La bonne nouvelle : des millions de jeunes, incluant des élèves du secondaire, faisaient la grève pour avoir le temps de manifester et de servir au reste de la société un électrochoc plus que nécessaire pour reconnaître l’urgence de la crise climatique.
La mauvaise nouvelle : l’extrémisme de droite et l’islamophobie ont frappé à nouveau, cette fois à Christchurch en Nouvelle-Zélande.
Historienne du livre et friande d’actualité internationale, j’ai voulu réfléchir aux réflexes que j’ai eus pour suivre en direct les développements concernant ces deux événements, l’un à l’autre bout de la planète, l’autre juste dans le bas de la ville où j’habite.
C’est quoi, ça, l’histoire du livre?
Ma discipline porte mal son nom: dans les congrès auxquels je participe, on ne parle pas que d’imprimé. L’histoire du livre s’intéresse tant aux tablettes sumériennes qu’aux balados des dernières années.
Chacun et chacune à notre façon, nous demandons, d’une part, qui produit ce qui se publie et par quels moyens techniques. Nous étudions, d’autre part, à l’autre bout du circuit, qui consomme et dans quelles conditions matérielles. Est-ce en lisant à la chandelle? en écoutant une personne faire la lecture à voix haute à toute la famille? Juste en feuilletant dans un magasin?
Bref, les réseaux sociaux et la circulation de l’information, ce n’est pas très loin de mon objet de recherche, même si le mien se trouve maintenant surtout immobilisé dans des bibliothèques de livres rares. C’est ce regard historique que je porte sur les médias.
« We are live »
Jeff Yates de Radio-Canada, Charlie Warzel du New York Times et Jane Coaston de Vox parlent, chacun et chacune à leur façon, d’une idéologie née et d’un attentat fait sur mesure pour les réseaux sociaux.
Moi, comme à chaque attentat terroriste, ce n’est pas sur les réseaux sociaux que je me suis jetée (outre pour vérifier si mes amis Facebook sont à l’abri). J’essaie plutôt de trouver une couverture en direct avec une composante audio qui me permettra de travailler en même temps. Comme je parle la langue du lieu où s’est produit l’attentat, j’ai cherché une chaîne locale de nouvelles en continu.
Mon objectif était de savoir, autant que possible, comment la Nouvelle-Zélande se racontait ce qui s’était passé. Au final, même mon réseau privé virtuel (mieux connu sous l’acronyme anglais VPN) ne m’a pas permis d’accéder à un média audiovisuel qui me permettrait de répondre à cette question.
J’ai abandonné mes efforts de trouver une couverture en direct néo-zélandaise des suites de l’attentat, mais seulement après avoir écouté un reportage vidéo du New Zealand Herald :
New Zealand has always prided itself on being a peaceful country. Terror attacks didn’t happen to us. We were safe here on our islands at the bottom of the world.
Quand on est familier avec les médias du XIXe siècle, on sait tout de suite qu’un Herald est un organe de la presse écrite. Alors oui, j’ai trouvé mon reportage vidéo (j’allais écrire «télé») sur le site Web d’un journal. (Après vérification, le New Zealand Herald, fondé en 1863, publie toujours une édition papier.)
The kids are all right
Après la matinée dominée par l’horreur à Christchurch, il était venu le temps de se tourner vers la manifestation qui réchaufferait nos cœurs, comme en témoigne ce tweet d’Anarchopanda.
The kids are alright. #manifencours #GrevePourLeClimat #climatestrike pic.twitter.com/ciGdchLZXh
— Anarchopanda (@Anarchopanda) 15 mars 2019
Déjà, au lever, on avait appris que plusieurs écoles secondaires montréalaises, dont mon alma mater Sophie-Barat, étaient en grève. Ç’a particulièrement touché mes anciens camarades de classe de voir notre école toujours aussi mobilisée! Dans notre temps, nous avions manifesté contre la guerre en Afghanistan (les souvenirs des camarades divergent).
Dans l’objectif de transmettre les sentiments de fierté des anciens et anciennes à la génération actuelle de manifestantes et manifestants ahuntsicois, je suis allée faire un tour sur Instagram, une plateforme que je n’utilise pas moi-même.
J’espérais, sans vraiment y croire, repérer des Batraciens ou des Batraciennes qui pourraient passer le mot aux autres… J’ai trouvé l’équipe d’impro, mais je n’ai pas compris comment utiliser le moteur de recherche de manière optimale pour trouver d’autres groupes.
Je suis passée à une plateforme que je maîtrise davantage: Twitter. Malheureusement, je n’y ai pas trouvé de #SophieBaratrepresent… Toute l’action semblait se passer sur le bon vieux mot-clic #manifencours, qui a rendu nostalgique Amara Possian, diplômée de McGill qui y travaillait durant la grève de 2012, maintenant professeure à Seneca College à Toronto:
Ça résume bien.???? #manifencours #climat pic.twitter.com/xNmXtObq0M
— Aurore Fauret (@uneaurore) 15 mars 2019
On peut venir de loin pour suivre un événement sur Twitter. On peut aussi venir de loin pour écouter une télévision locale, mais à condition qu’elle soit disponible en ligne. Les nations n’ont pas toutes la même capacité d’exprimer leurs nouvelles locales sur la scène internationale, et ça n’a rien de nouveau là-dedans.
Au XIXe siècle, pour suivre l’actualité internationale, il fallait soit s’abonner soi-même à des journaux étrangers distribués à l’international, soit se fier à ce que les médias de chez soi réimprimeraient en provenance d’ailleurs.
Les journaux du Québec et de la Nouvelle-Zélande n’ont certainement jamais rayonner à l’international autant qu’ils ne le peuvent aujourd’hui. Toutefois, comme j’ai dit, je souhaitais écouter, pas lire.
Nous le verrons, #manifencours n’a pas étanché ma soif d’expressions plus directes de l’événement en cours. Les jeunes qui manifestaient sont de la génération qui a déserté Facebook et Twitter pour l’application Snapchat, réservée aux cellulaires.
Internet donne, techniquement, un lieu commun. Pour faciliter la communication et la diffusion, des plateformes sont apparues, fragmentant l’espace tout en demeurant toujours dans ce lieu commun accessible par n’importe quel navigateur.
Est-ce que les applications sont en train de se détacher du lieu commun qu’a été le Web?
La suite au prochain épisode.