiblesses de notre économie capitaliste obsédée par la croissance : insécurité pour beaucoup, systèmes de santé affaiblis par des années d’austérité et valorisation insuffisante de certaines professions parmi les plus essentielles. Ce système, fondé sur l’exploitation des personnes et de la nature, particulièrement enclin aux crises, a néanmoins été considéré comme normal. Certes, l’économie mondiale produit plus que jamais, mais elle ne prend pas soin des humains et de la planète. Bien au contraire, les richesses y sont thésaurisées et la planète ravagée. Des millions d’enfants meurent chaque année de causes évitables, 820 millions de personnes sont sous-alimentées, la biodiversité et les écosystèmes ne cessent de se dégrader et, parallèlement, les gaz à effet de serre continuent de monter en flèche. Ces dernières conséquences de nos activités économiques sont les principaux vecteurs du violent changement climatique anthropique : élévation du niveau des mers, tempêtes dévastatrices, sécheresses et incendies dévorant des régions entières.

Contrairement à ce qui s’est passé après la crise financière de 2008, nous devons sauver les gens et la planète plutôt que de renflouer les entreprises, et sortir de cette crise par la suffisance plutôt que par l’austérité.

Pendant des décennies, les stratégies dominantes contre ces maux ont reposé sur des mythes : la distribution économique est gérée par les forces de marchés pour le bien commun, le découplage et la croissance verte permettent une croissance économique perpétuelle tout en atténuant la dégradation écologique. L’échec de ces théories est criant. Nous avons maintenant l’occasion de nous appuyer sur les expériences positives accompagnant la crise du coronavirus. La floraison de nouvelles formes de coopération et de solidarité, la reconnaissance généralisée des services sociaux élémentaires tels que la santé, le soin, l’approvisionnement alimentaire et la collecte des déchets sont autant d’avancées à souligner. La pandémie a également entraîné des actions gouvernementales sans précédent en temps de paix moderne. Cela démontre que le changement est possible lorsque la volonté d’agir est présente. On constate des mesures telles que : le remaniement incontestable des budgets, la mobilisation et la redistribution des fonds monétaires, l’expansion rapide des systèmes de sécurité sociale et la mise à disposition de logements pour les sans-abri.

Il faut néanmoins rester vigilants face aux tendances autoritaires qui se développent. En effet, on constate notamment la généralisation de l’utilisation de la surveillance de masse et des technologies invasives, la fermeture des frontières, les restrictions sur certains droits fondamentaux tel que celui de se réunir et l’exploitation de la crise par le capitalisme de catastrophe. Nous devons résister fermement à de telles dynamiques, et même aller au delà. Pour amorcer une transition vers un type de société radicalement différent, plutôt que d’essayer désespérément de remettre en marche la machine de croissance destructrice, nous suggérons de s’appuyer sur les leçons du passé et sur les initiatives sociales et de solidarité qui ont germées dans le monde ces derniers mois. Contrairement à ce qui s’est passé après la crise financière de 2008, nous devons sauver les gens et la planète plutôt que de renflouer les entreprises, et sortir de cette crise par la suffisance plutôt que par l’austérité.

Nous, les signataires de cette lettre, proposons donc cinq principes pour la reprise de notre économie et la création d’une société juste. Pour développer de nouveaux fondements pour une économie qui fonctionne pour toutes et tous, nous devons :

1) Mettre la vie au centre de nos systèmes économiques.

Au lieu de privilégier la croissance économique et une production hautement coûteuse en ressources, nous devons placer la vie et le bien-être au centre de nos efforts. Si certains secteurs de l’économie, comme la production de combustibles fossiles, l’armée et la publicité, doivent êtres évincés au plus vite, il nous faut en favoriser d’autres tels que la santé, l’éducation, les énergies renouvelables et l’agriculture écologique.

2) Réévaluer radicalement les modalités du travail (quantité, type, etc.) nécessaire pour une vie bonne pour tous et toutes.

Nous devons davantage accentuer l’importance du travail de soins aux personnes et valoriser de manière adéquate les professions qui se sont avérées essentielles durant la crise. Les travailleurs des industries destructrices doivent avoir accès à des formations pour un nouveau type de travail, celui-ci régénérateur et plus propre, garantissant une transition juste. Dans l’ensemble, nous devons réduire le temps de travail moyen et introduire des programmes de partage du travail.

3) Organiser la société autour de l’approvisionnement en biens et services essentiels.

Bien que nous devions réduire le gaspillage en matière de consommation et de déplacement, les besoins humains fondamentaux, tels que le droit à l’alimentation, au logement et à l’éducation, doivent être garantis pour tous via des services de base ou via des systèmes de revenu de base universels. En outre, un revenu minimum couplé à un revenu maximum doit être défini et introduit démocratiquement.

4) Démocratiser la société.

Cela signifie permettre à toutes et tous de participer aux décisions qui affectent leur vie, via notamment une plus grande participation des groupes sociaux marginalisés ainsi qu’à travers l’intégration des principes féministes dans la politique et dans le système économique. Le pouvoir des grands groupes internationaux et du secteur financier doit être drastiquement réduit par le biais d’une approbation et d’un contrôle démocratique. Les secteurs liés aux besoins fondamentaux comme l’énergie, l’alimentation, le logement, la santé et l’éducation doivent être démarchandisés et définanciarisés. L’activité économique fondée sur la coopération, comme les coopératives de travail, doit être encouragée.

5) Baser les systèmes politiques et économiques sur le principe de la solidarité.

La redistribution et la justice – transnationale, intersectorielle et intergénérationnelle – doivent être la base de la réconciliation entre les générations actuelles et futures, entre les groupes sociaux au sein des pays ainsi qu’entre les pays du Sud et du Nord. Les pays du Nord doivent, en outre, mettre fin aux formes actuelles d’exploitation et réparer celles du passé. La justice climatique doit être le principe guidant une transformation socio-économique rapide.

Tant que nous aurons un système économique qui dépend de la croissance, une récession sera dévastatrice. Ce dont le monde a besoin à la place, c’est de la Décroissance – une réduction planifiée mais modulable, durable et équitable de l’économie menant à un avenir où nous pourrons vivre mieux avec moins. La crise actuelle est brutale pour beaucoup, frappant les personnes vulnérables encore plus durement. Cependant, elle nous donne l’occasion de réfléchir. Elle peut nous faire prendre conscience de ce qui est réellement important et a mis en évidence d’innombrables possibilités à partir desquelles nous réinventer. La Décroissance, en tant que mouvement et que concept, a réfléchi à ces questions depuis plus de dix ans et nous offre un cadre cohérent pour repenser la société sur la base d’autres valeurs, telles que la soutenabilité, la solidarité, l’équité, la convivialité, la démocratie directe et la joie de vivre.

Rejoignez-nous dans ces débats et partagez vos idées lors de la Conférence de la Décroissance de Vienne 2020 et la Journée Mondiale de la Décroissance – pour construire ensemble une sortie volontaire et émancipatrice de nos addictions à la croissance!

Solidairement,
Cette lettre ouverte a été initiée par Nathan Barlow, Ekaterina Chertkovskaya, Manuel Grebenjak, Vincent Liegey, François Schneider, Tone Smith, Sam Bliss, Constanza Hepp, Max Hollweg, Christian Kerschner, Andro Rilović, Pierre Smith Khanna, Joëlle Saey-Volckrick des réseaux internationaux de la Décroissance.

Cette lettre est le résultat d’un processus collaboratif au sein du réseau international de décroissance. Il a été signé par plus de 1 000 experts et 66 organisations de XX pays.

Retrouvez la liste des signataires ici.