On y apprenait que le Québec connait un taux de chômage fort respectable de 8 %. La région de Montréal fait encore meilleure figure, avec un taux établi à 6,6%. Ce qui correspond à une minuscule hausse de 1% par rapport au taux de chômage précédent, annoncé le 8 mars dernier.
Pourtant, le 11 avril, on pouvait lire dans Le Devoir que « plus de 3,8 millions de Canadiens ont demandé la Prestation canadienne d’urgence (PCU) cette semaine. En ajoutant les demandes d’aide faites depuis le début de la crise à la mi-mars, ce sont plus de 5,62 millions de Canadiens qui ont fait une demande ».
En mars 2020, Statistique Canada évaluait la population active à environ 20 millions de personnes. C’est donc dire que plus de 20% de la population active canadienne a fait une demande de PCU depuis le 6 avril dernier.
Des résultats farfelus
Ceci nous amène à la conclusion suivante : le taux de chômage officiel ne reflète en rien l’état réel du marché de l’emploi.
Selon Michel Girard, éditorialiste du Journal de Montréal :
Que le taux officiel du chômage en mars ne soit que de 7,8 % au Canada et de 8,1 % au Québec… c’est farfelu, tellement c’est loin de la réalité en cette période de guerre contre la COVID-19. À vrai dire, il faudrait vraisemblablement multiplier par deux ces taux officiels rapportés par Statistique Canada pour avoir une idée plus précise de l’impact désastreux de la pandémie du coronavirus sur l’emploi au Québec et dans les autres provinces canadiennes. Ce qui donnerait un taux de chômage non officiel (mais ô combien plus réaliste) d’environ 15 % pour le Canada et de 16 % pour le Québec. »
Dans son éditorial, Girard explique ensuite que cette distorsion est due au fait que les indicateurs statistiques en ces temps étranges sont chamboulés par les différentes mesures gouvernementales mises en place à la hâte (PCU, subvention salariale, etc.) et qu’il faudrait donc laisser la chance à Statistique Canada d’adapter sa méthodologie.
Sans doute…
Un vieux mensonge
Et pourtant, la distorsion, ou le fait que le taux de chômage réel soit le double du taux de chômage officiel, ne date pas d’hier. Le Mouvement Action-Chômage de Montréal* (MAC) dénonce d’ailleurs depuis 1977 cette aberration méthodologique qui date de… 1976.
En 1983, plusieurs syndicats et groupes populaires de défense des sans-emploi dénoncent un taux de chômage officiel flirtant avec les 10%. La réalité est pourtant toute autre, alors que le marché de l’emploi subit encore les effets de la crise pétrolière de 1979. Les délocalisations du secteur manufacturier (textile, automobile, etc) vers des pays pauvres et l’informatisation progressive des milieux de travail entraînent des mises à pied massives.
À l’époque, ces groupes populaires et syndicats accusent carrément le gouvernement fédéral de mensonge d’État. Les manoeuvres méthodologiques du fédéral pour faire baisser le taux de chômage servent selon eux à dissimuler l’incapacité (ou l’absence de volonté, c’est selon) du gouvernement de stimuler le marché de l’emploi et créer de la richesse, comme il l’avait fait durant les Trente glorieuses. Le tout pour mieux calmer la grogne face à une économie moribonde depuis près de 10 ans.
En 2019, le MAC dénonçait encore la chose alors que le pays connaissait son taux de chômage le plus bas depuis plus de 40 ans : « Le hic, c’est que le taux de chômage est une blague. Une vieille blague. Ce taux ne reflète en rien le vrai pourcentage des sans-emploi.»
De graves conséquences pour les sans-emploi
Mais pourquoi s’indigner pour une statistique, si fausse soit-elle? Parce qu’en temps normal, cette statistique a des impacts énormes sur les chômeur.ses qui demandent l’assurance-emploi. En effet, plus le taux de chômage est bas, plus il faut avoir travaillé d’heures dans la dernière année pour avoir droit aux prestations.
À titre d’exemple, avec un taux de chômage aussi bas que 5,6% (mars 2020) un.e salarié.e a besoin de 700 heures de travail dans la dernière année pour se qualifier. Si le taux de chômage est plus haut, disons 15%, on exige alors 420 heures pour se qualifier.
Le message est donc le suivant : « Si vous êtes sans travail alors que c’est le plein emploi, ça doit être de votre faute…donc on en exige d’avantage avant de vous payer » .
Ce système punitif pénalise les travailleur.se.s qui perdent leur d’emploi lorsque l’économie va bien, ce dont ils et elles ne sont nullement responsables (sans oublier que tout ce beau monde a cotisé au régime). Une perte d’emploi est une perte d’emploi, peu importe l’état du marché. Une personne mise à pied ou congédiée pour un motif administratif a de prime à bord le droit à l’assurance-emploi.
Par ailleurs, la même personne dans l’exacte même situation pourrait n’avoir droit à rien du tout si elle habite à Sherbrooke plutôt qu’à Matane. Elle aura eu le malheur de perdre son travail dans une région moins touchée par le chômage…
Déjà, cette admissibilité à géométrie variable, fruit d’une politique paternaliste et punitive, est hautement contestable. Si, en plus les dés sont pipés avec des taux de chômage officiels tronqués de moitié par rapport à la réalité, cela devient carrément odieux.
Aujourd’hui, le taux de chômage officiel n’a aucun d’impact sur les chômeur.ses, puisqu’il n’influence en rien l’admissibilité à la PCU. Mais lorsque la crise sera passée et que le régime d’assurance-emploi reprendra sa place le 4 octobre prochain, ayez une pensée pour ceux et celles qui paieront le prix de ce mensonge et qui n’auront droit à rien à du tout…
Jérémie Dhavernas Du Mouvement Action-Chômage de Montréal