Commandes à emporter, livraison, carte-cadeau ou encore boîte thématique : certains restaurateurs se sont retournés dès les premiers jours du confinement, adaptant leur modèle d’affaires à la nouvelle réalité. Aujourd’hui, environ 20% des restaurants au Québec proposent leurs plats à emporter, un pourcentage qui augmente au fil des semaines. Pour beaucoup de restaurateurs, c’est ça ou fermer définitivement les portes, alors que la crise a déjà sonné le glas pour un restaurant sur dix.

Le chef et copropriétaire du Toqué! Normand Laprise a pour sa part lancé en quelques jours un comptoir épicerie à son restaurant Beau Mont ; un projet prévu depuis longtemps dont l’ouverture a été accélérée avec la pandémie, et qui est aujourd’hui un succès. « Les Québécois ont l’agroalimentaire à cœur, et ça se voit en ce moment, souligne le chef. J’aurais jamais pensé voir une ligne d’attente devant un de mes restaurants! En plein été avant un spectacle, les gens s’impatientaient devant la Brasserie T au bout de 15 minutes ; là, ils font la file devant le Beau Mont pendant parfois 45 minutes sans s’impatienter, dans la tranquillité et le respect. »

Le restaurant montréalais Pastaga propose lui aussi des plats à emporter, et ce depuis les premiers jours du confinement. « Je l’ai senti venir », confie le chef et copropriétaire Martin Juneau, qui a fermé quatre adresses. Lui et ses partenaires sont en cuisine, tandis que le reste du personnel a été mis à pied. Un revirement qui a demandé tout une réorganisation, mais qui a permis de continuer à rouler.

Le restaurant vend également les vins de son agence Volet Importation, et les clients sont au rendez-vous : « Même si c’est un peu plus cher que ce qu’ils auraient payé à la SAQ, ils n’ont pas besoin d’attendre devant la porte ou à la caisse! » Le gouvernement a d’ailleurs récemment autorisé les restaurateurs à vendre de l’alcool à emporter sans achat de nourriture.

Ça change de se cuisiner un repas soi-même, mais on est loin de l’expérience resto…

« C’est juste une bouée de sauvetage »

L’Association Restauration du Québec (ARQ) encourage les gens qui le peuvent – à savoir ceux qui ont pu garder leur emploi – à soutenir les restaurants en achetant des repas à aller chercher ou en se faisant livrer. « Mais c’est pas une panacée tout ça. La situation a eu des conséquences sur les habitudes de consommation, nuance François Meunier, vice-président de l’ARQ. La livraison et les plats à emporter permettent aux restos de garder la tête hors de l’eau, sans plus. C’est juste une bouée de sauvetage : si le pied carré de salle à manger ne rapporte pas de vente, ça ne pourra jamais être compensé par une augmentation du prêt-à-manger, qui ne s’adresse pas à la même clientèle. »

Depuis le début du confinement, la plupart d’entre nous se sont déjà commandés au moins une fois un repas : les services arrivent dans boîtes en plastique qui ont parfois souffert pendant le voyage, au détriment des beaux dressages qu’on nous servait avant au restaurant. Ne pas oublier de réchauffer le plat ou de la laisser un peu au frigo avant de manger… Pas de serveur pour expliquer le contenu de l’assiette, alors on retourne chercher son ticket de caisse pour avoir le détail des plats, qu’on mange en 30 minutes de l’entrée au dessert. Ça change de se cuisiner un repas soi-même, mais on est loin de l’expérience resto.

La législation à la traîne

Avec les plats à manger chez soi, la croissance que connaissaient les services de livraison avant la crise n’a fait que s’accentuer ces dernières semaines. S’il y a bien sûr un coût pour les restaurateurs, le secteur fait preuve de souplesse, à l’image de Doordash qui offre une réduction de 50% sur ses commissions réalisées sur les ventes. Petit hic : Uber Eats et consort n’ont pas le droit de livrer du vin ou de la bière pour le moment. Cette mesure est pourtant incluse dans la loi modifiant le texte sur les permis d’alcool, adoptée en 2018 mais pas encore entrée en vigueur.

Certains intermédiaires livrent tout de même de l’alcool, profitant d’une tolérance tacite des autorités, mais l’ARQ a demandé au gouvernement d’accélérer le processus de légalisation. « De toute évidence, ça n’est pas une priorité pour le gouvernement. Pourtant, c’est quelque chose qui aurait pu se régler facilement », argue François Meunier.

Demandant eux aussi une modification des textes de loi, les propriétaires de bars, grands oubliés de la crise, sont montés au créneau, multipliant les lettres ouvertes et pétitions pour se voir autoriser la vente d’alcool à l’instar des restaurants.

« Le secteur de la restauration a fermé dans les premiers, et il va rouvrir dans les derniers. Si on attend un vaccin, ce qui va prendre 12 à 18 mois, ça va prendre des mesures beaucoup plus permanentes que ce qu’on a sur la table présentement… »

Un temporaire permanent?

Si la vente pour emporter reste pour le moment une béquille de secours, faute de mieux , elle est la seule option viable pour la plupart des restaurateurs en ces temps de confinement. Et il faudra peut-être s’y habituer, alors que la réouverture des salles à manger ne s’annonce pas pour bientôt selon le vice-président de l’ARQ : « Le secteur de la restauration a fermé dans les premiers, et il va rouvrir dans les derniers. Si on attend un vaccin, ce qui va prendre 12 à 18 mois, ça va prendre des mesures beaucoup plus permanentes que ce qu’on a sur la table présentement… »

Pour Martin Juneau, la vente à emporter pourrait bien devenir la forme permanente que prendra la restaurant de demain. « La COVID-19 va redéfinir la restauration », indique le chef, qui pense que les salles à manger vont disparaître et amener les consommateurs à plus se rencontrer à la maison. Au Québec, où on comptait avant la crise 20 000 établissements et 210 000 travailleurs dans le secteur de la restauration, y aura-t-il assez de demande par rapport à l’offre de repas à emporter?

Normand Laprise, quant à lui, compte bien rouvrir toutes ses salles à manger. « Toqué! ne sera sans doute pas le premier qu’on va relancer. Mais les gens vont quand même vouloir s’offrir un repas et un service de luxe de temps en temps, avance le chef. La cuisine, c’est un éternel recommencement… »