Le 19 avril , le Canada (38 millions d’habitants) avait 35 056 cas confirmés de COVID-19 et 1673 morts (dont 877 au Québec). La Corée du Sud (52 millions d’habitants) avait 10 611 cas et 234 décès. Les comparaisons du nombre de cas avec les pays qui font peu de tests sont boiteuses. Mais en Corée du Sud, le dépistage est systématique. Quoi qu’il en soit, les statistiques sur les décès dans les deux pays sont considérées fiables. Par million d’habitants, le taux de mortalité dû au coronavirus est de 38 décès au Canada (103 au Québec) et de 4,5 décès en Corée du Sud, soit huit fois moins (23 fois moins qu’au Québec).

L’épidémie est globalement sous contrôle en Corée du Sud, qui n’a pourtant pas confiné toute la population. Le dimanche 19 avril, les autorités comptaient seulement huit nouveaux cas et deux nouveaux décès, contre 836 nouveaux cas et 72 nouveaux décès au Québec. La menace d’un retour en force de la COVID-19 plane toujours, mais la fameuse courbe de l’évolution est aplatie depuis plusieurs semaines. Cela sans les mesures autoritaires prises en Chine. La Corée du Sud est un pays démocratique : des élections législatives se sont tenues le 15 avril dans des milliers de bureaux de vote, sous haute surveillance sanitaire.

Professeur au département des maladies infectieuses à l’hôpital universitaire Guro à Séoul, le docteur Kim Woo-joo est l’expert coréen du coronavirus le plus reconnu. La Corée du Sud ayant prouvé la qualité de ses interventions, il n’est pas abusif de le considérer comme un des meilleurs experts mondiaux de la COVID-19. Lors d’une entrevue diffusée sur un site internet coréen, le Dr Kim souligne que la Corée du Sud a eu la chance d’avoir été alertée par le SRAS en 2003.

«La raison qui explique que la Corée du Sud, Singapour, Taïwan et Hong Kong font mieux pendant cette pandémie, c’est parce que Hong Kong, Singapour et Taïwan ont connu le SRAS en 2003, donc ils savaient déjà que s’il y a une épidémie, leurs citoyens et les hôpitaux auraient des problèmes. Ils en ont déjà fait l’expérience.»

Au cours de la même entrevue, le Dr Kim montre qu’il sait très bien qu’un autre pays a eu cette expérience : le Canada. «Durant l’épidémie du SRAS, à Hong Kong, Singapour, le Canada, Taïwan et la Chine, de nombreux professionnels ont été contaminés», souligne-t-il. Par la suite, la Corée du Sud a tenu compte des autres alertes qu’ont été les épidémies de la grippe A(H1N1) en 2009 et de MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2015.

Au 31 juillet 2003, le SRAS avait infecté 251 personnes et en avait tué 43 au Canada. Hormis la Chine et Hong Kong, aucun autre pays ou Ville-État n’avait eu autant de morts, ni Taïwan, ni Singapour. Parmi les pays occidentaux, la France a compté un mort; les autres, aucun.

Dans la pandémie en cours, le Canada ne fait pas pire que la moyenne des autres pays occidentaux. Mais comme il avait été le plus éprouvé par l’épidémie de SRAS en 2003, il n’y a aucune raison qu’il ne se soit pas aussi bien préparé que la Corée du Sud, souligne le Dr Amir Khadir, microbiologiste infectiologue à l’hôpital Le Gardeur en banlieue de Montréal.

Le 31 décembre 2019, la Chine prévenait l’Organisation mondiale de la Santé que des cas de pneumonie de cause inconnue sévissaient à Wuhan. Un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, était rapidement identifié. Le 10 janvier, l’OMS appelait tous les pays à se préparer à la propagation de l’épidémie. La Corée du Sud était déjà prête. Ses protocoles d’intervention étaient au point. Et elle avait de formidables réserves d’équipements de protection individuel (EPI), notamment des millions de masques efficaces, autant pour le personnel soignant que pour la population en général.

Examinons d’abord quelques mesures en vigueur là-bas, avant de se pencher sur ce qui prévaut ici.

Des masques médicaux pour tous

En public, les Coréens portent des masques KF94, équivalents aux masques N95 dont manque cruellement le personnel soignant au Canada. C’est l’EPI de base pour se protéger contre la contagion. Le coronavirus se transmet surtout d’une personne à l’autre par des gouttelettes de 0,5 micromètre (0,005 mm) qui peuvent voyager dans l’air sur deux mètres. Les N95 les filtrent à 95%; les KF94, fabriqués en Corée, à 94%. «Les Coréens portent donc des masques faits pour les médecins», indique le Dr Kim Woo-joo.

À ce propos, il ne comprend pas pourquoi les responsables de la santé publique des pays occidentaux ont tardé à recommander le port du masque pour tous. «Je trouve ça plutôt étrange», dit-il. «Bien sûr que ça aide», ajoute-t-il, affirmant que le port du masque est une mesure de prévention dont l’efficacité se compare au lavage des mains. «Regardez juste la Chine, Hong Kong, le Japon et la Corée du Sud. Les gens portent des masques dans ces pays asiatiques. En même temps, si vous regardez de nombreux pays européens et les États-Unis, le virus se propage rapidement. Une des raisons concernant le taux relativement faible de contamination en Corée du Sud, est que tout le monde porte des masques et se lave régulièrement les mains.»

Les pays occidentaux, comme les États-Unis et le Canada, ont commencé par nier l’utilité du port généralisé des masques. Bien à tort, selon le Dr Kim, qui y voit une seule explication : la pénurie pour le personnel soignant.

«Je pense que l’objectif était d’éviter que la population fasse des stocks de masques, parce que les professionnels de la santé en ont le plus besoin. Si les professionnels de la santé manquent de masques, ils ne peuvent pas traiter les patients, n’est-ce pas?» (Il recommande aussi le port de lunettes, le coronavirus pouvant s’infiltrer dans l’organisme par les muqueuses des yeux.)

Un dépistage massif

Les épidémies successives de SRAS, de grippe A(H1N1) puis de MERS ont fait comprendre à la Corée du Sud la nécessité de pouvoir développer et utiliser rapidement des kits de dépistage. Le gouvernement a massivement investi dans la recherche et le développement de ces kits. «Nous avions réalisé que nous ne pouvions pas développer dans l’immédiat des médicaments ou des vaccins», dit le Dr Kim, qui était le chef de l’équipe d’urgence médicale coréenne pour le MERS.

«Mais nous pouvions fabriquer des kits de dépistage avec la PCR [amplification en chaîne par polymérase], qui est une méthode très efficace pour faire un diagnostic. Nous avons donc mis l’accent sur la fabrication très rapide de ces kits de dépistage et sur le fait de les rendre facilement accessibles. Un patient peut avoir une toux ou une fièvre, mais nous avons besoin de savoir s’ils ont ou non la COVID-19, afin de les mettre en quarantaine et découvrir où il a été et avec qui il a été en contact, pour que nous puissions aussi tester ces personnes et les mettre en quarantaine si nécessaire. C’est le cœur de la prévention.»

Dès le 24 mars, 338 000 tests avaient été effectués en Corée du Sud. Ces tests sont rapides et fiables. La Corée n’a jamais manqué de réactifs.

Triage systématique à l’aéroport

À la fin de l’hiver, l’épicentre de la pandémie s’était déplacé de la Chine à l’Europe. Depuis le 22 mars, les citoyens coréens ou les étrangers en provenance d’Europe sont systématiquement et obligatoirement testés lors de leur débarquement à l’aéroport international d’Incheon, à l’ouest de Séoul. Les résultats sont prêts en six heures. Mais comme les passagers sont nombreux et ne peuvent pas être tous testés en même temps, ils sont placés dans un complexe attenant à l’aéroport pendant une journée et reçoivent les résultats le jour suivant.

Les COVID positifs sont envoyés soit à l’hôpital soit dans un dispensaire, selon la gravité de leurs symptômes. Les COVID négatifs doivent se mettre en quarantaine soit à la maison, soit à l’hôtel. Les autorités installent une application sur leurs téléphones portables. S’ils sortent de leur lieu de quarantaine, une alarme sonne et les prévient qu’ils ont franchi le périmètre autorisé. Ils doivent noter leur état de santé, notamment leur température, et en informer les autorités deux fois par jour. S’ils ne le font pas, les autorités les contactent. Il s’agit évidemment d’une intrusion dans la vie privée, mais le Dr Kim assure que le consentement est acquis. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de la collectivité l’emporte sur les droits individuels.

Ce protocole ne s’applique pas seulement aux aéroports. Il est généralisé. L’ensemble de ces mesures, ainsi que l’abondance de matériel de protection, ont permis au gouvernement de ne pas imposer de confinement total. Les autorités de santé publique ont fortement recommandé la fermeture des bars et des gymnases, mais ce n’est pas obligatoire. L’économie ne souffre donc pas outre-mesure de la pandémie.

En 2003, le Canada a envoyé paître l’OMS

Le 23 avril 2003, Toronto comptait 140 cas de SRAS. Une vingtaine de personnes en étaient déjà mortes. Le système de santé ontarien était submergé. Le groupe d’étude spécialisé en épidémiologie de l’OMS a alors placé la Ville Reine sur sa liste des zones à risque pour contracter la maladie et déconseillait aux touristes de s’y rendre. Le maire Mel Lastman laissa exploser sa colère. «D’où vient ce groupe? s’exclama-t-il. Je le veux ici [à Toronto] demain! Je veux qu’il enquête sur Toronto dès demain!» Les hôtels se vidaient, l’industrie du voyage faisait des mises à pied. Les autorités de Toronto, de l’Ontario et du Canada ont uni leurs efforts pour convaincre l’OMS de faire marche arrière, rappelle un reportage de Radio-Canada mis à jour cet hiver.

Telle a été la réaction spontanée du Canada face à cette épidémie. L’OMS a d’abord refusé d’obtempérer, puis a fini par retirer Toronto de la liste des zones susceptibles d’infection. Un comité consultatif national sur le SRAS a été mis sur pied. Dans son rapport de 232 pages , le comité notait entre autres que Santé Canada avait «facilité l’acquisition d’environ 1,5 million de masques N95 pour le Système de la Réserve nationale de secours».

Aujourd’hui, impossible de savoir à combien s’élevait le nombre de N95 dans la Réserve nationale au début de l’épidémie de COVID-19. Une seule chose est sûre : il en manque tellement que les autorités sanitaires évaluent la possibilité de les désinfecter et de les recycler, ce qui a toujours été déconseillé. En 2007, l’Institut national de santé public du Québec (INSPQ) signalait qu’il fallait les jeter après une journée d’usage, sinon plus souvent .

La CBC a révélé que le gouvernement en avait jeté deux millions lorsqu’il a fermé un des entrepôts de sa réserve nationale d’urgence à Regina, l’année dernière. D’autres entrepôts semblables ont été fermés, affirme le sénateur à la retraite David Tkachuk.

Contrairement à la Corée du Sud, le Canada ne s’est pas assuré de fabriquer des N95 ou l’équivalent sur son territoire. Il est entièrement dépendant de l’étranger. Le premier ministre Justin Trudeau s’est retrouvé sur la corde raide quand le président Donald Trump a interdit à la compagnie américaine 3M d’en acheminer au Canada.

Paradoxalement, une des principales compagnies qui fabrique des masques dans le monde, ADM Medicom, est située à Pointe-Claire, en banlieue ouest de Montréal. Mais toute la production se fait à l’extérieur. Le président de la compagnie, Guillaume Laverdure, ne peut même pas ordonner à ses filiales européennes d’envoyer des masques au Canada, car les gouvernements ont réquisitionné ses usines pour leurs besoins. Début avril, le gouvernement canadien lui a demandé d’en produire à Montréal, mais la construction de l’usine prendra au minimum trois ou quatre mois. La taille de la commande – entre 30 et 50 millions de masques N95 par année – montre l’ampleur des besoins.

Le président Emmanuel Macron a indiqué en avril que le personnel soignant en France consommait chaque semaine 40 millions de masques, chirurgicaux et équivalents N95. Compte tenu de sa population, les besoins actuels seraient de 22 millions de masques par semaine au Canada. La future usine de Medicom sera loin d’en produire suffisamment.

Sans ces masques et les autres EPI, le personnel est craintif. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des préposés aux bénéficiaires, qui sont très mal payés, craignent de travailler dans les Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et les foyers pour personnes âgées, où les risques de contagion sont majeurs. Pourquoi aller au combat quand l’État ne fournit pas les équipements de protection de base? Le gouvernement québécois est obligé de supplier les étudiants, les aidants naturels et les médecins spécialistes à combler le manque criant de personnel.

Le rapport du comité consultatif sur le SRAS de 2003 recommandait d’allouer des crédits de 100 millions de dollars par année à un Fonds de contrôle des maladies transmissibles «pour appuyer la capacité provinciale, territoriale et régionale en matière de surveillance des maladies infectieuses, [la] gestion des flambées épidémiques et les activités de contrôle des infections connexes». Encore là, impossible de savoir combien d’argent le gouvernement canadien y a consacré.

L’épidémie de SRAS a bien mené à la création d’un Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses, mais son budget annuel s’élève seulement à 5,8 millions de dollars. D’autres données disponibles montrent que depuis 2013, le gouvernement a alloué des crédits de 25 à 32 millions de dollars par année à la prévention des maladies infectieuses et transmissibles. En 2018, les montants ont officiellement grimpé à 65,8 millions, mais ils incluaient bien d’autres dépenses, comme la prévention du sida et de maladies provoquées par les changements climatiques.

De nombreux avertissements

En plus du rapport de 2003, le gouvernement canadien a reçu beaucoup d’autres avertissements l’enjoignant de mieux se préparer à une épidémie d’envergure. Mais les rapports se sont empilés les uns sur les autres et ont ramassé la poussière.

En 2006, les auteurs du «Plan canadien de lutte contre la pandémie d’influenza dans le secteur de la santé» indiquaient qu’il fallait utiliser l’épisode de SRAS de 2003 comme une espèce de «répétition générale» en prévision d’une pandémie à portée beaucoup plus grave.

Tous avaient pris conscience de l’importance d’un cadre d’intervention «à l’échelle de l’ensemble de l’État». Grâce aux mesures qui devaient être mises en place, les auteurs croyaient que les travailleurs de la santé pourraient alors porter des équipements de protection individuels appropriés, ce qui éviterait les désertions causées par la peur de la contagion.

En 2008, la vérificatrice générale du Canada notait que «l’Agence [de la santé publique du Canada] n’a pas donné suite de façon adéquate à bon nombre de préoccupations soulevées dans nos vérifications antérieures concernant des problèmes importants pendant la crise du syndrome respiratoire aigu sévère».

En 2010, après une éclosion de A(H1N1), le gouvernement fédéral effectuait un audit sur le SRNU (Système de la réserve nationale d’urgence). Les résultats étaient inquiétants. Ses dépenses de l’année étaient seulement de 5,1 millions de dollars. Les responsables de la santé publique de par le pays ne savaient pas précisément ce que contenait cette réserve. «Le SRNU ne dispose pas de renseignements fiables sur la durée de vie de la majorité des fournitures entreposées dans l’entrepôt principal, les entrepôts régionaux ou les sites déployés au préalable», déplorait le rapport. «Il existe des risques accrus que les biens ne puissent pas être déployés de façon opportune et efficace.»

En 2018, encore un autre rapport indiquait qu’il y avait un criant besoin de matériel en prévision d’une pandémie. «Ne pas avoir assez de masques sous la main, c’est probablement ce qui me préoccupe le plus», a dit Jim Kellner, un expert en maladies infectieuses qui a collaboré au Plan de lutte de 2006, au Globe and Mail. «Nous devions savoir que quelque chose allait survenir… et nous allons découvrir à quel point notre manque de matériel est mauvais et dans un état critique. Je ne veux pas voir mourir les travailleurs de la santé.»

Mais ce ne sont pas seulement les masques qui manquent. Il manque de tout : des sur-blouses, des gants, des écouvillons (longues tiges servant à faire des prélèvements dans le fond du nez), des respirateurs, des réactifs pour les tests, des médicaments, etc. Le gouvernement fédéral a navigué à vue, sans plan ni directives claires. Alors que la Chine avait fortement limité les vols intérieurs depuis le début de janvier, les avions d’Air China continuaient d’atterrir à l’aéroport international de Montréal au mois de mars. Quand ils traversaient les douanes, les voyageurs n’étaient pas examinés. Il a fallu que la Direction de la santé publique de Montréal prenne elle-même l’initiative d’envoyer ses agents distribuer des pamphlets les priant de se mettre en auto-quarantaine.

«Si vous tombez en bas d’une échelle et que le voisin appelle le 911, les protocoles indiquent en détail aux ambulanciers toute la marche à suivre», m’a dit un médecin qui, en avril, n’avait pas fini de mettre en place le système d’intervention contre la COVID-19 dans une région du Québec. «Mais pour une épidémie comme celle-ci, on a rien, a-t-il ajouté, sous le sceau de la confidentialité. Même pas un cartable dans nos classeurs.»

Le Canada, un pays riche et industrialisé depuis deux siècles, membre du G7 regroupant les puissances les plus avancées, a un produit intérieur brut de 46 233 dollars américains par habitant. Le PIB est de 31 362$ en Corée du Sud , un pays dévasté par l’occupation japonaise pendant la première moitié du 20e siècle, par la Seconde Guerre mondiale puis par une guerre civile et la partition.

Le Canada avait tous les atouts, toutes les informations, toute l’expertise scientifique, toutes les ressources pour se préparer. Seul pays membre de l’OCDE à avoir été éprouvé par le SRAS en 2003, il aurait dû être bien plus en état d’alerte que les autres. Mais il ne l’a pas été. Que s’est-il donc passé?

Négligence, arrogance, bureaucratie…

En 2003, le SRAS n’a tué personne en Corée du Sud. Mais l’État coréen a pris l’alerte au sérieux. Après tout, la fonction première d’un État, c’est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Une mission que semble avoir oubliée l’État canadien. Michel Camus, qui a été épidémiologiste à Santé Canada pendant 20 ans, a deux mots en tête pour expliquer cet écart : négligence et bureaucratie. Nimâ Machouf, une épidémiologiste de Montréal, met en cause une forme subtile d’arrogance. Au Canada comme dans d’autres pays riches, la classe dirigeante s’est peut-être crue au-dessus de ses affaires. Les gouvernements néolibéraux se sont montrés plus soucieux de diminuer la taille de l’État que de le renforcer, plus intéressés à réduire le financement des services publics qu’à prévenir la menace d’une épidémie, critique le député néo-démocrate Alexandre Boulerice.

«Je pense que le Canada, ou l’Occident en général, sont trop fiers, estime Mme Machouf. Ils n’arrivent pas à accepter que l’expérience des autres est très valable. Chaque fois qu’on parle des résultats de recherche de la Chine, de la Corée [ou d’ailleurs], on nous dit : «Ah, mais leurs chiffres ne sont pas fiables». On remet en doute, on remet en cause la validité de leur travail, leur capacité à bien travailler. Pourtant, ce sont eux qui ont eu le plus gros de l’expérience et ce sont eux qui sont le plus avancés là-dedans. Et si on arrive à trouver quelque chose, c’est avec leur aide qu’on va pouvoir le faire. Jamais sans leur aide on va pouvoir avancer. Je pense que l’Occident est pas mal condescendant par rapport à l’expérience de l’Est [l’Asie].»

Mme Machouf se demande si le Canada, comme d’autres pays occidentaux, ne méprise pas les solutions simples, comme les masques, au profit de développements technologiques de pointe. «Si on avait des N95 pour tout le monde, tout le monde aurait porté ça, puis on aurait continué à travailler, à aller à l’école et à la garderie. On n’aurait pas eu besoin, peut-être, de fermer tout. Un masque, c’est quelque chose de banal. […] J’ai l’impression que c’est comme si on pensait toujours que ce sont de nouvelles affaires, des affaires très sophistiquées qui doivent nécessairement être la solution. Alors, on n’est pas capable de dire : «Ah, bien, on a des trucs banals à notre disposition», puis ces trucs banals-là auraient pu nous empêcher de rentrer dans le gouffre économique dans lequel on est en train d’entrer. Car là, les conséquences économiques de tout ça, de toutes ces fermetures, et de mise en quarantaine du pays, ça va être énorme.»

De façon inexcusable, le gouvernement canadien a négligé d’assurer le suivi des nombreux rapports d’experts qui l’imploraient de se préparer avec sérieux en vue d’une grande épidémie, laisse tomber Michel Camus.

«On était mal préparé parce qu’on a défait des choses qui avaient été proposées par des experts suite à l’épidémie de SRAS en 2003 […]. Les contrôles dans les aéroports n’ont pas du tout été à la hauteur de ce qui était proposé [dans les rapports]. Les experts avaient prévu un scénario semblable à ce qu’on a aujourd’hui en termes de pandémie et de degré d’infection, mais le gouvernement ne s’est pas assuré d’avoir assez de masques. Il avait été aussi proposé d’avoir assez de respirateurs. Ça n’a pas été fait.»

«Plusieurs mesures étaient recommandées dans le rapport de 2006, mais il n’y a pas eu de suivi. Le gouvernement a fini par les oublier. On a laissé le gouvernement couper dans les dépenses sociales et de santé. Il a plus pensé à couper et à rentabiliser et à privatiser [les services] qu’à rendre efficace notre système de santé, et d’avoir de bonnes mesures d’urgence. Après l’épidémie de H1N1, on s’est rendu compte que les stocks n’étaient pas à la hauteur. Donc, on n’était pas prêts à faire face à une future épidémie. Ça a été répété par la vérificatrice générale en 2010. Et là encore, pas de suivi.»

En Corée du Sud, il semble que le gouvernement a été plus à l’écoute de ses scientifiques, ajoute M. Camus. Au Canada, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a régné pendant 10 ans, avec un fort biais non seulement défavorable aux services publics, mais aussi à la science, dit-il. L’impact a été très néfaste. Ce biais anti-science, il dit l’avoir ressenti personnellement quand il travaillait à Santé Canada. «Il y a eu des coupures dans les budgets, il y avait de moins en moins de recherche, et de plus en plus d’interférence pour que la recherche soit faite en fonction des objectifs immédiats du gouvernement. Le secteur privé était qualifié de partenaire dans tous nos projets et évaluait les projets scientifiques de recherche qui les concernaient. Il y a eu des coupures partout, sauf dans les fonctions bureaucratiques.»

«Le manque de préparation adéquate est assez effarant, constate M. Boulerice, député de Rosemont. Considérant qu’on avait été un des pays les plus touchés par le SRAS, ça s’explique difficilement. Pourquoi n’a-t-on pas suivi les recommandations du comité [de 2003]? Pourquoi le Fonds [de contrôle] n’a-t-il pas été financé adéquatement? Pourquoi n’avons-nous pas commencé à produire des masques? Pourquoi la réaction du fédéral a-t-elle été si lente, notamment dans les aéroports? La population mérite des réponses. Mais une des pistes possibles, c’est que pour un gouvernement néolibéral qui veut imposer l’austérité, il est plus facile de faire des coupures dans des programmes qui visent à prévenir une menace qui n’est pas encore actuelle. C’est une négligence flagrante et on en paie le prix aujourd’hui.»