Dans l’éventualité d’un retour en classe, l’INSPQ ajoute qu’il «est certain que l’infection des enfants contribuerait à une transmission substantielle de la COVID-19 à leurs parents et aux autres adultes qui les entourent et pourrait ainsi entraîner un grand nombre d’hospitalisations sur une courte période avec un potentiel réel de dépassement de la capacité du réseau de la santé tant dans les grands centres urbains que dans les régions».
L’avis s’intitule «COVID-19 : Immunité de groupe et retour des enfants à l’école et à la garderie». Il indique qu’une «stratégie visant l’obtention d’une immunité de groupe risque de causer un nombre massif d’hospitalisations et de décès». Le lendemain, soit le jeudi 23 avril, M. Arruda et le premier ministre François Legault ont pourtant fait un plaidoyer pour cette stratégie.
Ils ont fini par se raviser le lundi 27 avril, après que Theresa Tam, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, ait indiqué à son tour que l’efficacité de la stratégie d’immunité de groupe n’était pas prouvée. Ils ont alors évoqué d’autres raisons pour rouvrir les écoles primaires à compter des 11 et 19 mai.
«Même si les cas de COVID-19 âgés de moins de 70 ans ont un risque de décès moindre que ceux qui sont plus âgés, une proportion non négligeable développe une infection sévère nécessitant une admission aux soins intensifs et parfois en décèdent», signale l’avis des experts de l’Institut.
«Dans le contexte actuel de mesures de distanciation importantes, ces adultes de moins de 70 ans constituent actuellement 65 % des cas confirmés par laboratoire et environ 35 % des patients hospitalisés. Ces proportions pourraient augmenter si leurs enfants rapportent l’infection à la maison.»
Ce risque de transmission aux adultes n’est pas théorique, ajoutent les experts. Les enfants et les adolescents ont de nombreux contacts entre eux, ainsi qu’une moyenne de cinq ou six contacts par jour avec des adultes de 18 à 60 ans. Comme une grande proportion d’enfants infectés sont asymptomatiques, ils ne se méfieront pas et transmettront la maladie.
La seule façon d’empêcher que le retour à l’école s’accompagne d’une recrudescence de la transmission chez les adultes serait d’avoir de fortes mesures de distanciation sociale, conclut l’INSPQ. Les experts ne disent pas s’il est réaliste de mettre en vigueur de telles mesures auprès de jeunes enfants. Il tombe sous le sens que ce ne l’est pas. Même si les classes sont peu nombreuses, même si les pupitres sont espacés, rien n’empêchera les enfants de s’approcher les uns des autres et de se toucher dans les cours de récréation.
Le grand dilemme
MM. Arruda et Legault sont-ils prêts à prendre le risque de voir des adultes tomber gravement malades lorsque les écoles primaires rouvriront leurs portes? Ricochet Média n’a pas pu leur poser la question, car la Tribune de la presse refuse d’accréditer de nouveaux médias.
Ils ont tous les deux eu le soutien de l’Association des pédiatres. Celle-ci fait valoir qu’il est néfaste de garder les jeunes enfants trop longtemps à la maison, et ce pour plusieurs raisons. Les autorités ont noté une baisse des signalements de violence contre les mineurs, ce qui est mauvais signe. Loin d’avoir baissé, la violence a probablement augmenté en raison du confinement, mais elle est moins signalée. Les pédiatres font aussi valoir que les enfants ont un besoin criant de contacts de groupe. Enfin, les enfants de milieux défavorisés n’ont plus accès aux programmes d’aide alimentaire disponibles dans les écoles.
Mais surtout, l’épidémie pourrait repartir de plus belle. C’est ce que craignent les experts de l’INSPQ, lesquels ont à cœur l’intérêt de tous, enfants, adultes et personnes âgées.
La popularité du Dr Arruda
Le Dr Horacio Arruda, directeur de la santé publique du Québec, a joui d’une grande popularité depuis le début de l’épidémie de COVID-19. Mais son appui maladroit à la stratégie d’immunité de groupe, puis sa décision de recommander la réouverture des écoles primaires dès la mi-mai, le mettent en porte-à-faux avec les experts indépendants.
Une divergence semblable se manifeste en France. Le Conseil scientifique COVID-19 s’oppose à la décision du président Emmanuel Macron de rouvrir les écoles avant septembre. Les Français constatent que leur gouvernement ne suit pas les recommandations de ses experts et cela mine leur confiance.
Au Québec, la «santé publique» au Québec comprend deux organisations distinctes. La Direction générale de la santé publique (DGSP), que dirige le Dr Arruda et qui appuie en effet la réouverture des écoles. Puis l’INSPQ, que dirige la Dr Nicole Damestoy, et dont les experts ont fait une mise en garde.
La DGSP relève de la ministre de la Santé et des Services sociaux. Le Dr Arruda a le titre de sous-ministre adjoint. C’est un haut poste de l’administration publique. L’autonomie de cette dernière est réelle, mais partielle, compte tenu des relations étroites avec le niveau politique.
De son côté l’INSPQ est dirigé par un conseil d’administration. Huit des 15 membres n’ont pas de liens avec le gouvernement. La première mission de l’Institut est de rendre disponibles son expertise, ainsi que ses services spécialisés de laboratoire et de dépistage. Il est souvent arrivé que l’INSPQ prenne des positions à l’encontre des politiques gouvernementales.
La recommandation du Dr Arruda de rouvrir les écoles dès la mi-mai est d’autant plus périlleuse que l’Ontario voisine a décidé d’attendre à la fin mai, alors que proportionnellement à sa population, elle compte beaucoup moins de décès provoqués par la COVID-19.