Première partie. Le gouvernement français demande que le port du masque soit «systématique», mais il sera obligatoire seulement de façon limitée, par exemple dans les transports en commun et dans les lycées (en gros, pour les adolescents de 15 à 17 ans). L’Académie nationale de médecine, elle, demande qu’il soit obligatoire partout dans les lieux publics. Elle a constitué un groupe de travail sur la pandémie de COVID-19. Le Dr Henri Julien, académicien titulaire, est le responsable du dossier du masque au sein de ce comité. Le Dr Julien est aussi président de la Société française de médecine de catastrophe. Il a accordé une entrevue à Ricochet par FaceTime (l’entrevue a été comprimée).

Q : Pourquoi l’Académie de médecine demande-t-elle au gouvernement français d’imposer le port du masque dans les lieux publics?

R : Si on dit aux gens qu’il faut porter des masques, eh bien tout le monde doit porter des masques. C’est ce que l’Académie a essayé de dire, dans un communiqué daté du 22 avril. Il y a un geste civique à faire. Le principe est le suivant : «Je porte un masque et je te protège; tu portes un masque et tu me protèges». Porter un masque, c’est comme au ping-pong. Il faut être deux à le faire. Si on n’est pas deux, ça ne marche pas.

Q : Est-ce que le masque est vraiment une mesure efficace pour enrayer la propagation du coronavirus?

Lorsqu’on éternue, on projette dans l’atmosphère 40 000 gouttelettes. Ces gouttelettes ont été bien étudiées par un dénommé [William Firth] Wells. Quand on tousse, on en projette 3000. Quand on parle, 3000 par quart d’heure. Wells a démontré que les plus grosses gouttelettes tombaient par terre au bout d’un mètre ou deux. Les masques empêchent les gouttelettes d’être projetées. Ils limitent donc la propagation du virus.

Q : C’est donc un masque qui protège les autres…

R : Oui. C’est celui qu’on appelle improprement le masque chirurgical. Ce masque, il faudrait plutôt l’appeler «anti-projections». Si le chirurgien met un masque, ce n’est pas du tout pour ne pas être contaminé par le malade qu’il opère, mais c’est pour que lui ne contamine pas le malade, pour pas qu’il projette des microbes dans la plaie béante qui est devant lui. C’est le masque qu’on voit porté par tous les Asiatiques. Ce masque chirurgical, il a quand même une petite capacité de filtration, mais elle ne va pas très loin. Chaque fois que je vais au supermarché et que je vois la caissière avec un masque, et les gens en face d’elle qui n’en ont pas, dans le fond elle protège les gens qui sont en face, mais les gens en face continuent de lui postillonner dessus.

Q : Est-ce que le masque chirurgical, ou anti-projections, protège quand même celui qui le porte?

R : Le masque chirurgical n’a pas une capacité de filtration égale au masque de filtration, les FFP en France ou N95 chez vous, mais il va quand même arrêter les grosses gouttelettes. Les masques FFP, en bec de canard, ont une capacité de filtration connue, repérée, testée. Ils doivent être portés de manière étanche et doivent épouser vraiment bien la forme du visage. En France, comme il n’y en a pas beaucoup, nous l’avons réservé au personnel soignant. Il ne doit être utilisé qu’à bon escient, dans les cas où l’on fait des gestes invasifs sur une personne «contaminante».

Q : Est-ce que, en France comme au Canada, il n’y a pas aussi une pénurie de masques chirurgicaux?

R : C’est le problème. En plus, les masques doivent être changés au bout de trois ou quatre heures de port continu. Dans un magasin par exemple, la caissière devrait avoir deux masques pour huit heures de travail, puis un troisième pour son transport. Disons que 30 millions de Français passent la journée dans des lieux publics, au travail ou ailleurs, eh bien en France, il faudrait une centaine de millions de masques chaque jour. Tous les masques industriels sont faits pour un usage unique. Nous n’avons pas accès à 100 millions de masques jetables par jour. Avec le Covid, une nouvelle espèce de masque est fabriquée industriellement : les masques en tissu lavables et réutilisables 10 fois par le grand public. À défaut de masques industriels, on peut porter des masques fabriqués à la maison, en suivant la norme recommandée.

Q : Les masques artisanaux, en tissu, sont-ils efficaces?

R : Des spécialistes ont dit : «on ne peut pas recommander quelque chose dont on ne connaît pas l’efficacité». Mais le raisonnement de l’Académie de médecine, c’est : «oui, d’accord, mais si on a rien, il vaut mieux mettre quelque chose!» Un mouchoir, n’importe quoi! C’est mieux que rien, évidemment! L’Académie a fait la promotion de ces masques en disant : il faut que tout le monde en porte. Et le gros avantage du masque en tissu, c’est qu’on va le laver. Après son utilisation, on le met dans un sac particulier, puisqu’il sera possiblement contaminé. Si on fait un lavage normal à 60 degrés, c’est gagné. Et puis on peut le repasser avec un fer très chaud. Et alors là, il est stérilisé. Si en plus du tissu, on ajoute un filtre d’aspirateur, on augmente la capacité de filtration et en plus de protéger les autres, on se protège un peu soi-même.

Q : Est-ce qu’il n’y a pas un risque de mal mettre et de mal enlever le masque?

R : Ce n’est quand même pas très compliqué! La situation dans laquelle ces masques sont utilisés, c’est une situation banale. On est dans la rue, au pire dans le métro. On croise des gens sur le trottoir, au magasin, sur les lieux de travail. Le masque anti-projections, si tout le monde le porte, c’est efficace. Il n’est pas étanche, ce qui le rend facile et simple à mettre. Il faut l’enlever lorsqu’il gêne la respiration ou quand il est mouillé, en le prenant par les lanières de fixation. Le masque est un complément du confinement et de toutes les mesures qui vont avec, distanciation sociale, lavage des mains, etc. Le masque ne remplace pas, il complète.

Q : Mais ne risque-t-on pas de se contaminer avec un masque?

R : C’est moi qui crache dans mon masque! Il faut rester logique! Je ne peux pas me contaminer avec ma propre contamination! Il y a un autre avantage d’ailleurs. Si j’ai un masque, je ne peux pas me toucher le nez ou la bouche avec mes doigts possiblement contaminés. Je touche le tissu du masque. Alors, oui, bien sûr, il faut se laver les mains. On enlève le masque par les lanières, en évitant de toucher au tissu, et on le dépose dans un sac. Ainsi, le risque de contamination est très limité.

Q : Alors pourquoi ne porte pas-t-on tous des masques dans les pays occidentaux?

R : C’est la question que nous posent les Asiatiques. À l’Académie, on a des contacts réguliers avec eux. Ils nous disent : «Mais vous êtes fous! Pourquoi vous ne faites pas mettre des masques? Qu’est-ce qui vous arrive?» Les Asiatiques ont eu l’épidémie de SARS-CoV-1 en 2003. Depuis, ils se sont entraînés. Quand ils ont eu l’épidémie de SARS-CoV-2, ils ont adopté des masques.

Q : C’est impossible de porter un masque en mangeant. Plusieurs cas de contamination collective ont été rapportés dans les restaurants. Faut-il les fermer?

R : Bonne question. À Paris, dans les restaurants, c’est la promiscuité, les tables sont minuscules, on est les uns sur les autres. Il est toujours possible de manger avec une visière en plastique, mais bon… l’espace est confiné, et la ventilation est parfois en circuit fermé. C’est un problème.

Q : Qui dit obligation dit sanction. Est-il réaliste demander à la police d’arrêter les gens qui ne portent pas de masques dans la rue et de leur imposer des amendes?

R : Depuis le début de la pandémie, en France, il y a eu trois ou quatre millions de contrôles pour non respect des règles de confinement et de 800 à 900 000 amendes. En ce moment, je suis en Bretagne, et de là où je vous parle, je suis à 50 mètres de la plage. Il est interdit d’y aller. La surveillance se fait par drone, par hélicoptère ou par des jumelles. Si j’y vais, l’amende est de 200 Euros [300$]. S’il y a récidive, c’est un délit, et je peux aller en prison. Alors oui, les contrôles et les amendes seraient possibles pour le non port du masque. Cela dit, la police peut aussi faire l’éducation des gens. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait jusqu’à maintenant. Les chiffres le prouvent, puisqu’il y a eu beaucoup plus de contrôles que d’amendes.