M. Norton a accusé le premier ministre Justin Trudeau et d’autres politiciens de ne pas comprendre l’enjeu du mouvement de solidarité envers la communauté de Wet’usuwet’en, en Colombie-Britannique, qui s’oppose à la décision des autorités fédérales d’imposer la construction d’un gazoduc sur son territoire sans avoir obtenu au préalable l’assentiment de ses chefs héréditaires.

Le conseil de Kahnawake, situé sur la rive sud de Montréal, appuie sans réserve ses citoyens qui bloquent la voie ferrée du Canadien Pacifique depuis le 8 février. Son service de police, appelé «Peacekeepers», refuse d’appliquer l’injonction obtenue par le CP, ainsi que l’appel lancé par M. Trudeau pour démanteler les barricades.

«Personne ici ne va faire le sale travail de M. Trudeau, a déclaré M. Norton mercredi. Nos gens manifestent pacifiquement sur notre propre territoire. Le premier ministre, et tous les autres politiciens, devraient comprendre ce qui est en jeu. Ce n’est pas seulement un litige autochtone. C’est aussi un dossier qui touche les millions de personnes préoccupées par le changement climatique et par la voracité des compagnies qui veulent sans cesse étendre l’exploitation des énergies fossiles et qui, par conséquent, cherchent à ce que ces carburants puissent s’écouler vers les marchés dans des pipelines.»

Ce n’est pas la première fois que des autochtones associent leur combat pour le respect de leurs terres aux campagnes menées partout dans le monde contre l’exploitation effrénée du pétrole et du gaz, dont la combustion réchauffe dangereusement la planète. Des représentants des communautés autochtones ont ainsi pris part à la grande manifestation pour le climat du 27 septembre à Montréal en compagnie de Greta Thunberg.

Mais dans le contexte de crise actuelle, les paroles de M. Norton ont une résonnance particulière car elles inscrivent le mouvement de solidarité pour la communauté de Wet’usuwet’en dans un mouvement international et beaucoup plus large. Ses déclarations sont rapportées dans Iori :Wase, un journal en ligne de Kahnawake. Elles ont eu peu ou pas d’échos dans les médias francophones de Montréal.

Le même jour, le premier ministre François Legault tenait des propos controversés en affirmant que la Sûreté du Québec ne pouvait pas faire appliquer l’injonction obtenue par le Canadien Pacifique parce que, selon lui, des mitrailleuses AK-47 se trouveraient dans la réserve. De telles déclarations sont fausses, «incendiaires et dangereuses», a rétorqué Kenneth Deer, secrétaire de la Nation mohawk de Kahnawake.

L’injonction obtenue par le Canadien Pacifique autorise nommément les Peacekeepers et la Sûreté du Québec à démanteler les barricades érigées près du Mile 40.7 de la subdivision Adirondack du CP sur la Old Malone Road. Mais en vertu d’ententes en vigueur, la SQ ne peut pas intervenir dans la réserve sans l’accord des Peacekeepers, à moins d’une situation exceptionnelle où la vie humaine serait autrement en danger, ce qui n’est pas le cas actuellement.

La Nation mohawk de Kahnawake estime que l’injonction accordée par la Cour supérieure de Montréal mardi matin est en soi un «acte de provocation et d’agression».

«Nous rappelons à la province de Québec et au gouvernement du Canada que notre territoire n’a pas été cédé et qu’il a été l’objet d’une expropriation illégale pour construire ce tronçon ferroviaire à la fin du 19e siècle, ajoute la Nation mohawk. Les Chemins de fer du Canadien Pacifique sont eux-mêmes un agent de colonisation. Ils ont volé les terres autochtones pour ouvrir une voie qui allait faciliter la colonisation et l’oppression dans l’Ouest [canadien]. Le Canadien Pacifique n’a pas l’autorité morale pour jouer à la victime devant la Cour supérieure du Québec. Notre terre a été l’objet d’un vol par cette compagnie.»

L’injonction déçoit d’autant plus les Mohawks que, avant d’aller la requérir, les dirigeants du Canadien Pacifique s’étaient montrés sensibles aux préoccupations des autochtones. Le 20 février, Keith Creel, le pdg de la compagnie, a même écrit à Justin Trudeau pour lui demander de donner suite aux requêtes faites par les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en qui souhaitaient avoir une discussion directe avec le premier ministre.

Plus tôt ce mois-ci, deux chefs héréditaires de Wet’suwet’en ont déposé une poursuite pour obliger le gouvernement fédéral à respecter ses cibles climatiques en modifiant ou en annulant des projets comme celui du pipeline Coastal GasLink.

Warner Naziel et Alphonse Gagnon soutiennent qu’en vertu de l’Accord de Paris, Ottawa a l’obligation constitutionnelle de respecter ses engagements de réduction de gaz à effet de serre, indique le Globe and Mail.

Selon eux, le gouvernement prive les droits à la sécurité et à l’équité des membres les plus jeunes et des générations futures de la communauté autochtone en permettant à des projets gros émetteurs de GES de se réaliser. Ils ajoutent que cette politique entre en violation avec l’obligation qu’a le Canada de contribuer aux efforts mondiaux pour empêcher un réchauffement catastrophique.