La scène était filmée et la nation a pu être témoin de la cacophonie : le fiston pleurant s’est réfugié dans les bras de sa mère, qui a porté plainte contre l’élu RN pour incitation à la haine, ce qui a permis aux islamophobes d’affirmer que la mère était en réalité une militante islamique. Et voilà la France replongée dans une polémique au sujet des «femmes voilées», qui menaceraient la civilisation occidentale. Défense de rigoler.

Accablé par l’insomnie en raison du décalage horaire, j’ai passé de longues nuits à zapper devant une télévision qui ne proposait que des «débats» au sujet de cette «affaire». La chaine TF1 a présenté pas moins de 42 «débats» en cinq jours! J’attrapais au passage quelques infos sur les Kurdes aux prises avec l’offensive de l’armée turque.

De rares intervenants soulignaient que l’élu d’extrême droite avait dépassé les bornes et que son invective n’avait pas de fondements juridiques, mais les animateurs les rappelaient à l’ordre en disant : «Oui, bien sûr, mais nous voulons pousser le débat plus loin, alors revenons à cette mère voilée». Or voilà des siècles que la France est obsédée par les corps des peuples qu’elle a colonisés et maintenant 30 ans que les partis et les médias se sont emparés de «la question du voile» dans ce pays qui n’en finit plus de polémiquer et d’attaquer les musulmanes qui se couvrent les cheveux.

C’est tout de même curieux que ce pays de liberté d’expression, de #JeSuisCharlie et du «On peut rire de tout» punisse pourtant l’appel à boycotter Israël et interdise d’exprimer sa foi en se couvrant les cheveux ou en voulant profiter de la plage en burkini.

À voir les surenchères en France depuis au moins 30 ans, il faut craindre que la Loi 21 sur la laïcité de l’État ne permette pas du tout de «tourner la page» au Québec, à ce sujet. Nul doute que la dérive des incontinents s’y poursuivra pendant des décennies, les islamophobes ne pouvant retenir le flux de leur mépris, de leur colère et de leur haine contre les musulmanes qui se couvrent les cheveux. On provoquera alors des polémiques nationales à la moindre occasion, pour stigmatiser une femme à la piscine, à la bibliothèque, à la cabane à sucre…

Dans les «débats» télévisés que je regardais en essayant de m’endormir, il n’y avait pourtant aucune de ces «femmes voilées» qui envahissent la France, nous répète-t-on. Le journal Libération a dénombré 286 intervenantes et intervenants à ce sujet sur quatre chaines télévisées, mais aucune femme voilée. Zéro.

Curieuse invasion, finalement… Surtout en comparaison de l’offensive turque contre les Kurdes.

Or il est très pratique de ne pas inviter de femmes qui se couvrent les cheveux, puisqu’on peut alors expliquer à leur place leurs intentions et la signification de leur choix : c’est l’expression de l’idéologie islamiste, un signe de l’islamisation de la France, la répétition de ce qui s’est passé en Iran et ailleurs, une attaque contre les valeurs françaises et la république, un symbole abject de l’oppression de femmes (à qui on n’offre la parole et l’éducation qu’à condition qu’elles montrent leurs cheveux).

Le polémiste Alain Finkielkraut, à qui on a demandé son avis, expliquait que ce voile représente la «non France»! Rien de moins. Il n’y a pas si longtemps, on évoquait l’«anti-France» au sujet des Juifs, des francs-maçons et des communistes. C’est évidemment la même rengaine, mais pour parler des musulmanes. Il n’y a d’ailleurs pas de telles polémiques aujourd’hui au sujet des Juifs, des Sikhs et des religieuses catholiques qui se couvrent les cheveux en partie ou en totalité. Ni au sujet de la messe solennelle célébrée à la mort de l’ancien président, Jacques Chirac. Seule une musulmane a le pouvoir de faire trembler — de colère — «la France». Un intervenant a d’ailleurs comparé le voile à un «uniforme SS»! Pourquoi pas une bombe atomique, tant qu’à y être?

Et les Kurdes, dans tout ça? Les médias français (et moi aussi) s’inquiétaient de leur sort. Avec raison. Les Kurdes sont sympathiques pour avoir combattu l’État islamique. D’ailleurs, des milices islamistes participent à l’offensive turque pour les écraser. C’est dire comme on les aime, les Kurdes, qui ont même mis en place des structures politiques s’inspirant du «municipalisme libertaire» de Murray Bookchin, avec une touche féministe pour s’assurer qu’il y ait des femmes dans toutes les instances démocratiques.

La télévision française présentait des images des populations civiles kurdes en fuite, lors des brefs topos télévisés insérés entre deux «débats» au sujet du «voile». C’était vraiment triste à voir. Mais devinez-quoi? Toutes les femmes kurdes emportées dans les déplacements des populations civiles avaient les cheveux couverts d’un voile. Toutes.

Et il y a quelques jours, un ancien candidat du Front national (renommé depuis Rassemblement national) aux élections départementales de 2015 a attaqué une mosquée à Bayonne. Il a blessé gravement deux hommes en les criblant de balles. Selon les médias, ce terroriste, un homme de 84 ans, ne se couvrait pas les cheveux.