La pandémie n’est en effet pas contrôlée. Ce report soulève quand même de nombreuses questions que je veux examiner brièvement. Il ne peut être acceptable à mes yeux que si le gouvernement impose le port du masque obligatoire dans les lieux publics .
Regardons ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose comme critères aux pays qui envisagent de lever les restrictions . Parmi ceux-ci: la transmission doit être maîtrisée; le système de santé doit disposer de moyens pour détecter, tester, isoler et traiter chaque cas et pour rechercher chaque contact; et les risques de flambée doivent être réduits autant que possible dans certains lieux particuliers, comme les établissements de santé et les maisons de retraite.
Il serait hasardeux de prétendre que la grande région de Montréal remplit la condition énoncée par le troisième critère, à savoir celui selon lequel les risques de flambée doivent être réduits autant que possible dans certains lieux particuliers, comme les établissements de santé et les maisons de retraite.
En plus de la situation des CHSLD, des quartiers de Montréal sont le théâtre d’une propagation importante (Montréal-Nord, St-Michel). Des hôpitaux comme l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Lakeshore et le Douglas connaissent des éclosions. L’institut de gériatrie de Montréal a lui-même vécu une éclosion. Et surtout, plusieurs hôpitaux montréalais sont déjà presque à pleine capacité .
Le premier critère
Considérons le premier critère voulant que la transmission soit maîtrisée. Pour déterminer si elle l’est, il faut à tout le moins avoir pu en mesurer l’ampleur.
Il semble qu’il faille tester massivement en se basant sur un échantillonage semblable pendant un certain temps avant de prendre la décision de déconfiner. C’est l’opinion d’Eleanor Fish, professeure d’immunologie à l’Université de Toronto, qui estime que les tests doivent être beaucoup plus répandus avant que nous puissions vraiment comprendre l’état de progression de la transmission communautaire.
Le Premier ministre s’en va répétant que nous effectuons au Québec un très grand nombre de tests, mais pour dessiner une courbe de propagation digne de ce nom, il faut pouvoir réaliser à chaque jour un même nombre de tests sur des populations semblables. Or, les quantités de tests ont varié d’une semaine à l’autre et les populations testées ont varié : nous avons tout d’abord testé les voyageurs et leurs proches, puis testé certaines personnes présentant des symptômes et nous testons maintenant surtout le personnel oeuvrant dans les hôpitaux et les CHSLD. Nous disposons aussi de chiffres concernant le nombre d’infections, mais ils sont établis en fonction des tests effectués.
Pouvons-nous donc affirmer hors de tout doute que la courbe de la propagation a cessé d’augmenter et qu’elle a atteint un certain plateau alors que les hospitalisations et les décès ne cessent d’augmenter?
Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, dont les travaux ont contribué à ralentir la propagation du virus Ebola ainsi que du VIH et sont reconnus parmi les 20 découvertes de la décennie selon le National Geographic, affirme ceci : « Il serait présomptueux de prétendre que nous avons un bon contrôle sur l’épidémie au Québec […] Seuls quelques pays peuvent prétendre avoir un excellent contrôle [Singapour, Corée du Sud, Hong Kong, Australie, Nouvelle-Zélande]. Nous ne sommes pas encore là . »
En effet, la propagation n’est pas retombée. Les infections, les hospitalisations et les décès sont encore en hausse. Ainsi, le Québec enregistre depuis quelque temps autour de 800 nouveaux cas d’infections et une centaine de décès à chaque jour.
Supposons quand même que l’on soit capable dans un délai rapproché de mesurer pour Montréal l’ampleur de la propagation du virus et qu’à partir de ces données, on peut conclure que la courbe a de plus en plus tendance à se stabiliser. Les autorités gouvernementales estiment, en effet, que la courbe de propagation a atteint un niveau qu’elles qualifient de « plateau ». Pouvons-nous alors prétendre que nous avons maîtrisé la propagation, ainsi que le recommande le premier critère énoncé par l’OMS?
Le second critère
En fait, tout dépend encore de notre capacité à contrôler ensuite la propagation à l’aide de tests. Il s’agit donc ici de notre capacité à satisfaire le deuxième critère fixé par l’OMS selon lequel le système de santé doit disposer de moyens pour détecter, tester, isoler et traiter chaque cas et pour rechercher chaque contact.
Si nous sommes en mesure d’obtenir rapidement les résultats de tests pendant le déconfinement, on peut rapidement retracer et tester les personnes qui l’ont côtoyée. Si toutes les personnes testées positives sont confinées, on aura rattrapé le point d’aboutissement actuel de la circulation du virus. C’est l’opinion du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, exprimée dans un tweet publié le 15 avril au matin: « L’une des principales choses que nous avons apprises ces derniers mois au sujet du COVID-19 est que plus vite tous les cas sont trouvés, testés, isolés et soignés, plus il est difficile pour le virus de se propager. »
S’agissant des kits habituellement utilisés, le temps qui s’écoule entre la prise de tests et le résultat est beaucoup trop long, selon Alison Thompson, professeure de santé publique à la Faculté de pharmacie à l’Université de Toronto . Cette lenteur permet au virus de se propager sans que nos tests puissent parvenir à rejoindre le point où est rendue la propagation.
Malheureusement, à l’heure actuelle, nous n’avons toujours pas de kits nous permettant d’effectuer des tests avec la rapidité requise. En l’absence d’une telle procédure, la maîtrise de la propagation est-elle encore possible? Peut-être, mais il faudrait alors que la courbe de propagation du virus soit presque totalement aplatie. Quand peu de gens font circuler le virus, on a le loisir de tester toutes les personnes présentant des symptômes et de confiner celles avec lesquelles elles ont été en contact. Puisque peu de personnes sont concernées, cela favorise le contrôle de la propagation dans le contexte d’un déconfinement progressif.
On peut peut-être envisager un déconfinement plus rapide pour la plupart des régions du Québec, mais à la lumière des considérations précédentes, il serait sans doute irresponsable de le proposer dans les prochaines semaines pour la région de Montréal.
Le premier ministre Legault a souvent prétendu qu’il y avait deux Québec : celui des CHSLD de Montréal d’un côté, et le reste du Québec de l’autre. François Legault a aussi tendance à dire que les problèmes se posent surtout pour les personnes de 70 ans et plus. Il est vrai que 95% des décès sont chez les personnes de 70 ans et plus, mais selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSP), « les adultes de moins de 70 ans constituent actuellement 65 % des cas confirmés par laboratoire et environ 35 % des patients hospitalisés. » L’INSP met donc en garde le gouvernement contre un déconfinement hâtif . En outre, même si les décès sont surtout concentrés dans les CHSLD et chez les personnes âgées, cela est peut-être dû au confinement actuel des personnes moins âgées. Dans le contexte d’un déconfinement graduel, un engorgement des hôpitaux pourrait entraîner des complications vécues par des personnes ayant moins de 70 ans.
Et pourtant, il faut bien que les citoyens puissent reprendre leur travail et que les petites et moyennes entreprises se remettent à fonctionner. Comment pouvons-nous nous extraire de cette impasse? Il faut à tout le moins nous assurer que les infrastructures hospitalières soient capables d’absorber plus de personnes infectées. Ensuite, les gens qui sont les plus à risque (ceux qui souffrent d’obésité, de diabète et de haute pression, par exemple) doivent rester confinés. Toutefois, un autre élément de solution est à notre disposition, et il a été mis en évidence de manière éclatante par André Noël dans quatre articles publiés par Ricochet media. Il suffit d’imposer le port du masque obligatoire dans les lieux publics.