Alors que la crise sanitaire éclate dans l’une des plus grandes économies latino-américaines, une crise sociale se prépare et les citoyens et citoyennes doivent se débrouiller par eux-mêmes et elles-mêmes, faute du support gouvernemental.
Hausse du racisme et de la violence en région
La crise a notamment mené à une hausse du racisme dans les régions historiquement coloniales. Dans certaines régions, les gens qui perdent leurs emplois en raison du confinement, en majorité racisés ou autochtones, sont durement jugés et parfois agressés par ceux et celles qui suivent la consigne du président de continuer le travail.
Il y a quelques jours, deux entrepreneurs extractifs ont notamment agressé physiquement un homme métis dans la ville de Sinop à Mato Grosso, une région où les entreprises minières ont un historique d’accaparement des terres et d’expulsion des communautés autochtones.
Sinop a été créée de toutes pièces par une société immobilière possédée par deux familles d’origine européenne qui ont acheté plus de 645 mille hectares de terres (superficie supérieure à celle de la France) avec des subventions de la dictature brésilienne en 1971. Alors que l’un des agresseurs possède un historique de déforestations illégales dans les réserves indigènes et continue de faire du profit durant la crise, la victime avait perdu tous ses petits emplois (bicos) en raison de la crise.
Dans la vidéo de l’agression qui est devenue virale au Brésil, les deux entrepreneurs attirent la victime en brandissant de l’argent, puis lui pose des questions sur la situation économique du pays. Au moment où la victime s’expliquait sur ses récentes pertes d’emplois, les deux hommes se sont mis à le gifler et à lui crier dessus, en lui disant d’aller travailler. Ces agresseurs, pro-Bolsonaro, défendent la position du président comme quoi la Covid-19 n’est qu’un «petit rhume».
Cette agression, comme toutes celles ayant eu lieu ces dernières semaines, n’est qu’une façon de nier la pandémie et de valider le président et ses valeurs.
Les citoyens laissés à eux-mêmes
La dépréciation de la crise par le président et le manque de soutien financier force les Brésiliennes et les Brésiliens, surtout en régions rurales, à se débrouiller par eux-mêmes. Les États du Ceará et de l’Amazonie ont vu leur système de santé s’effondrer en ayant dépassé l’occupation maximale d’unités de traitement intensif, et cela sans même arriver au sommet de la crise, prévu pour début de mai.
À Goiás, dans le centre-ouest du pays, la pandémie et le manque d’hôpitaux publics a mené à la création du premier «hôpital de campagne».
Dans les favelas, la situation est encore plus dramatique. Selon le Data Favela Research institute, 70 % des familles des bidonvilles brésiliens ont déjà vu leurs revenus chuter, amenant plusieurs foyers à choisir entre la faim et le risque d’attraper le virus. Les maigres mesures apportées par le gouvernement brésilien, un peu comme celles du gouvernement canadien, s’adressent à la force de travail salariée plutôt qu’à celle du marché informel, trop difficile à rejoindre de manière systématique. Pourtant, 47 % des personnes habitant les favelas sont travailleurs autonomes et n’ont donc aucun recours et aucune assurance.
Les quartiers les plus pauvres de Sao Paulo, comme Paraisópolis, sont complètement délaissés par le gouvernement. Le président de l’association des résidents de la «Ville Paradis», Gilson Rodrigues, forme d’ailleurs des bénévoles pour diffuser les mesures d’hygiène et encourager les gens à respecter le confinement, malgré les injonctions contraires de Jair Bolsonaro. N’attendant plus l’aide du gouvernement, des résident-es ont d’ailleurs acheté deux ambulances pour se débrouiller au cas où.
En temps de pandémie, ce sont ces innovations sociales qui permettront une sortie de crise en dépit de l’État. Même si le président a nié la nécessité du confinement et ne met aucun effort à tester la population, c’est la population la plus vulnérable du pays qui prend les rênes de la situation.
À Sao Paulo, un système sophistiqué de vérification «un par un» a été créé en deux semaines. En élisant des «présidents de rue» responsables de compter le nombre de cas soupçonnés, ils sont arrivés à cartographier la maladie et informer la population.
Dans la favela Cidade de Deus, au Rio de Janeiro, ce sont les trafiquants de drogues qui suivent les conseils de l’Organisation mondiale de la Santé en imposant des règles de confinement à l’intérieur de la communauté, nonobstant ce qui est prôné par le président.
La mémoire collective du Brésilien tire encore les leçons d’un système étatique d’esclavage et, plus récemment, d’un gouvernement dictatorial de 21 ans qui a torturé et assassiné ses opposants. Les Brésiliens savent que lors des moments critiques, ils n’ont que les uns et les autres.
Malgré la peur de la population, le 16 avril dernier, le ministre de la Santé Luis Henriqe Mandetta a été limogé de son poste après deux semaines d’un malheureux combat avec Bolsonaro.
Le président songeait à obliger les commerçants à ouvrir leurs portes et les gouvernements locaux à maintenir les écoles ouvertes jusqu’à ce qu’un arrêt de la Cour Suprême l’en empêche. Son ministre de la santé défendait plutôt la distanciation sociale pour protéger la population d’un effondrement du réseau de la santé. N’arrivant pas à convaincre son ministre, Bolsonaro a congédié celui-ci pour le remplacer par quelqu’un plus près de lui politiquement.
Si le gouvernement brésilien continue d’ignorer la situation des classes sociales les plus vulnérables de son pays, des milliers mourront dans les favelas bondés. Toutefois, lutter contre les crises et l’oppression fait aussi partie de l’histoire brésilienne, une société inégale marquée par la résistance. Le peuple brésilien est plus grand que le bolsonarisme et saura vaincre la crise.