Mais ne pleurez pas sur mon cas. Non, vraiment, attendez avant d’envoyer vos dons parce que je ne peux pas dire que je la vois, cette haine qu’on me voue supposément. Même que c’est plutôt le contraire : sur certains sujets, ma parole semble bénéficier d’une prime instantanée. La «prime monsieur», si on veut.

Il fut une période où je commettais assez régulièrement des textes qu’on pourrait qualifier de féministes. Le Québec et le monde se réveillaient enfin à l’idée que le viol, le harcèlement pis toutes ces histoires-là, c’était, et je paraphrase, «pas cool». Les sujets ne manquaient pas dans l’actualité, et «me too» j’avais des choses à dire.
À force de faire de ces chroniques mordantes où je disais aux puissants des vérités qui font mal telles que «Hey! Arrête de taponner les femmes sans leur consentement», j’ai fini par remarquer un pattern.

Alors que ma version longue de «C’tu juste moi, ou bedon on ne devrait pas traiter les femmes comme des vidanges» me valait des pluies d’éloges, les femmes qui parlaient de problèmes qu’elles connaissaient pour les avoir vécus et qui mettaient leurs tripes et leurs convictions dans chaque phrase recevaient des grenailles de reconnaissance.

J’ai fini par radicalement diminuer mes contributions sur les sujets féministes, parce que j’étais mal à l’aise.

Mes amies blogueuses féministes publiaient dans la presque indifférence ou étaient confinées à des cercles spécialisés, alors que j’avais droit au splotlight. Pas juste mon texte. Pas seulement mes idées. Moi, comme personne.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le texte que vous lisez en ce moment n’est pas signé. Je ne veux pas qu’on parle de moi. Je veux qu’on parle de ce fait que je trouve troublant : même dans les cercles qui se disent féministes, il n’y a rien comme pisser debout pour qu’on reconnaisse ta parole et qu’on te célèbre.

Faque on fait quoi?

J’ai pris du temps à réagir publiquement aux assauts actuels contre le droit à l’avortement.

Un peu à cause de mes expériences passées, mais aussi un peu parce que mon inconscient a traité ça comme «un combat pour les femmes». Ouin. Mon inconscient est de la chnoute, des fois.

Après une journée et demie à voir toutes les femmes de mon réseau en parler, j’ai fini par me trouver idiot de me tenir en marge du débat.

J’ai alors pris quelques minutes pour écrire un petit quelque chose qui parlait de mon inconscient de chnoute et qui y allait de cette déclaration-choc : «L’avortement n’est pas un combat de femmes. C’est un combat pour tout le monde.» (Merci, merci. Non, vraiment, restez assis, c’est trop. Moi non plus, je ne sais pas où je prends tout ça.)

Mon statut Facebook a récolté plus de 150 j’aime en quatre heures. J’aurais aimé pouvoir faire comme dans les pubs de St-Hubert, et conclure «Le présent chroniqueur a choisi de verser ses likes Facebook au Centre de santé des Femmes». Mais je ne peux pas.

Tout ce que je peux faire, c’est me demander où étaient ces pouces en l’air quand ELLES écrivaient leurs histoires d’avortement? Où était l’appui quasi universel quand ELLES lançaient leur colère sur les médias sociaux?
Parce qu’aux 150 J’aime de mon statut Facebook, je peux opposer les 12 faméliques réactions qu’a obtenu mon partage du très bon texte d’Urbania, où 15 femmes racontent leur avortement.

Un dude qui donne son avis écrit sur un coin de table > 15 femmes qui racontent leur histoire. La «prime monsieur» à l’œuvre.

C’est d’autant plus décourageant que la prime vient souvent en tandem avec plusieurs commentaires de femmes tristement réalistes qui écrivent «Merci d’en parler. Peut-être que venant d’un homme le message va plus passer.»

Je vous mentirais si je vous disais que je sais quoi faire avec ça.

Personnellement, je vais continuer à rester un peu en retrait, et je vais essayer de privilégier être un porte-voix, plutôt que d’être la voix. Je vais partager autant que je peux les récits et les idées de celles qui méritent d’être entendues.

Mais collectivement, j’ai l’impression que nous sommes tous dus pour une analyse de nos réflexes et de nos biais inconscients. Se pourrait-il qu’on prenne la parole de certaines pour acquise?

Une féministe affichée qui est en colère contre le patriarcat? What’s new….
Oh, un HOMME qui est fâché contre le patriarcat? Quel point de vue inédit! Qu’on donne un show de télé à ce révolutionnaire!

J’ai envie d’être un allié. J’ai envie d’être de ces combats fondamentaux pour toutes et tous. Mais je ne veux pas le faire au détriment d’autres qui n’ont pas la chance que j’ai de pisser debout.

Quelles voix décidons-nous d’amplifier? Quelles prises de paroles applaudit-on avec un entrain peut-être un peu exagéré? A-t-on tendance à diminuer la valeur de certaines voix et à en valoriser d’autres pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur propos?

Je pose la question. Et qui sait, puisque c’est un homme qui le dit, peut-être que quelqu’un essaiera même d’y répondre.