J’ai reçu, cette semaine encore, des images à caractères pornographiques de la part d’un inconnu. Les féministes «aliénées» qui osent se défendre se font remettre à leur place. C’est ce qui m’a motivé à rédiger ce billet : on se radicalise, la colère monte parce que la violence à notre égard est sublimée. Internet nourrit l’exclusion et nuit inéluctablement à la lutte des féministes.

L’antiféminisme à gorge déployée dont les luttes féministes sont la cible, comme on peut le voir dans les sections commentaires de presque tous les médias à grand tirage, illustre avec éclat le mépris et la brutalité qu’on réserve aux femmes qui parlent trop longtemps ou trop fort. Les femmes qui affichent publiquement leur militantisme sont soumises à des insultes, des menaces, du harcèlement en ligne et parfois même en personne – mention spéciale aux «dickpics» non solicitées, phénomène en vogue à l’ère des réseaux sociaux.

Les impacts dans ma vie

J’ai longtemps souffert des attaques à mon endroit, tant dans la rue que dans ma boîte de messages privés. Un jour, je me suis levée et ce n’était plus rare, mais plutôt la routine. Le train-train quotidien. il est évidentque mon passé dans le milieu du travail du sexe a joué un rôle important dans les attaques virtuelles dont j’ai été la cible depuis 2016.

En plus des discours haineux à mon endroit, les intrusions dans ma vie personnelle font dorénavant partie de mon quotidien. Presque trois ans après ma dénonciation, des hommes m’abordent encore dans des endroits publics.

La plupart d’entre eux débutent en soulignant mon courage, en me remerciant d’avoir dénoncé publiquement mon agresseur. S’ensuivent des invitations et de la drague, des allusions sexuelles et des avances. Comme ma sexualité a été étalée publiquement dans les médias, il est donc «logique» qu’on puisse me harceler et me solliciter sans scrupule, que ce soit en ligne ou en personne.

Ces hommes, pourtant, peuvent dire les pires obscénités à répétition, nous faire craindre pour notre sécurité, mais se lèveront demain matin, boiront leur café, iront travailler, rentreront à la maison pour s’installer ensuite devant leur ordinateur. En plus d’avoir peur en marchant dans la rue, dans les bars, quel que soit l’endroit public, la peur s’installe aussi dans notre vie intime, derrière nos écrans.

Ces formes de violence psychologique n’aspirent pas à stimuler le débat ou à faire avancer la réflexion collective. Elles visent explicitement à nous blesser, à nous rappeler notre place, à nous faire taire ou à nous réduire à des objets sexuels. Ce ressac virtuel, mené entre autres par des masculinistes et des gens qui se sentent attaqués par le mouvement féministe, a un impact réel sur la vie émotionnelle et la santé mentale des femmes visées.

Le sujet est sur la table depuis un moment déjà. Le terme Troll est couramment employé pour désigner les individus qui s’en prennent ainsi à des femmes qui ont une visibilité publique.

S’il est si difficile pour ces mêmes femmes d’éviter ces interactions néfastes, c’est parce qu’il est presque impossible, pour la majorité des personnalités publiques, de déserter les réseaux sociaux, devenus indispensables à l’exercice de leur métier.

Comment affronter ce problème?

S’il est si difficile pour ces mêmes femmes d’éviter ces interactions néfastes, c’est parce qu’il est presque impossible, pour la majorité des personnalités publiques, de déserter les réseaux sociaux, devenus indispensables à l’exercice de leur métier.

En effet, ces mêmes réseaux sociaux, qui exposent davantage les femmes au risque de harcèlement en ligne, sont parallèlement devenus un outil de travail dont il est difficile de se passer. Sur 357 journalistes françaises interrogées pour une enquête menée par l’entreprise Cision au second tour des présidentielles de 2017, 94% d’entres elles ont indiqué qu’elles utilisaient les réseaux sociaux – Facebook et Twitter en tête – dans le cadre de leur travail. Parmi celles-ci, 77 % s’en serviraient pour publier ou promouvoir leur contenu, 73 % pour suivre les autres médias ou leur domaine de prédilection et 70 % pour interagir avec le public.

Une partie importante du pouvoir des Trolls réside dans leur impunité. Et si on exposait publiquement ces hommes? Le militant et blogueur Francis Lagacé a publié en juin 2013 un billet sur le phénomène des Trolls, dans lequel il affirme : « Le troll s’alimente à la rage qu’il fait naître en vous. L’en priver, c’est l’affamer et le laisser dépérir ». Six ans plus tard, où en sommes-nous? Ignorer les Trolls est une stratégie nécessaire pour préserver sa santé mentale, mais est-elle suffisante pour adresser plus largement le phénomène?

Au cours des siècles derniers, il ne nous aura pas été donné de lutter sans avoir à craindre pour notre sécurité.

Au Québec, nous devons faire état de la spécificité de ces attaques: Il semblerait qu’elles soient d’autant plus fréquentes dans les publications concernant l’Enquête Nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues, le port du voile et la question des genres. En considérant ce bassin, on tient quelque chose. On a une direction où aller. D’ores et déjà, nous savons que ce sont les femmes qui en sont les principales boucs émissaires.

Au cours des siècles derniers, il ne nous aura pas été donné de lutter sans avoir à craindre pour notre sécurité. Considérant que les échanges sous certains articles publiés sur les réseaux sociaux ne sont aucunement constructifs, les médias Québécois devraient prendre la décision de fermer les sections commentaires en considérant la violence des interlocuteurs et l’impact considérable qu’ils ont dans nos vies.

Les Trolls et leurs effets dans l’espace public sont bel et bien pointés du doigt, comme dans le documentaire de Pénélope McQuade, Troller les trolls, ou encore en politique, avec plusieurs élus Québécois et Canadiens qui répondaient dernièrement à la proposition apportée à l’Assemblée Nationale Française de rendre obligatoire l’identification sur les plateformes telles que Twitter et Facebook.

Il me semble important de souligner, une nouvelle fois, que les principaux responsables n’ont pas à vivre avec les conséquences de leurs actes. Cette violence ne peut mener qu’à davantage de violence. Une chose me semble très claire : pour mener à bien cette lutte féministe contre la peur de s’exprimer publiquement sur les enjeux qui nous tiennent à coeur, comme pour toutes les autres luttes féministes, nous devrons insister et nager encore plus fort à contre-courant.