Une telle proposition devrait nous faire rire si cette dernière ne témoignait pas d’une considérable étroitesse d’esprit doublée d’une argumentation malhonnête.

Comment s’appuie le diagnostic de ces chantres de la pensée libre? Selon eux, «beaucoup» de professeurs auraient «monopolisés» les établissements d’enseignement et «sélectionneraient minutieusement» d’autres endoctrinés pour cimenter leur ascendant.

Non seulement une telle lecture frise la paranoïa, mais n’importe quel étudiant en sciences sociales, celles-là mêmes que nos polémistes s’entêtent à dénoncer, vous expliquera que, pour défendre de tels propos, il ne suffit pas de verser dans le superlatif : il faut fournir des faits, une appréciation objective du réel.

Avec de telles expressions aussi floues que grossières, nos libellistes s’élèvent au-dessus de toutes critiques tout en restant dans le vague.

Est tout autant vague la compréhension que nos pamphlétaires ont des théories qu’ils dénoncent. Sont cités entre autres des concepts comme «intersectionnalité», «théorie critique», «séparatisme lesbien» ou «islamophobie», pour ne nommer que ceux-là. Cette bouillie conceptuelle est pour le moins incohérente et démontre surtout que nos polémistes ne savent pas de quoi ils parlent. Écouteraient-ils plus en classe plutôt que de vitupérer sur leurs libertés brimées, ils comprendraient au minimum que la majorité des idées qu’ils citent sont dotées d’un contenu qui peut considérablement varier, voire s’opposer, et qu’elles n’entrent certainement pas toutes dans cette loufoque catégorie fourre-tout du «postmodernisme».

Mais le vrai péché proviendrait du fait que ces théories s’opposeraient aux valeurs nationalistes de nos fiers gardiens identitaires. En posant le débat dans le cadre d’une lutte entre, d’une part, la pensée de «l’Empire anglo-saxon» et son «extension du domaine de lutte» (subtile, la référence à Houellebecq) qui vise à dissoudre le roc de la «Nation», et de l’autre, le droit de défendre sa «terre et sa patrie», nos chevaliers de la dissidence proposent une vision polarisée à l’extrême d’un débat gauche/droite artificiel. On croirait lire une version fast food des Nègres blancs d’Amérique.

C’est bien là ce qu’il y a de plus déprimant avec ce texte d’opinion : à défaut d’une critique nuancée des excès de certaines formes très précises de théories contemporaines en sciences sociales, nos dénonciateurs forment une image caricaturale des idées de leurs adversaires politiques en les opposant diamétralement à leurs propres valeurs nationalistes.

En philosophie, il existe un sophisme pour nommer cela : le recours à l’homme de paille pour simplifier et ridiculiser la position adverse. La réplique de Francis Dupuis-Déri, parue dans Le Devoir le lendemain, montre bien aussi comme le jugement de nos valeureux critiques est teinté d’un biais de confirmation aussi grossier que leur nationalisme onctueux.

Peu importe notre allégeance politique, après avoir lu le Manifeste contre le dogmatisme universitaire, on conviendra que la pensée indépendantiste et nationaliste mérite mieux qu’un brulot de mauvais goût aux relents réactionnaires.

Nos thuriféraires défendent ainsi le droit à la dissidence et à en finir avec la «rectitude politique». Grand bien leur en fasse! Autant que je sache, nos universités et cégeps sont toujours, jusqu’à preuve du contraire, de hauts lieux de débats et de dialogues. S’ils dénoncent le fait qu’on les brime dans leur liberté de parole, je propose comme hypothèse que ce n’est pas qu’on ne tolère pas leurs idées, mais qu’ils aient tout simplement tort.

Samuel-Élie Lesage, conseiller syndical, chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économique (IRIS), détenteur d’une maîtrise en philosophie de l’Université de Montréal et d’un certificat en droit social et du travail de l’UQAM.