Le Canada est sur le point de subir de plein fouet la pandémie de COVID-19. La plupart des Canadiens ne savent pas à quel point une pandémie a des effets dévastateurs. L’épidémie de SRAS était très limitée tant par son étendue que par son impact en comparaison de ce que deviendra à coup sûr l’épidémie de COVID.
Avec des centaines de collègues de Médecins Sans Frontières (MSF), j’ai combattu de nombreuses épidémies, à savoir un million de cas de choléra au Yémen et la contagion dévastatrice d’Ebola en Afrique de l’Ouest, où 28 000 personnes ont été infectées, dont 11 000 qui ont perdu la vie.
Observer la menace imminente de la pandémie de COVID-19 m’empêche de dormir.
Il n’y a pas de place pour les vœux pieux quand on affronte des pandémies. La bonne chose à faire est de se préparer au pire des scénarios. Tout en faisant tout ce que nous pouvons pour l’éviter, nous devons être préparés sur un plan mental et organisationnel pour faire face aux conditions qui secouent l’Italie et l’Espagne, soit des dizaines de milliers de cas en quelques semaines. Dans le meilleur des cas, nous serons trop préparés, ce qui est un petit prix à payer. Dans le pire des cas, nous serons prêts à sauver beaucoup plus de vies que si nous n’étions pas pleinement préparés.
Il faut prendre les trois mesures suivantes, maintenant:
1. Dédier des hôpitaux ou des sections complètes à la COVID-19
Dans la mesure du possible, nous devons mettre en place des installations médicales dédiées uniquement aux patients COVID-19: des structures autonomes ou un hôpital séparé au sein d’un hôpital. Il est tentant d’essayer de gérer les cas COVID-19 au sein des structures existantes. Cela peut fonctionner lorsque le nombre de cas reste bas. Mais pas quand il devient énorme. Si les lits sont occupés par des patients COVID-19, si toutes les civières dans le couloir sont monopolisées par des patients COVID-19 et si des patients COVID-19 très malades font la queue pour des respirateurs, le chaos prendra le relais et favorisera la contamination croisée.
Il doit y avoir une zone COVID-19 dédiée et une zone non COVID-19 sans échange de personnel ou de patients entre les deux zones. En bref, nous avons besoin d’un circuit fermé de patients COVID-19 positifs.
En séparant les patients non-COVID-19 et COVID-19, et en ayant du personnel séparé, le Canada peut réduire considérablement le risque que les installations médicales deviennent des centres d’amplification. Dans le pire des cas, les installations strictement dédiées au COVID-19 pourraient être submergées, mais au moins elles seront submergées hors du reste du système hospitalier.
Le personnel dédié dans des établissements dédiés développera plus rapidement l’expertise individuelle et collective pour traiter les patients COVID-19 que si ses membres travaillent dans un établissement mixte. Le personnel dédié peut également réduire le volume d’équipement de protection individuelle (EPI) nécessaire, car le personnel ne passera pas d’un patient COVID-19 positif à un patient non COVID-19.
2. Protéger la santé physique et mentale du personnel de la santé
Les membres du personnel de la santé sont notre meilleure et dernière ligne de défense en cas de pandémie. Pour leur bien et pour le nôtre, nous devons protéger leur santé physique et mentale.
Nous devons nous assurer que notre personnel médical aura toujours le bon EPI disponible à tout moment.
Dans le pire des cas, nous devons les aider à décider qui périra ou s’en sortira. Il est possible qu’ils ne pourront pas fournir des soins intensifs à tous ceux qui en auront besoin. Un médecin ne devrait pas avoir à prendre, de manière ad hoc, la décision atroce de savoir qui obtient un respirateur, le patient ou la patiente de 78 ans atteint-e de diabète et d’insuffisance rénale ou celui ou celle de 55 ans sans antécédents médicaux et qui a trois trois enfants. C’est pourtant ce qui se passe en Europe aujourd’hui.
Des directives nationales explicites devraient être préparées dès maintenant pour guider les médecins dans ce type de prise de décision complexe et pénible, si cela s’avérait nécessaire.
Nous devons aider les travailleurs de la santé à protéger et à prendre soin de leurs familles. Le personnel médical doit-il rester à l’écart de ses proches? Si le personnel médical est infecté par la COVID-19, où doit-il être hospitalisé? Les membres du personnel et leurs familles peuvent-ils compter sur un soutien complet s’ils tombent gravement malades?
Travailler dans le réseau de la santé pendant une pandémie implique une question de vie ou de mort. Malheureusement, la mort attend certains membres du personnel. Ils savent que leurs collègues en Chine, en Italie et en Espagne sont morts dans la lutte contre la COVID-19. Le gouvernement est-il prêt à assumer la responsabilité des personnes à charge comme il le fait pour les soldats morts en première ligne?
La pression mentale et l’angoisse auxquelles sont confrontés les travailleurs et travailleuses de la santé dans une pandémie sont élevées à un degré qu’on ne peut même pas imaginer. Ils doivent avoir accès à des conseils et à un soutien psychologiques.
Ils méritent notre plein soutien. Il ne suffit pas de parler. Il faut agir, et mettre en œuvre les actions recommandées.
3. Maintenir les soins intensifs pour les patients non COVID-19
Nous devons nous assurer que les soins intensifs aux patients non-COVID-19 sont maintenus pendant la pandémie.
Au plus fort de la crise, surtout s’il y a des installations mixtes et du personnel jouant des rôles mixtes, la COVID-19 pourrait attirer toute l’attention et monopoliser toutes les ressources disponibles. Nous devons absolument nous assurer que les conditions médicales hautement traitables et évitables ne deviennent pas mortelles. La mère enceinte devra avoir un endroit sûr pour accoucher; l’aîné confus et diabétique aura besoin d’une aide médicale.
Nous ne devons pas créer un statut de second ordre pour les patients non COVID-19 ayant besoin de soins intensifs.
Dans notre lutte contre la COVID-19, nous avons pris des décisions économiques et politiques qui auraient été inimaginables il y a quelques semaines. Nous devons maintenant affronter l’inimaginable du côté de la santé et nous préparer au pire.
Nous devons le faire maintenant. Parce que la pandémie va nous frapper avec une immense force.