Le 25 mai prochain, Simon Marseille n’éprouvera aucune difficulté à voir son fils Adrien, 7 ans, prendre la route de l’école. « J’ai un parcours scientifique et nous sommes tous en bonne santé. On est bien entourés, et on fait attention de ne pas entrer en contact avec des personnes plus vulnérables », explique-t-il.

Le Montréalais est surtout soulagé que l’école à distance soit chose du passé. Pendant le confinement, il déplore le manque disponibilité et de leadership de certains enseignants. «Nous sommes dans une société où un premier ministre décide de tout pour tout le monde et les gens ne se sentent pas responsabilisés en ce moment», déplore-t-il. «Quand les élèves sont arrivés sur Zoom, le tout s’est avéré très peu structuré et les parents ont donc dû prendre la relève.»

L’entrepreneur indique d’ailleurs que ce sont les parents les moins privilégiés qui écopent, alors que certains devaient jongler avec une salle de classe et un travail à temps plein qui ne s’effectue pas nécessairement de la maison. Il place la COVID-19 dans la même catégorie que les poux et les vers : «c’est une autre bebitte à surveiller».

Une opinion que Paul de Tourreil et une demi-douzaine de parents réunis sur un groupe Facebook ne partagent pas du tout. «Nous ne sommes pas impressionnés par le plan chaotique de réouverture, par la manière dont il a été expliqué et comment le tout va s’opérer», se désole-t-il.

Diplômé en biologie et suivant l’évolution de la crise de près, Paul a d’ailleurs gardé son fils à la maison quelques jours avant la fermeture officielle des classes. «Je fais tout en mon pouvoir pour diminuer le risque pour mon enfant et ma communauté», affirme-t-il.

«Je comprends que la situation évolue rapidement et que nous n’aurons jamais une information complète au moment de prendre ces décisions, mais de nombreux scientifiques nous indiquent qu’il n’est pas encore temps de se déconfiner», dit-il. Il mentionne notamment les stratégies plus strictes adoptées à Taiwan, en Nouvelle-Zélande et en Corée du Sud. «Les mesures du premier ministre manquent de conditions, voire tous les prérequis dressés par l’OMS pour un retour à la normale sous contrôle».

Catherine Drysdale craint quant à elle que son fils de 10 ans ne respecte pas les règles de distanciation physique avec ses amis. Sans modules de jeux, de ballon, de jeu de tague, les récréations risquent aussi d’être longues. «Mais je crains surtout qu’il ramène le virus à la maison», souligne la libraire.

La divergence d’opinions va jusqu’à déchirer certains clans. Vivant dans une zone froide, Lauren*(nom fictif) voit la réouverture d’un bon œil: «avec si peu de cas répertoriés dans notre région et l’amour de mon enfant pour l’école, j’étais convaincue de l’envoyer». Son ex-conjoint s’est toutefois opposé à l’idée, à tel point que le conflit a dû se résoudre avec l’aide d’un avocat au bout du fil.

«Nous n’avons pas réussi à nous entendre alors j’ai dû prendre la décision sans l’accord de son père», conclut Lauren. «Je suis en paix avec ma décision et je sais que j’ai pris la meilleure décision pour le bien de notre enfant, mais ça risque certainement d’envenimer notre relation qui était déjà à couteaux tirés.»

La mère estime que les gouvernements et les juges tiennent pour acquis que les parents vont naturellement s’entendre. «Nous n’arrivons presque jamais à nous entendre sur le meilleur intérêt de notre enfant. Et que faire dans des situations où l’un des parents vit à Montréal (une zone chaude) et l’autre, pas?»

L’histoire n’est pas près de se terminer alors que Lauren a reçu une lettre de l’avocate de son ex-conjoint. Un juge pourrait éventuellement trancher pour l’ancien couple.

Alors que la communauté d’enseignant-es réaménage les salles de classe, les zones grises perdurent dans les foyers québécois. Si le gouvernement Legault a bien souligné que la rentrée se ferait à la discrétion des parents, elle soulève chez eux un lot de questionnements qui va bien au-delà de la simple présence en classe.

Comment l’éducation de ceux et celles qui choisiront de rester à la maison, par nécessité ou par principe, sera-t-elle équivalente à leurs camarades qui regagneront leurs pupitres? Les balises de la réussite scolaire, jusqu’ici fondées sur la présence en classe et l’apprentissage en groupe, devront être redéfinies.