Un administrateur de Questerre Energy, une entreprise albertaine qui veut relancer l’exploitation du gaz de schiste au Québec, a discrètement été nommé à un poste stratégique au conseil exécutif, le ministère du premier ministre.
Le gouvernement a annoncé en décembre, la nomination d’Alain Sans Cartier, sans mentionner qu’il était administrateur de Questerre. De son côté, Questerre annonçait que M. Sans Cartier démissionnait de son conseil d’administration pour relever de nouveaux défis, mais sans dire lesquels. Il était membre du conseil d’administration depuis 2013.
M. Sans Cartier, qui était vice-président aux affaires publiques à l’Administration portuaire de Québec, a déjà été directeur de cabinet de Mario Dumont, quand celui-ci représentait l’Action démocratique du Québec à l’Assemblée nationale. Il est possible que sa nomination à un poste important au conseil exécutif ne signifie rien de plus que le recrutement d’un homme d’expérience qui partage les objectifs du gouvernement caquiste.
Mais cette nomination, passée plutôt inaperçue, s’ajoute à d’autres informations qui montrent qu’il y a plus d’affinités que de divergences entre le gouvernement Legault d’un côté et Questerre et l’industrie gazière de l’autre.
Pascal Bergeron, un militant gaspésien qui suit les activités de l’industrie gazière depuis des années, a réagi avec suspicion quand nous lui avons appris la nomination de M. Sans Cartier. «Je suis inquiet de voir le gouvernement recruter un administrateur d’une entreprise qui a déposé une poursuite contre lui pour le nommer à un poste névralgique», a-t-il commenté.
Au cours de la dernière décennie, une forte mobilisation citoyenne a obligé le gouvernement libéral de Philippe Couillard à interdire l’exploitation de gaz de schiste dans les Basses Terres du Saint-Laurent. Depuis, Questerre fait des pieds et des mains pour faire lever ce moratoire.
L’entreprise est dirigée par Michael Binnion qui se définit lui-même comme «un chef de file dans la campagne des hydrocarbures au Québec en tant que président de l’Association pétrolière et gazière du Québec» (qui s’appelle maintenant Association de l’énergie du Québec). M. Binnion rêve de creuser jusqu’à 10 000 puits entre Montréal et Québec et utilise toutes les stratégies pour arriver à ses fins.
Il a d’abord lancé une action politique, invitant les entreprises pétrolières et gazières à financer «Québec Fier», un groupe qui voulait faire tomber le gouvernement du Parti libéral du Québec aux élections provinciales d’octobre 2018. Cette campagne revenait à appuyer la Coalition Avenir Québec, principal rival du PLQ. Québec Fier s’inspirait de «Ontario Proud», un groupe également soutenu par M. Binnion et qui avait contribué à faire élire le conservateur Doug Ford en Ontario quelques mois plus tôt.
Le financement de campagnes politiques par les entreprises étant illégal au Québec, celles-ci pouvaient difficilement répondre à l’invitation de M. Binnion. Quoi qu’il en soit, les libéraux ont été battus par la CAQ. Un des fondateurs de Québec Fier, Jean-Philippe Fournier a alors été nommé attaché politique au cabinet du ministre des Finances, Éric Girard, dans le nouveau gouvernement caquiste.
Questerre a ensuite déposé une poursuite pour faire invalider les dispositions de la nouvelle Loi sur les hydrocarbures. Quand le Centre québécois du droit à l’environnement a manifesté son intention d’intervenir dans ce litige, l’entreprise a conclu une «trêve judiciaire» avec le gouvernement. Questerre a décidé d’avoir une «discussion» avec le gouvernement pour «explorer différentes options».
Questerre a demandé à SNC-Lavalin d’élaborer une nouvelle technologie de fracturation qu’elle pourrait qualifier de « propre». Puis elle a mandaté un lobbyiste, Bruno Leblanc, «afin que le gouvernement adopte une technologie propre appliquée à la production gazière». Elle espère qu’elle pourra obtenir les autorisations nécessaires pour tester cette technologie présumément «propre» dans les Basses Terres du Saint-Laurent. Il lui serait bien plus facile de faire cette expérience dans ses puits en Alberta, où il n’y a pas de contraintes gouvernementales, mais son but est de faire une brèche dans le moratoire au Québec.
Toujours dans ce but, Questerre a décidé d’acquérir la totalité des droits sur les licences de son partenaire Repsol, qui contrairement à elle possède plusieurs puits de forage dans les Basses Terres. Pour réaliser cette acquisition, Questerre devait d’abord faire approuver les plans de fermeture des puits de Repsol par le gouvernement.
En vertu de la Loi sur les hydrocarbures, le gouvernement exige en effet que les entreprises déposent des plans de fermetures de leurs puits, qu’elles aient ou non l’intention de les fermer. Ces plans sont accompagnés de garanties financières. C’est une façon pour le gouvernement de se protéger, comme il le fait avec les compagnies minières : il ne veut pas être obligé d’avoir un jour à fermer les puits de gaz ou de pétrole à ses frais. Une entreprise n’a pas le droit d’exploiter un puits tant qu’elle n’a pas fait approuver les plans de fermeture de tous ses puits.
Des documents obtenus en vertu de la Loi d’accès à l’information par Pascal Bergeron, porte-parole d’Environnement Vert Plus, lui laissent comprendre que le gouvernement a traité en priorité les plans de fermeture de Repsol, ce qui a eu pour effet d’accélérer le transfert des licences de Repsol à Questerre. Selon lui, ces documents montrent que le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a soumis ces plans au ministère de l’Environnement bien avant les plans déposés par les autres compagnies. Depuis l’adoption de la Loi sur les hydrocarbures, 69 plans de fermeture ont été soumis par diverses entreprises gazières et pétrolières. Le 7 janvier 2020, le gouvernement en avait approuvé 11, tous de Repsol/Questerre.
Le 22 janvier, Questerre pouvait devenir officiellement propriétaire des puits de Repsol. Le 15 février, elle communiquait avec les propriétaires concernés pour les informer qu’elle détenait désormais toutes les licences d’exploration sur leurs terrains.
Catherine Ippersiel, relationniste du MERN, m’a affirmé dans un courriel qu’il n’y avait aucune négociation entre le gouvernement et la compagnie. Pascal Bergeron a des doutes. Le MERN a refusé de lui divulguer la correspondance entre Questerre et la sous-ministre associée à l’Énergie, Luce Asselin. On lui a dit qu’il s’agirait de documents «du bureau d’un membre de l’Assemblée nationale ou […] produit[s] pour le compte de ce membre par les services de l’Assemblée».
«Tout porte à croire que les demandes de Questerre ne sont pas traitées seulement au niveau administratif, mais aussi au niveau politique, conclut M. Bergeron. Dans ce contexte, la nomination d’un administrateur de Questerre à un poste névralgique au gouvernement est complètement indécente. Il est clair que même s’il a démissionné du conseil d’administration, M. Sans Cartier a des relations privilégiées avec les dirigeants de Questerre.»
Le Secrétariat du comité ministériel de l’économie et de l’environnement a pour fonction de produire des avis, des analyses et des recommandations au Comité ministériel de l’économie et de l’environnement, formé notamment des ministres de l’Énergie, de l’Environnement, des Finances et de l’Économie. À son tour, ce comité formule des recommandations au Conseil des ministres.