«On attend toujours que les tests soient faits», déclarait-il en entrevue le 17 avril. Par courriel le 23 avril, le ministère de la Sécurité publique du Québec nous répond que «des tests de dépistage de la COVID-19 ont été effectués sur plusieurs personnes incarcérées, soit celles qui répondaient aux critères d’évaluation déterminés par la Santé publique. Il n’est toutefois pas possible de vous transmettre des données sur le nombre de tests puisque cette information n’est pas systématiquement comptabilisée considérant que le contenu du dossier médical des personnes incarcérées appartient au personnel du service de santé de chaque établissement de détention, lequel ne relève généralement pas du MSP.»

Le président de la SAPSCQ avance qu’une quarantaine de personnes seraient actuellement placées en isolement parce qu’elles présentent des symptômes ou ont été en contact avec des malades. Du côté du MSP, «[on] ne dévoile pas le nombre de personnes incarcérées placées en isolement dans [nos] établissements de détention.», nous dit-on dans ce même courriel.

Des masques sont disponibles pour les agents depuis une dizaine de jours, d’après Mathieu Lavoie. «Mais on ne sait pas jusqu’à quand on en aura. Des jaquettes, on n’en a pas toujours. Dans certains établissements, des agents se sont fait dire qu’ils n’avaient pas besoin d’en porter tout le temps.» Le MSP dit fournir «aux employés dont les tâches le requièrent» du matériel de protection personnel et «des masques de procédures aux agents correctionnels qui sont en contact avec les personnes incarcérées», sans plus de précisions.

Environ 260 personnes seraient placées dans des secteurs réservés aux quarantaines des détenus nouvellement incarcérés. «Ces secteurs d’admission-transition se font remplir rapidement par les policiers, observe Mathieu Lavoie. À la prison de Bordeaux, on voit beaucoup de personnes arriver pour des amendes non réglées, par exemple.»

Certains agents sont en train de s’épuiser. Les effectifs infirmiers sont réduits, notamment à Québec et à Montréal. «On a une augmentation de charge de travail et une baisse d’effectifs. On lève le drapeau depuis un moment déjà, mais c’est la sourde oreille», conclut le représentant des agents correctionnels.

Le téléphone ou la douche

Au centre fédéral de formation de Laval (CFF) — pénitencier à niveau de sécurité minimale, Jean* stagne dans sa cellule 24 heures sur 24, à l’exception d’une demi-heure par jour. Au téléphone, ses parents expliquent qu’il doit alors choisir entre prendre une douche ou passer un coup de fil. En une semaine, il a eu pour seule sortie un bref moment dans une cour grillagée, pour marcher un peu.

En février dernier, Jean est passé devant la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). On lui a demandé de préparer sa sortie, notamment en cherchant une thérapie. Il devait repasser en CNLC deux mois plus tard, soit ces jours-ci. Sans nouvelle de son agent de libération conditionnelle, malgré des requêtes répétées, il lui est impossible de mettre en œuvre un plan de sortie. Sans plus d’explication, il a appris que le délai avant de revoir la CNLC serait de quatre mois, et non deux, comme annoncé lors de la première audience.

Une situation qui étonne ses parents, qui se disent prêts à accueillir et encadrer Jean selon les recommandations de la CNLC.

Bill Blair, ministre fédéral de la Sécurité publique, a demandé le mois dernier à la CNLC et au Service correctionnel du Canada (SCC) de considérer la possibilité de libérer les détenus qui peuvent l’être, afin de réduire la propagation dans les prisons. On ne sait pas, à ce jour, si ces recommandations ont donné lieu à des libérations ni si elles ont simplement été mises en œuvre.

Au CFF, le confinement en cellule a été ordonné le 16 avril. Jusqu’à la semaine dernière, Jean et ses codétenus se déplaçaient pour aller chercher leur repas, dans un contexte empêchant la distanciation physique requise.

Le 18 avril, 30 détenus recevaient un résultat positif à leur test de dépistage de la Covid-19. Ils sont aujourd’hui 51 déclarés positifs, et 11 en attente de résultats — sur un total de 73 tests passés.

Manque de transparence

Interpellés en point de presse par Ricochet le 15 avril dernier quant à la situation dans les prisons, la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann, le premier ministre François Legault et le directeur de la santé publique du Québec Horacio Arruda ont répondu que ce dossier n’avait pas été porté à leur attention. La réponse a suscité une certaine consternation chez des groupes de défenses de droits, dont l’Association des avocates et avocats en droit carcéral du Québec (AAADCQ) et la Ligue des droits et libertés (LDL), qui ont sollicité le gouvernement dès le début de la crise.

«Il a fallu d’énormes pressions pour que le gouvernement sorte des chiffres des CHSLD. On se demande ce que ça va prendre pour les prisons», s’interroge Lucie Lemonde, porte-parole de la LDL, en entrevue téléphonique. Elle dénonce un manque de transparence de la part des services correctionnels. «On entend que les agents ne sont pas équipés de matériel de protection, que les détenus n’ont pas accès aux produits d’hygiène de base.» Le 22 avril, la LDL a publié un communiqué appelant le gouvernement du Québec à rendre publiques les données concernant la situation dans les prisons provinciales.

«Au provincial, la durée moyenne des séjours en détention oscille autour de deux mois,» poursuit-elle. Si les détenus ne sont pas testés, comment savoir s’ils sont porteurs ou pas au moment de leur retour dans la communauté? Lucie Lemonde souligne également que les allées et venues entre établissements de détention, palais de justice et postes de police multiplient les risques de contamination et de propagation, non seulement en milieu carcéral, mais dans l’ensemble de la société.

Recours collectif

Le 20 avril, une demande d’exercer une action collective contre le SCC a été déposée par Joëlle Beaulieu, détenue à la prison de Joliette (51 tests positifs sur 76 effectués, en date du 18 avril). Madame Beaulieu estime que le SCC «a failli à ses devoirs en compromettant la santé et la sécurité des détenues dont il a la garde», agissant «trop peu trop tard».

Malgré des demandes répétées, elle explique n’avoir pas eu accès à des protections, alors qu’elle faisait le ménage dans les locaux administratifs, ce qui l’exposait au contact de personnes venant chaque jour de l’extérieur. Alors qu’elle présentait des symptômes sévères, elle a été déplacée à plusieurs reprises, circulant dans la prison de manière non sécuritaire en ce qui a trait au risque de contamination, estime-t-elle. Parmi les événements invoqués par Madame Beaulieu pour justifier sa requête, on peut lire que l’accès à l’eau potable alors qu’elle était malade était restreint, que ses demandes répétées pour accéder à un intervenant en santé mentale sont restées lettre morte, qu’elle a partagé des espaces communs (toilette, douche, téléphone) avec d’autres femmes alors qu’elle était malade. À sa connaissance, elle est la première détenue à avoir été déclarée positive, le 1er avril. Le 15 avril, les résultats des tests passés à toutes les détenues quatre jours plus tôt confirmaient 51 cas.

À la prison de Joliette, une femme détenue doit accoucher incessamment sous peu. «Je ne vois pas comment on peut concevoir qu’un bébé naissant se retrouve là-bas dans quelques jours, confie une source. Et ce qui m’étonne, c’est surtout qu’aucun décès n’ait encore été rapporté, considérant la santé fragile de certaines femmes incarcérées.»

Le prénom a été modifié