L’essence du message diffusé par les trois principaux partis fédéraux ne diffère pas: les mesures de distanciation sociale et consignes relatives à l’hygiène sont essentielles. Se basant sur les Tweets publiés par 292 députés entre le 1er janvier et le 26 mars, une étude à paraître* révèle également qu’aucun message visant à diminuer la sévérité de la crise n’a été partagé par les députés issus du Parti libéral du Canada (PLC), du Parti Conservateur du Canada (PCC) et du Nouveau Parti Démocratique (NPD).

S’agit-il de conclure que les politiciens dans l’opposition n’usent pas du défi de gouvernance que représente la pandémie pour affaiblir le parti au pouvoir?

« Depuis la publication de l’étude [le 16 avril dernier], davantage de commentaires partisans ont été émis [par les partis d’opposition], explique Aengus Bridgman, l’un des chercheurs derrière l’étude. Mais ces critiques touchent davantage à la gestion de la crise par les Libéraux qu’à une remise en question de sa gravité. »

L’opposition tente ainsi de profiter de la crise, mais pas au prix de nuire à l’application des mesures dictées par la santé publique.

« En plus, nous sortons tout juste d’une élection et les Conservateurs n’ont pas encore de chef. Peut-être n’est-ce pas le moment de devenir trop partisan », rappelle le co-auteur de l’étude, également doctorant en science politique à l’Université McGill.

Le consensus observable chez les députés fédéraux se reflète également dans la population. Toujours selon cette récente étude, le niveau de sérieux attribué par les citoyens à la pandémie ne varie pas en fonction de l’affiliation partisane. En fait, ce sont les individus sans étiquette partisane qui accordent le moins d’importance au pathogène et au risque qu’il présente pour la santé des Canadiens.

« Probablement que ces individus [sans identité partisane] répondent moins aux messages envoyés par les partis politiques. Aussi, ce sont souvent des gens qui (même si pas toujours) consomment moins de nouvelles », étaye Bridgman.

Le lien entre la pandémie et un niveau de polarisation diminué relève ainsi de l’effet papillon, où de plus ou moins petits événements en entraînent d’autres, pour éventuellement donner lieu à un changement substantiel.

Une détente sur le long terme?

Pour le professeur de psychologie sociale de l’Université Columbia, Peter T. Coleman, ces constats ne sont pas surprenants : « Dans les sociétés les plus divisées, habitées par des conflits armés de longue haleine, on a parfois assisté lors de sinistres naturels au dépôt des armes et à un transfert des ressources vers l’aide à la communauté ».

Or, la durée de cette trêve partisane demeure nébuleuse.

Les recherches en science politique tendent à démontrer que les questions sur lesquelles la population détient peu d’information allouent aux représentants politiques la capacité de façonner les opinions avec davantage d’efficacité.

« Avec une situation aussi inédite qu’une pandémie, les gens cherchent de l’information, cherchent à se faire guider, avance le doctorant. Un contre-exemple est la question du Niqab. À la dernière campagne fédérale, la population avait déjà une forte opinion sur le sujet et les chefs de partis ont ainsi difficilement influencé l’opinion de leurs partisans », ajoute-t-il.

L’ancien chef du NPD, Thomas Mulcair, en avait d’ailleurs payé le prix lors de l’élection de 2015.

Suivant cette logique, plus les citoyens seront savants au sujet de la Covid-19 et des tactiques de gestion sanitaire, plus leurs opinions se formeront indépendamment des dires des leaders politiques. À moyen terme, l’accalmie partisane pourrait alors se voir chahutée.

La théorie de l’équilibre ponctué

La crise entraînée par la covid-19 pourrait tout de même diminuer de façon pérenne le niveau de polarisation de nos sociétés. Mais le mécanisme à l’oeuvre diffère de la logique actuelle, où un consensus à l’échelle des élites permet une communion de la population.

La théorie de l’équilibre ponctué argue que les systèmes dans lesquels nous vivons, nos familles, nos communautés, nos pays, fonctionnent de façon assez stable, jusqu’au moment où un choc majeur vient les ébranler. Mais plutôt que de chercher des changements brutaux, cette théorie se penche sur de plus petits changements et sur leur effet boule de neige »
– Peter T. Coleman de l’Université Columbia.

Selon Coleman, le lien entre la pandémie et un niveau de polarisation diminué relève ainsi de l’effet papillon, où de plus ou moins petits événements en entraînent d’autres, pour éventuellement donner lieu à un changement substantiel.

« Les chercheurs des relations internationales constatent que dans 75% à 90% des cas, la fin d’un conflit armé est précédée d’un choc ayant eu lieu plus ou moins dix auparavant », articule celui qui a publié de nombreux travaux sur la résolution de conflits.

La choc que constitue la propagation mondiale du covid-19 représenterait le premier (titanesque) battement d’aile. Puis, ici comme ailleurs, de meilleures conditions de travail pourraient être offertes dans les milieux de la santé et des services essentiels, pour ensuite laisser la place à d’autres changements, et ainsi de suite. C’est en ces transformations graduelles que recèlerait les éléments d’une société moins divisée et plus apte à faire face aux défis qui la guette.

Quand la polarisation paralyse

Bien que la présence d’opinions divergentes soit nécessaire dans une société démocratique, une population et une classe politique rongées par la partisanerie implique son lot d’effets pervers.

« Ici [aux États-Unis] le niveau de polarisation est tellement aigu, on tombe dans une vraie psychose. Cela ralentit notre capacité de régler des problèmes urgents, comme les changements climatiques », exprime le professeur Peter Coleman.

La quasi paralysie législative est devenue monnaie courante aux États-Unis. Depuis les années 1970, la capacité de faire émerger des consensus s’est déconfite et le temps nécessaire pour adopter une loi a ainsi considérablement augmenté.

Ces longueurs minent notamment le niveau de confiance de la population en les processus démocratiques et ferme tranquillement la porte au débat, notion centrale au fonctionnement démocratique.

Au Canada, bien que le pays soit moins affecté par la polarisation sociale et politique, on semble également considérer que, pour des raisons d’efficacité et de sécurité, l’accord prime sur la discorde en période d’urgence. « Le consensus, en lui-même, n’est pas nécessairement bon ou souhaitable. Par contre, pour faire face à une crise de sécurité publique, alors que la population est à la recherche de clarté, faire front commun temporairement est probablement préférable », conclut Aengus Bridgeman de l’Université McGill.

Référence de l’étude: Merkley, E., Bridgman, A., Loewen, P., Owen, T., Ruths, D., & Zhilin, O. (2020). A Rare Moment of Cross-Partisan Consensus: Elite and Public Response to the COVID-19 Pandemic in Canada. Canadian Journal of Political Science, 1-12.