Deux articles sur un sujet semblable. Deux traitements journalistiques opposés. Dans l’article français on peut lire :
«Quarantaine à deux vitesses : repos et loisirs pour les uns, précarité et risque sanitaire pour les autres.» «On est 300 à bosser sur le site et les cadres sont en télétravail. Nous, qu’on se mette en danger, tout le monde s’en fout.»
De l’autre côté, dans La Presse, on nage en pleine idéologie nationaliste et guerrière : « Ces gens sont sur le champ de bataille contre le COVID-19, ça nous prend ces gens-là ». La Presse fait l’éloge des travailleurs, un peu comme les soldats pauvres qu’on envoie pour être de la chair à canon en les remerciant de mourir pour la patrie. L’article effleure des sujets moins glorieux, leur salaire dérisoire, la difficulté de la tâche.
On a un bon cardio, mais on a d’autres bobos, ose discrètement dire une employée.
On y apprend aussi que la majorité sont des immigrants. L’article conclut en martelant une fois de plus l’importance de ces travailleurs pour le bien-être collectif.
Les articles critiques au Québec sur cette quarantaine à deux vitesses se font rares, voire inexistants. On ne donne pas ou peu la parole à ces employés forcés de travailler, risquant leur santé, et dans un état d’anxiété insupportable… qui reçoivent les courriels du boss qui lui travaille de la maison.
En fait, les critiques au Québec se font très rares par les temps qui courent. Ces derniers jours, je me suis donc tournée vers les articles publiés de l’autre côté de l’Atlantique. Le paysage médiatique français étant diversifié, certains médias sont très critiques à l’égard de la gestion gouvernementale de la crise. Avec raison.
Le 19 mars, le quotidien Le Monde titrait sans détour « Coronavirus : les graves insuffisances françaises ». Le média Usbek & Rica titrait quant à lui : « COVID-19 : « Il aurait fallu s’inspirer de Taïwan, mais c’est trop tard » ».
Ici on semble être en pâmoison totale devant nos leaders. Seul Trudeau s’est pris quelques critiques au début de la crise. Mais au Québec? Arruda et Legault sont érigés en demi-dieux. Don’t get me wrong, moi aussi j’ai un petit faible pour le Dr Arruda et ses tartelettes portugaises. Je pense qu’on gère globalement mieux cette crise que les Français, jusqu’ici. Mais cette gestion n’est pourtant pas sans faille!
Tester massivement la population: constat d’un échec
Pour l’instant, notre gouvernement peine à mettre en place une stratégie efficace de dépistage du virus. Lignes téléphoniques engorgées, absence de cliniques sans rendez-vous jusqu’au 23 mars…
Depuis deux semaines, il faut patienter des heures au téléphone, et le plus souvent, se faire refuser un rendez-vous parce qu’on ne répond pas à tous les critères. On pouvait avoir tous les symptômes, mais sans avoir voyagé à l’étranger ou prouver avoir été en contact avec une personne testée positive, impossible de se faire tester.
Une connaissance qui a réussit à obtenir un rendez-vous à la clinique de l’Hotel-Dieu relatait son expérience cauchemardesque sur Facebook.
Après avoir fait la queue pendant trois heures dehors, sans pouvoir garder une distance les uns avec les autres, ils auraient ensuite tous été entassés dans une pièce fermée avec 200 personnes qui toussaient et crachaient. Il a pris des photos à l’extérieur, mais il était interdit d’en prendre une fois à l’intérieur. On se demande pourquoi. Une première clinique sans rendez-vous a enfin ouvert ses portes le 23 mars à Montréal, et pourra mener entre 2000 et 2500 tests par jour. Cela reste insuffisant.
On sait pourtant que le dépistage massif est LA méthode qui fait ses preuves en Asie. En Corée du Sud on teste en moyenne 20 000 personnes par jour, on isole seulement les personnes positives, on retrace toutes les personnes avec qui elles ont été en contact. On sait aussi que la clé de réussite de Taïwan a été l’anticipation. Dès le 6 février, les citoyens chinois étaient interdits de séjour. Tous les voyageurs en provenance des régions les plus touchées devaient obligatoirement être en quarantaine (et même surveillées par GPS). Pendant ce temps, le reste de la population peut continuer de se déplacer, à peu près normalement.
De ce côté-ci de l’Atlantique, nous avons vu la crise arriver depuis longtemps. Nous disposions de semaines supplémentaires pour se préparer. Du luxe. Comment se fait-il qu’on n’ait pas fermé les frontières aux pays touchés plus tôt, ou encore obliger une quarantaine contrôlée à ceux qui en revenaient? Les passagers revenus d’Europe arrivaient massivement jusqu’à récemment, sans que des mesures sérieuses soient mises en place à l’aéroport. Tandis qu’en Asie, des aéroports vont jusqu’à se munir de caméras infrarouges afin de détecter la température des voyageurs.
On sait aussi qu’une pénurie de lits et de matériel médical se dessine à l’horizon. Il aurait fallu réorganiser les hôpitaux et les cliniques à l’avance, anticiper la production de masques, de respirateurs artificiels, et surtout mettre en place un système efficace de dépistage massif.
Mais oups, on a trop tardé! On doit alors confiner toute la population indéfiniment… Avec les risques sociaux et économiques dramatiques qui viennent avec.
Limiter le dépistage tout en confinant l’ensemble de la population : des mesures « moyenâgeuses »
Parce qu’avouons-le bien franchement que notre seule solution en ce moment pour limiter l’explosion de contamination soit ce confinement total devrait déjà être un aveu d’échec. Le quotidien français Le Monde ose questionner la stratégie.
Le confinement généralisé de la population en France, après l’Italie et l’Espagne, rend perplexes les pays développés d’Asie. [Ils] voient tout à coup des sociétés aux économies sophistiquées n’avoir comme seule solution pour contrer l’explosion des contaminations que de recourir à une méthode primitive, au coût économique immense, que seule la Chine autoritaire, la première touchée par l’épidémie, a dû mettre en œuvre.
Dans un blog de Mediapart, un certain Jean-Marc B, anthropologue de la santé et expert en santé publique, qualifie ces mesures de « moyenâgeuses ».
Le confinement général constitue un pauvre pis-aller face à l’épidémie dès lors qu’on manque de tout ce qui permettrait de lutter efficacement contre elle… »
Pourquoi en est-on arrivé là? Simplement parce que nous avons défailli à mettre d’emblée en place les bonnes réponses. Le manque de tests et de mesures de dépistage en particulier est emblématique de ce naufrage : alors que la Corée, Hong-Kong et la Chine en faisaient la priorité absolue, nous avons été d’une passivité invraisemblable à organiser la mise à disposition de quelque chose de techniquement simple. »
Attention! Qu’on soit bien d’accord. En l’absence de ces mesures, nous n’avons pas le choix de tous et toutes se placer en isolement, au risque de faire exploser les urgences. Il est primordial de respecter les demandes du gouvernement en ce sens, en espérant qu’il en profite de ce temps pour développer rapidement un système efficace de dépistage.
Le personnel soignant, nos anges gardiens
Parlons des infirmières aussi, dont les revendications sont méprisées depuis des années par les différents gouvernements. Tout à coup, le Premier Ministre répète qu’elles sont « nos anges gardiens ». Ce même personnel soignant qui a subi de plein fouet les mesures d’austérité ces dernières années, et à qui on demande, une fois de plus, de tous nous sauver.
Saviez-vous que la convention collective des policiers contient des mesures d’urgence plus avantageuses que celles des infirmières dans les cas exceptionnels? Pourtant, dans le cas de la pandémie, le personnel de la santé met autant sa vie en danger que les policiers.
Par ailleurs, le soir où les cas ont commencé à rentrer à l’urgence, j’ai eu des échos du milieu hospitalier faisant état d’employé.es en larmes, certaines qu’on a dû retourner à la maison. Les professionnelles de la santé ont été formées à toute vitesse, dans la panique. À l’heure actuelle, le personnel dans les urgences n’a toujours pas de masque ni de visière de protection, malgré les demandes répétées à la Santé Publique. Rendu là, ce ne sont pas des anges gardiens, c’est de la chair à canon. Mais bon, quand on se compare à des pays qui font pires, on se console… de ne pas avoir encore totalement démoli notre service public. (Je dis encore, parce que surveillez bien les mesures d’austérité qui s’en viennent. « La crise nous a coûté cher. Il faut maintenant se serrer la ceinture », déclarera peut-être bientôt Legault, réélu majoritaire à vie.)
L’éléphant dans la pièce
Peut-on aussi parler de l’éléphant dans la pièce, soit les mesures néolibérales qui ont affaibli nos services publics de santé depuis des décennies, avec un agenda même pas tant caché d’ouvrir la porte à la privatisation?
C’est parce que notre système de santé public est malade qu’on doit confiner toute la population de toute urgence. Nos infrastructures et le personnel sont insuffisants pour dépister le virus massivement et le contenir. Les complications graves de la COVID-19 peuvent conduire à des milliers d’hospitalisation qui peuvent faire effondrer tout le système déjà surchargé.
L’autre angle mort de notre couverture médiatique est l’épidémie de toutes ces maladies chroniques, cardiovasculaires, diabètes, maladies pulmonaires, qui rendent ce virus aussi mortel. Tel que le souligne encore Jean-Marc B dans Mediapart.
Ce sont les pathologies chroniques qu’on a laissé se développer depuis des décennies et qui le rendent potentiellement fatal. [Ces maladies] seraient évitables à 80% si nous nous donnions les moyens de protéger la population plutôt que de sacrifier sa santé au profit d’intérêts industriels. »
Au moment de conclure cet article, je lis avec quelque soulagement les mots de Pascale Navarro dans La Presse : « Trouant sans aucune conscience le filet social qui a été si long à tisser et à solidifier, des choix politiques ont affaibli la capacité de se protéger les uns les autres. En encourageant l’individualisme, la course au profit, l’évasion fiscale privant les gouvernements de milliards de dollars (un déficit zéro sur le dos du système de santé, au lieu de courir après les fraudeurs fiscaux, par exemple), les plus vulnérables se retrouvent démuni ».
C’est le travail des journalistes et des intellectuels de questionner. Pourtant, depuis le début de cette crise, j’ai l’impression qu’on gobe tout ce que le pouvoir nous dit, comme engourdis, soulagés de les voir revenir, à chaque point de presse. Tout le monde semble être d’accord que le Québec démontre une gestion exemplaire de la crise. On applaudit, et on se tape dans le dos.
Ce consensus empêche les questionnements, les doutes, et surtout, une place à l’amélioration, des leçons à tirer. Un peu plus d’esprit critique ferait du bien.