Jeunes, branchés, ils ont découvert Twitter avant tout le monde, et ont imposé leurs codes sur cette plateforme aujourd’hui utilisée par 330 millions de personnes dans le monde. De gauche, ils travaillaient pour des médias prestigieux, Libération, les Inrockuptibles ou encore Slate. Ils se pensaient au-dessus de tout, ils se pensaient marrants, ils se pensaient invisibles.

Depuis une semaine pourtant, des témoignages sont publiés sur twitter, qui font la lumière sur des faits graves. De l’intimidation, des menaces, des injures sexuelles, racistes, homophobes. Des canulars aussi, de fausses promesses d’embauches, des photomontages pornographiques. Les victimes ont toutes fait état d’un effet de meute, d’une multitude de personnes cachées derrière des comptes anonymes qui les ont attaquées, des années durant.

Au total, une trentaine de journalistes sont en cause dans cette affaire. Les victimes, elles, témoignent depuis une semaine, et racontent les blagues à caractère sexuel qu’elle recevaient massivement, qui se transforment peu à peu en harcèlement systématique. Les membres de la ligue du LOL se sont tous expliqués, puis excusés. Ils ont dit ne pas s’être rendu compte de leurs actions. Aujourd’hui, disent-ils, ils réalisent le sens du mot harcèlement, à l’époque pour eux, c’était des blagues.

Derrière la ligue du LOL, se cache en réalité un mécanisme éculé et présent partout dans la société, celui du boys club, incarnation jeune et branchée du patriarcat qui partout, rend les femmes plus vulnérables, plus précaires, moins bien payées et rarement placées dans les postes à responsabilités.

Des témoignages accablants

«À chaque « thread » politique, à chaque gueulante féministe ou contre la grossophobie, je savais que j’allais payer le prix de ma liberté d’expression, le prix de mes idées jugées nazes par un petit groupe de harceleurs, la ligue du LOL», a témoigné la blogueuse féministe Daria Marx, pour qui le simple fait d’être féministe, «suffisait à les faire rire».

Sur son blog, elle raconte. «Des insultes, des « blagues », des photos volées et trafiquées, des tentatives d’intimidation, des menaces de viol, des menaces de mort, des menaces sur la sécurité, des menaces de divulguer mon adresse, bref. Ils se lançaient en meute contre moi, et tous les autres suivaient».

Capucine Piot, qui avait 21 ans à l’époque et débutait en tant que journaliste dans la presse féminine, fait état du même genre d’attaques, en meute, toujours. «La #liguedulol m’a repérée et a commencé son travail de sape petit à petit. Montages photos/videos visant à se moquer de moi. Archivage des petites bêtises que j’avais pu tweeter pour me les ressortir systématiquement».

Pour une jeune journaliste, qui arrive dans le milieu, les conséquences ont été dévastatrices. À un moment, j’en suis arrivée à un stade où je me détestais. J’ai eu des idées sombres. À force de lire des saletés sur moi partout sur les réseaux, j’ai été convaincue que je ne valais rien. Ça a été très dur dans ma construction de jeune femme», témoigne Capucine Piot sur son compte twitter.

Nassira raconte avoir été la cible de moqueries racistes, de canulars téléphoniques ou de dénigrement constant. Là aussi, la direction a protégé ces étudiants, des hommes, pressentis pour devenir de grands journalistes.

La libération de la parole de victime a aussi touché les milieux étudiants. Le 14 février, 580 étudiant.es en école de journalisme ont signé une tribune dans le quotidien Libération pour exiger des mesures concrètes contre le harcèlement dans le milieu. Nassira El Moaddem, aujourd’hui journaliste reconnue, a témoigné de cet entre soi qui régnait déjà dans la prestigieuse école de journalisme de Lille, où elle a étudié.

«Dès les premiers jours, j’ai très rapidement compris qu’il y avait un problème : un petit groupe d’étudiants, composé d’hommes exclusivement, considérés très vite comme populaires au sein de l’école, y faisaient la pluie et le beau temps, créaient des réputations, se moquaient, lançaient des brimades, rabaissaient», écrit-elle dans une tribune publiée sur Medium, où elle raconte avoir été la cible de moqueries racistes, de canulars téléphoniques ou de dénigrement constant. Là aussi, la direction a protégé ces étudiants, des hommes, pressentis pour devenir de grands journalistes.

Quand la France découvre le boys club

Après la vague des témoignages, arrive maintenant celle de la réflexion, et la presse française est en train de réaliser la nocivité de son entre-soi, de prendre conscience qu’elle n’échappe pas aux logiques de domination masculine et raciale, qu’à gauche aussi, on y trouve les pires salopards. Car derrière la ligue du LOL, se cache en réalité un mécanisme éculé et présent partout dans la société, en France comme au Québec, celui du boys club, incarnation jeune et branchée du patriarcat qui partout, rend les femmes plus vulnérables, plus précaires, moins bien payées et rarement placées dans les postes à responsabilités. Et cette réalité dépasse le milieu du journalisme.

Les membres de la ligue du LOL s’attaquaient à celles et ceux qui n’étaient pas comme eux, des hommes, blancs, hétérosexuels et qui évoluaient dans un milieu privilégié.

Cette affaire ne concerne pas seulement le petit milieu de la presse parisienne. Essayiste, romancière et professeure d’étude littéraire à l’Université du Québec à Montréal, Martine Delvaux a été contactée par des dizaines de journalistes français, pour parler d’un phénomène presque inconnu dans l’hexagone, celui du boys club.

Et la France découvre l’ampleur de ce phénomène, définit par Martine Delvaux comme «une structure qui a avoir avec la manière dont s’incarne la masculinité dans nos sociétés nord-américaines européennes. La ligue du LOL, ça rend visible un phénomène qu’on n’arrivait pas à voir, il s’agit d’hommes, qui s’écoutent, s’entraident, se protègent les uns aux autres et se passent le bâton du pouvoir. C’est présent partout, dans les administrations, le parlement, les conseils des ministres, les universités», définit-elle.

«Il faut comprendre que cette ligue du LOL, c’est le symptôme d’un problème beaucoup plus vaste, sinon on ne la comprend pas. Surtout, la ligue du LOL, c’est un événement qui s’est passé il y a 10 ans, on est dans une sorte de décalage, ça nous permet de réfléchir au monde dans lequel on vit maintenant, il faut le voir comme une petite manifestation d’un problème beaucoup plus grand et propagé partout», analyse Martine Delvaux.

Les membres de la ligue du LOL s’attaquaient à celles et ceux qui n’étaient pas comme eux, des hommes, blancs, hétérosexuels et qui évoluaient dans un milieu privilégié.

«On protège ceux qui nous ressemblent. La masculinité met en avant l’agressivité, la domination, la violence et tous les gestes qui viennent avec, les insultes, le harcèlement, l’humour, mais l’humour pas drôle. Le racisme et l’antiféministe, sont forcément présents et ce discours va toucher celles qui s’opposent aux boys club».

Pour Martine Delvaux, il est certain que le Québec devrait se sentir aussi concerné par cette affaire, même si elle admet qu’ici, les discussions autour du féminisme, des boys club et de la parité sont plus avancées qu’en France.

«En ce moment au Québec on travaille beaucoup pour montrer qu’on est paritaire. Il faut toujours être critique par rapport a cette parité, si on nomme des femmes au conseil des ministres, et qu’on leur donne toujours des dossiers en lien avec les femmes, les personnes âgées, la famille, on reconduit des stéréotypes. Et les dossiers aux portefeuilles importants, c’est toujours pour les hommes», soulève-t-elle.

«Ce paradoxe, on le trouve souvent dans les milieux de gauche militants. On le sait pour en avoir entendu parlé par rapport au milieu militant pendant la grève étudiante de 2012 au Québec, ils étaient aussi capables d’agressions sexuelles et de reproduction de stéréotypes genrés, ils ne sont pas à l’extérieur du social, ils sont fabriqués de la même matière […]»

Preuve en est, le gouvernement de François Legault, qui s’est targué d’être paritaire, cache en réalité un boys club. Comme le rapportait la Presse canadienne en novembre dernier, sur les 28 cabinets du gouvernement Legault, 19 sont dirigés par des hommes et 9 par des femmes.

Les nominations de hauts fonctionnaires n’ont pas non plus échappé à la logique du boys club. Depuis son entrée en fonction, il a nommé 21 hauts fonctionnaires, dont 14 hommes et 7 femmes. Au Québec, les écarts salariaux sont encore en faveur des hommes. Quand un homme touche 1 dollar, une femme en touche 0,8. Surtout, soulève l’écrivaine, la logique des boys club est partout, autant dans les milieux conservateurs que militants.

«Ce paradoxe, on le trouve souvent dans les milieux de gauche militants. On le sait pour en avoir entendu parlé par rapport au milieu militant pendant la grève étudiante de 2012 au Québec, ils étaient aussi capables d’agressions sexuelles et de reproduction de stéréotypes genrés, ils ne sont pas à l’extérieur du social, ils sont fabriqués de la même matière, malgré leurs bonnes ou moins bonnes intentions», commente la professeure.

Après la grève étudiante, de nombreux cas d’agression sexuelle avaient été soulevés dans les milieux étudiants et militants, mais les témoignages n’avaient pas eu l’écho que peut avoir aujourd’hui la ligue du LOL.

À savoir si une «Ligue du LOL québécoise» peut exister, dans les médias ou dans un autre milieu largement dominé par les hommes, la réponse pourrait dépendre d’une prise de parole, douloureuse, de celles et ceux qui ont vécu ou qui vivent encore sous l’emprise d’un boys club.