L’Australie brûlait, rappelez-vous. C’est comme ça que 2020 a commencé, avec des feux de forêt impressionnants sur l’île continent, des images de personnes qui fuient sur des chemins poussiéreux, des colonnes de fumée visibles depuis l’espace, des koalas sauvés à la dernière minute. Les changements climatiques, cette vérité irréfutable, s’enflamment. On pensait avoir la catastrophe de l’année. Mais non.
27 mars 2020. Alors qu’il y a des centaines de milliers de personnes infectées et des milliers de morts dans le monde entier, le ministre des finances néerlandais accuse l’Italie et l’Espagne de ne pas avoir prévu la catastrophe du coronavirus. Il ne mentionne pas que son pays souhaite « exporter » des malades en Belgique et reste silencieux sur le fait que les pays d’Europe centrale ont profité de la crise où ils collaborent, par leur inaction, avec les « fonds vautours » qui ont pillé la dette souveraine de leurs voisins du Sud. Le premier ministre du Portugal, le socialiste António Costa, l’a remis à sa place en qualifiant ses déclarations de répugnantes. Une inconscience absolue, de la mesquinerie récurrente, a ajouté Costa, avertissant que la survie de l’Union européenne est mise en danger par ce type d’attitudes.
Le récit, le maudit récit.
Cette façon de comprendre le monde politique comme un simple jeu fantasmagorique où l’important est de réussir à faire passer son discours. Dans ce cas, il s’agit de faire croire que les habitants paresseux de la Méditerranée n’ont pas pris la menace au sérieux et qu’ils viennent maintenant pleurer sur les genoux des Européens qui travaillent dur, les vrais de vrais Européens. Cette description nous a été attribuée [NDLR : aux Espagnols et aux pays du sud de l’Europe] même s’ils n’y ont jamais cru, sauf quand elle sert à nous désindustrialiser et nous transformer en un gigantesque bar de plage où ils viennent uriner leur calvinisme. La droite en Espagne tient le même discours, si patriotique contre les Catalans, mais plutôt timoré contre ceux qui ont de l’argent. Mais non, encore une fois. La politique, ce n’est pas seulement un récit, elle permet de transformer le réel et, si possible, de le faire de façon équitable.
Est-ce bien vrai que l’Europe est devenue l’un des épicentres de la maladie à cause de l’imprévoyance italienne et espagnole? Dans les paragraphes qui suivent, nous tenterons d’expliquer que, même si l’on ne sait pas avec certitude comment la covid-19 s’est propagée, nous pouvons affirmer qu’elle ne l’a pas fait de la façon proposée par le récit centre-européen de droite.
Il est temps de défendre notre dignité et notre souveraineté.
L’origine de la pandémie
Le 31 décembre 2019, le gouvernement chinois informe l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de l’apparition de cas de pneumonie dont l’étiologie ou la cause est inconnue à Wuhan, ville de la province de Hubei. L’OMS publie un rapport le 5 janvier 2020 afin de communiquer l’existence de 44 cas détectés. Selon les autorités, quelques patients avaient travaillé au marché de poisson de Huanan, toutefois, selon l’équipe d’enquêteurs chinois, il n’y avait pas de preuve de transmission entre humains.
L’équipe chinoise a-t-elle menti? Pourquoi mentir quand le monde entier est déjà au courant de l’existence du problème? Peut-être que le virus n’était pas si contagieux ou alors que le risque a simplement été mal évalué?
Dans son communiqué du 5 janvier, l’OMS ne recommande « aucune mesure spécifique pour les voyageurs. En cas de symptômes de maladie respiratoire pendant ou après le voyage (à Wuhan), les voyageurs doivent consulter un médecin et partager leur historique de voyage avec le personnel médical ».
Le marché de Wuhan ferme le premier janvier. Les premiers décès sont enregistrés, l’autorité sanitaire de la capitale de Hubei rend l’information publique. Le 20 janvier, la transmission entre humains est confirmée. La province de Hubei ferme le 23 janvier, ce que le représentant de l’OMS en Chine qualifie de mesure sans précédent.
Le 13 mars 2020, le South China Morning Post publie que le premier patient, un homme de 55 ans, aurait été infecté le 19 novembre dans la province de Hubei selon un document du gouvernement. On suppose que le 20 décembre, il y avait environ 60 cas et, bien que la cause soit encore inconnue, les symptômes étaient similaires à ceux de la covid. Si le virus a circulé librement pendant un mois sans que personne ne s’en aperçoive et, si la traçabilité des cas est exacte, il faut en déduire que le virus n’avait pas encore la même capacité de transmission que le virus actuel. Le patient zéro, celui qui aurait contracté la maladie en étant en contact avec un animal, n’a toujours pas été identifié. C’est une information très importante, car elle pourrait nous permettre de mieux connaître la nouvelle maladie.
En tout cas, même avec une capacité de transmission hypothétique limitée, même avec des mesures sans précédent de la part du gouvernement chinois, le virus a eu près de deux mois, du 19 novembre 2019 au 23 janvier 2020, date de la fermeture de Hubei, pour s’étendre en dehors de sa zone de départ présumée. C’est ainsi que toute cette histoire commence.
L’Espagne et l’Italie, scénographie d’un désastre
Le 30 janvier 2020, l’Italie enregistre le premier cas importé de coronavirus. Dans le pays transalpin, il s’agit de quelques touristes chinois qui présentent des symptômes dans un hôtel à Rome. Arrivant de Wuhan, les patients sont confinés et même l’hôtel est fermé afin de le désinfecter ; toutes les mesures de précaution sont prises rapidement. Ces touristes sont arrivés à l’aéroport de Malpensa à Milan le 23 janvier et ils sont passés par Vérone et Parme le 28 avant d’atteindre la capitale italienne. Le 31 janvier, à dix heures du matin, le gouvernement italien déclare l’état d’urgence (potentiel) pour une durée de six mois et bloque les vols depuis et vers la Chine. La France détourne un vol en provenance de Wuhan vers la base militaire d’Istres et décrète le confinement de ses voyageurs. La Russie ferme ses frontières avec la Chine. Deux cas sont confirmés au Royaume-Uni. L’OMS déclare l’état d’urgence sanitaire mondiale.
Le premier cas enregistré en Espagne se produit le 31 janvier 2020 à La Gomera [NDLR : une île de l’archipel espagnol des Canaries]. Le patient est un touriste allemand. Le deuxième cas en Espagne est un touriste britannique à Palma de Majorque [NDLR : la capitale des îles Baléares], le 10 février. Le 12 février, le Mobile World Congress [NDLR : le plus grand événement de la téléphonie mobile au monde] de Barcelone est annulé. À ce moment, les célèbres présentateurs de télévision, Ana Rosa Quintana et Eduardo Inda, décrivent comme des « exercices spirituels » l’enfermement de 19 rapatriés de Wuhan et des mesures « exagérées et scandaleuses » de précaution devant ces cas. Gardons cependant en mémoire l’origine des premiers cas en Espagne, allemands et britanniques, dans un moment j’explique pourquoi.
En Italie, le 14 février, un homme de 38 ans va chez le médecin et ses symptômes sont classés comme étant ceux de la grippe. La situation empire et il se rend à l’hôpital le 16 février. Personne ne prend de mesures spéciales jusqu’au 19 février, date où sa femme signale qu’elle a été en contact avec un ami revenu d’un voyage en Chine : c’est à ce moment que l’on tire la sonnette d’alarme. Le 20, trois nouveaux cas de pneumonie ont été enregistrés.
Le 21, il y a déjà 15 personnes infectées. Cinq médecins et trois patients de l’hôpital de Codogno en Lombardie, où s’est rendu le premier patient. Enceinte, sa femme est également infectée par le virus. Trois clients d’un bar et le fils du propriétaire, qui avaient joué au soccer avec l’homme infecté, ainsi que le médecin de l’urgence complète la séquence. C’est ainsi que la Lombardie devient un épicentre. En date du 22 février, il y avait déjà 76 nouveaux cas. À nouveau, retenez bien cette information : l’ami du premier patient venu de Chine a été déclaré négatif.
Le 24 février, deux touristes italiens en provenance de la Lombardie, un médecin et sa femme, sont déclarés positifs lors de leurs vacances à Tenerife, en Espagne. L’hôtel de 700 personnes où ils se trouvent est confiné. Le lendemain, le 25 février, trois cas sont enregistrés sur la péninsule ibérique, tous proviennent de l’Italie. Le 26 février, nous avons le premier cas local, à Séville, il s’agit d’un patient qui n’a pas quitté l’Espagne et qui présente des symptômes depuis le 12 février, c’est-à-dire, avant même que la Lombardie se transforme en épicentre. Gardez en mémoire cette information. Le 19 février, un match de soccer a lieu à Milan : le Valencia Club de Fútbol, une équipe espagnole, affronte l’Atalanta de Bergame. Environ 40 000 Bergamasques se rendent à Milan pour assister au match, tandis que quelques centaines de Valenciens y assistent. Selon l’OMS, cet événement joue un rôle clé dans l’expansion du virus en Italie. Le 26 février, on découvre qu’un homme est décédé du coronavirus à Valence le 13 février. Il avait voyagé au Népal, à 2,929 kilomètres de Wuhan. Le 4 mars, les congrès médicaux et les événements sportifs sont tous annulés dans les pays concernés, tandis que la ville de Madrid annonce la construction d’une grande roue géante. Le 9 mars, on dénombre 999 cas en Espagne. Les cours sont annulés dans la capitale espagnole ainsi qu’à Vitoria et à Labastida, deux villes situées dans les Pays basques.
Le 10 mars, une cascade d’annulations a lieu : les célébrations des Fallas à Valence ont été reportées, les vols entre l’Italie et l’Espagne ont cessé, les événements qui rassemblent plus d’un millier de personnes ont été interdits et le Parlement a été fermé en raison de la contagion du parlementaire Ortega Smith [NDLR : le secrétaire général de Vox, un parti d’extrême droite], qui avait passé ses vacances en Italie. Le 12 mars, la ville catalane d’Igualada est confinée, les institutions d’enseignement sont fermées partout en Espagne et les matchs du Championnat d’Espagne de soccer sont suspendus. Vendredi 13 mars, l’état d’alerte est annoncé et le 14, soulignons que ce qui est divin passe bien évidemment avant ce qui est humain, la suspension de la semaine sainte de Séville devient officielle.
Le récit partagé par les pays de l’Europe centrale et la droite espagnole se concentre sur deux aspects : premièrement, l’imprévoyance de la Chine, puis le manque de mesures de prévention. Comme démontré dans la chronologie des événements, les gouvernements italien et espagnol ont pris de bonnes et de mauvaises décisions, si on les évalue après coup. Leurs erreurs étaient liées à un facteur que l’auteur de ces lignes dénonce depuis déjà deux semaines : le maintien de l’activité économique. D’ailleurs, des gouvernements de droite comme celui du Royaume-Uni ont attendu jusqu’au 23 mars pour confiner leur population, déclarant ouvertement qu’ils préféraient ne pas nuire à leur économie plutôt que d’atténuer la propagation du virus. Sans surprise, au sein du gouvernement espagnol, ceux qui ont choisi de déclarer l’état d’alerte dès la semaine du 9 mars provenaient des factions progressistes du PSOE [NDLR : le parti socialiste ouvrier espagnol] et d’Unidas Podemos [NDLR : une coalition qui rassemble Podemos, la Gauche unie (IU) et Equo sous le nom « Unies, nous pouvons »].
Maintenir les manifestations féministes du 8 mars tout comme les regroupements festifs des Fallas, du soccer, de Pâques, du congrès de Vox ou de l’ouverture des terrasses, c’était une erreur. Mais il faut se rappeler que, parmi tous ces événements, ceux qui ont eu lieu provoquent le déplacement de beaucoup moins de personnes qu’une journée de travail conventionnelle où les travailleurs se rendent du centre à la périphérie des grandes villes. La droite a choisi la Journée de la femme comme bouc émissaire, mais le fait est que ce n’est pas le CEOE [NDLR : le patronat] ni María Jesús Montero [NDLR : la ministre des Finances] ou Nadia Calviño [NDLR : la ministre de l’Économie] qui ont voulu paralyser l’activité économique.
Et bien sûr, pour la droite, il est plus facile de blâmer les féministes que les entrepreneurs ou l’IBEX [NDLR : le principal indice boursier de la Bourse de Madrid composé de 35 entreprises]. Voilà, le mystère est élucidé. Ce qui n’a pas empêché le président de l’Espagne, Pedro Sánchez, d’avoir agi avec force quelques jours plus tôt, alors que ceux qui l’accusent d’imprévoyance se gardent bien de reconnaître que le gouvernement espagnol a été celui qui a pris les mesures les plus énergiques dans ce contexte. Ou plutôt, c’est ce qui semble être arrivé.
Le 30 janvier, la chaîne de radiodiffusion espagnole la plus écoutée au pays, Cadena Ser, diffuse un entretien avec Santiago Moreno, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Ramón y Cajal de Madrid. Moreno explique, à propos du coronavirus, que « le taux de mortalité est faible, mais les conséquences pourraient être dévastatrices ». Moreno fait référence à quelque chose que nous connaissons déjà, la courbe de contagion. Le virus ne provoque peut-être pas un taux mortalité élevée, mais son taux d’infection est si élevé que les hôpitaux sont vite saturés par l’affluence de milliers de patients. À ce sujet, le Rapport annuel sur la sécurité nationale de 2018 consacre plusieurs pages à la rubrique « Sécurité contre les pandémies et les épidémies ». Ceux qui prétendent « démontrer » que le gouvernement était conscient d’un risque de pandémie depuis début mars comme s’il s’agissait d’un complot se rendent ridicules. Bien sûr, le gouvernement espagnol était au courant, tout comme l’italien. Le problème, et nous insistons à nouveau, c’est qu’ils ont agi dans les deux cas sous la pression du secteur économique qui s’oppose au confinement et en fonction d’un contexte de confinement des infections enregistrées qui aurait dû se produire dans toute l’Union européenne. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé.
L’arbre de la tragédie
Maintenant, je vous demande de vous souvenir des informations que je vous avais demandé de garder en mémoire. Celle du premier patient allemand aux Canaries, celle du deuxième patient britannique aux Baléares. Celle des premiers patients de contagion communautaire en Espagne et en Italie parmi lesquels le patient zéro n’a pas été trouvé. Celle du premier décès en Espagne avant la mi-février. Depuis quand le virus circule-t-il parmi nous? Quelle est l’origine directe du virus, provient-il directement de Chine?
Il existe un projet international de logiciel libre appelé Nextstrain, dont la mission est de retracer l’arbre phylogénétique des maladies. Considérant que vous devez en savoir aussi peu que moi à ce sujet, expliquons d’abord de quoi il s’agit.
Nextstrain utilise le séquençage génétique des virus fourni publiquement par un grand nombre d’hôpitaux et de laboratoires à travers le monde, pour construire ce qui ressemble à « l’arbre généalogique » du virus, ce qui permet d’identifier ses ancêtres et ses descendants en quelque sorte. Bien sûr, les virus n’ont pas d’enfants ni de grands-parents, mais durant le processus d’infection, lorsqu’ils attaquent les cellules hôtes pour se reproduire, ils subissent parfois de petites mutations. En étudiant ces petites mutations, ces changements, il est possible de retracer l’origine du virus dont souffre un patient.
Autrement dit, lorsqu’un virus infecte un animal, en l’occurrence un être humain, il le fait dans le but de se reproduire. Pour ce faire, le virus s’attache à une cellule hôte et l’utilise pour créer de nombreuses autres copies de lui-même. Le problème, c’est qu’il « casse » cette cellule. Dans le cas du coronavirus, il est question des cellules du système respiratoire, avec lesquelles les poumons s’enflamment, absorbent moins d’air, exercent une pression sur le cœur et peuvent provoquer une défaillance catastrophique de l’organisme. Lors de ces périodes de reproduction, le virus change parfois de code, c’est-à-dire qu’il subit une mutation. Même si la mutation est minime, elle apparaît dans le séquençage du code génétique du virus. De cette façon, nous avons un moyen de savoir d’où viennent les types d’un même virus qui sont actifs. Grâce à de nombreux organismes de santé qui séquencent le code génétique de la covid, Nextstrain est en train de reconstruire de quelle façon le virus a été transmis à travers le monde. Le fait est que cette prolifération n’a rien à voir avec la version proposée par le récit centre-européen de droite.
Nextstrain a compilé 1 495 génomes de coronavirus, soit 1 495 variations de la maladie dans le monde. Il met à la disposition de tous un outil permettant d’analyser l’évolution de la maladie sur la planète jusqu’au 20 mars. Et c’est là que nous avons découvert ce que personne ne nous avait dit jusqu’à présent.
En Espagne, il existe trois divergences numérotées : la 8 006, la 7 005 et la 5 003. Cela signifie que les autorités sanitaires espagnoles ont fourni le séquençage du code génétique du coronavirus obtenu chez leurs patients, ce qui a donné comme résultat trois variations actives dans notre pays.
La divergence numéro 7 005 a été enregistrée à l’hôpital universitaire général de Valence et provient de la province de Hubei à 50%, de Shanghai à 33% et du Guangdong à 4%. Sa date d’arrivée estimée en Espagne se situe entre le 16 janvier et le 21 février et sa présence s’étend jusqu’à Burgos, une ville du nord de l’Espagne, où elle a été comptabilisée le 4 mars.
La divergence numéro 8 006 a également été enregistrée à l’hôpital universitaire général de Valence et provient à 99% d’Angleterre. Les dates d’arrivée estimées en Espagne se situent entre le 28 février et le 2 mars.
La divergence numéro 5 003 a été enregistrée à l’Institut de santé Carlos III et provient à 40% de la Communauté valencienne, 13% de Gênes, 10% de Madrid et 10% de Galice.
Les divergences 5 003 et 8 006 proviennent à leur tour de la grande branche numéro 3 002 qui provient de Hubei à raison de 42%, de l’Angleterre avec 37%, de Shanghai à 7% et du Minnesota à 3%.
Que nous indiquent ces données? Une vérité troublante qui se divise en deux parties. La première, c’est que le virus, qui a déjà été séquencé génétiquement, a été introduit en Espagne par trois mutations, deux qui sont venues de Chine et du Royaume-Uni via Valence et Burgos, et une autre d’origine italienne qui a passé par Valence avant de se rendre à Madrid et en Galice. Ceci concerne uniquement, nous insistons, les cas qui ont eu le temps d’être répertoriés pendant le chaos du séquençage et que le projet Nextstrain a compilés. Et ce, selon des dates qui remontent aux deux dernières semaines de février.
Avec ce même séquençage, il a été déduit que le premier patient européen, dont le premier patient italien est probablement issu, est allemand. La contagion de cet Allemand a eu lieu par l’entremise d’une collègue de travail qui était à Shanghai du 19 au 22 janvier, c’est-à-dire avant même que la ville de Wuhan ne soit confinée. Il n’est donc pas insensé de dire que les premiers foyers de propagation du coronavirus en Europe sont allemands et britanniques, car ces pays sont les centres d’affaires qui ont le plus de contacts commerciaux avec la Chine.
Il n’est pas non plus déraisonnable d’affirmer que le virus est entré en Espagne et en Italie par plusieurs voies, si l’on tient compte de la séquence journalistique des événements et du séquençage génétique de Nextstrain, car il y a en Espagne au moins une branche qui provient à 99% du Royaume-Uni tel que répertorié à la fin février. Comme nous avions déjà, à cette époque, un patient victime de propagation communautaire à Séville, nous pouvons donc en déduire que le virus circulait déjà sans être détecté dans toute la péninsule ibérique.
Toute cette séquence d’événements invalide non seulement le récit de droite qui accuse les manifestations féministes du 8 mars, mais plutôt, et c’est là un fait bien plus important, l’irresponsabilité en ce qui a trait à la contention du virus n’est plus attribuée à l’Espagne et à l’Italie, mais bien à l’Allemagne et au Royaume-Uni. En fait, en observant l’arbre Nextstrain, l’autre pays importateur de cas est la Suisse, un pays qui ne fait pas partie de l’Union européenne et donc qui conserve ses frontières, mais qui est toutefois un épicentre de l’activité bancaire, ce qui signifie probablement un flux incessant de voyageurs depuis et vers Chine.
Cet article ne sera peut-être pas en mesure de changer la tendance établie dans l’opinion publique espagnole par de sombres manœuvres sur les réseaux sociaux afin de répandre un certain récit de l’imprévoyance qui accuse l’Espagne et l’Italie. Le fait est que, si l’on oublie la réticence du gouvernement espagnol qui est influencé par le monde des affaires, le virus était déjà en Espagne, en Italie et dans toute l’Europe où il circulait depuis les dernières semaines de janvier.
Bien que ces données ne soient pas particulièrement concluantes, les termes « grippe », « pneumonie » ainsi que « influenza » ont été nettement plus consultés sur Google en Italie que durant les pics hivernaux des années précédentes. En Espagne, la « grippe » avait une valeur de 40 au cours de la semaine du 26 janvier au 1er février 2020, tandis que les pics de 2016 ont marqué une valeur de 16 puis de 30 en 2017 et de 32 en 2018. Au cours de cette semaine-là, le terme « coronavirus » obtenait la valeur 9 sur Google tandis que la valeur du terme « grippe » se chiffrait à 1. Puis, durant la semaine de l’état d’alerte, les valeurs grimpaient à 98 pour le coronavirus et à un maigre 2 pour la grippe.
Un autre fait qui n’a pas passé sous la loupe des journalistes d’enquête, c’est que l’Espagne compte au moins trois grands conglomérats commerciaux dont le siège social est à Wuhan. L’entreprise de textile Inditex, la compagnie aérienne IAG et le constructeur automobile CIE. Combien de cadres de ces entreprises ont voyagé entre Wuhan et l’Espagne en janvier et février?
La conclusion? Le virus s’est propagé en Europe à partir de l’Allemagne, avec ses hommes d’affaires, et du Royaume-Uni, avec ses touristes ivres, mais également de Suisse, avec ses banquiers à mallette. L’Espagne et l’Italie ont commencé à prendre des mesures de prévention lorsqu’elles ont cru savoir quoi rechercher (les symptômes du coronavirus) et où les chercher (en Chine et, dans le cas de l’Espagne, en Italie), mais ces deux pays n’ont pas tenu compte de Berlin, Zurich et Londres, les centres de la puissance économique et financière européenne, dont les hommes d’affaires issus ces trois villes voyageaient depuis et vers la Chine et propageaient le virus quels que soient les contrôles effectués.
La clé, je suis désolé de contredire le récit de droite, ce n’est pas Pedro Sánchez, ni Giuseppe Conte, ni Fernando Simón, ni Pablo Iglesias [NDLR : respectivement, il s’agit du président italien, du président espagnol, de l’épidémiologiste espagnol qui dirige le Centre de coordination des alertes et des urgences sanitaires du ministère de la Santé et finalement du leader de Podemos qui occupe le poste de ministre des Droits sociaux et de l’Agenda 2030] ni les féministes, ni même les touristes chinois. Ceux qui ont amené et propagé le virus en Europe proviennent des centres financiers. L’extension physique des réseaux monétaires. Probablement le dernier geste d’un triomphe discutable de la mondialisation.
Nous sommes bien plus que ce que l’on pense
L’Institut des hautes études de Vienne a publié le 19 mars un rapport qui recueillait des conclusions effrayantes. Il explique d’abord que « le 16 mars 2020, le gouvernement allemand a pris des mesures drastiques pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Son objectif est de minimiser le contact des personnes entre elles et, par conséquent, de limiter la propagation. Le nombre absolu de cas semble être en fort contraste avec la réalité : le vendredi 13 mars, n’y avait-il pas que 504 cas? Au troisième jour des réglementations du ministère des Affaires sociales sur le COVID-19, n’y avait-il pas que 1 471 cas? Dans ce cas, les mesures ne sont-elles pas excessives? »
Ce centre de recherche a mis en évidence un fait que toutes les autorités européennes connaissent, mais n’osent pas rendre public : le véritable nombre de cas est exponentiellement supérieur aux chiffres officiels compilés. 177 229 cas réels ont été calculés en l’Allemagne lors de la publication du rapport, 459 955 en France, 695 438 en Espagne et 2 696 992 en Italie. Il s’agit peut-être d’une vérité crue, mais elle n’en est pas moins exponentielle.
Les raisons pour lesquelles l’Espagne et l’Italie subissent un effondrement des capacités du service hospitalier et un grand nombre de décès viendront plus tard : entre autres, on dénote une espérance de vie plus longue, un plus grand contact social entre les jeunes et les vieux, des systèmes de santé précarisés par « l’austéricide » de la crise précédente ainsi que des divergences génétiques avec les habitants d’Europe centrale. Être les plus beaux et être dépourvu de consanguinité allaient bien finir par nous coûter cher à un moment ou à un autre, si vous permettez la plaisanterie.
Cette reconstitution journalistique du coronavirus sera complétée dans quelques mois par des rapports scientifiques. Personne n’y fera attention parce que nous aurons tous gobé le récit centre-européen de droite sur la maladie. Ça ne ferait donc pas de tort que quelqu’un, ici et maintenant, tente de faire la lumière sur la façon dont une maladie qui a commencé dans un marché chinois a réussi à transformer le monde en décor d’un film de Roland Emmerich.
Si cet article n’est pas un mème, ce n’est pas non plus un canular de guasap [NDLR : c’est généralement ainsi que les locuteurs hispanophones qui ne maîtrisent pas l’anglais prononcent le nom de l’application Whatsapp, l’un des moyens de communication les plus utilisés en Espagne], mais peut-être que ce texte mérite d’être lu et partagé pour que ceux qui parviennent toujours à leur fin, cette fois, n’y arrivent pas. Je nous souhaite que la seule pandémie qui nous affecte actuellement soit d’origine virale et qu’elle ne provienne pas de la désinformation.