Les pancartes «à louer» n’existent plus depuis plus d’une décennie à Val-d’Or. «En 2009 : taux d’inoccupation 0 %, prix moyen pour un 4 et demi 485$. En 2019 : taux d’inoccupation 0,4 %, prix moyen pour un 4 et demi 652$». Le Valdorien Martin Briault a choisi de publier ces chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) pour son #10yearschallenge sur Facebook. «Ça fait depuis 2005 qu’on est en crise du logement à Val-d’Or! Ce qui me choque, c’est que ç’a pris environ 6 ans avant que le monde réagisse», s’indigne le chargé de projet au Groupe des ressources techniques (GRT) de l’Abitibi-Témiscamingue, l’organisme de soutien au développement de projets immobiliers communautaires.

Ça fait depuis 2005 qu’on est en crise du logement à Val-d’Or! Ce qui me choque, c’est que ç’a pris environ 6 ans avant que le monde réagisse »

Cette persistante crise du logement s’est expliquée comme une conséquence de l’effervescence de l’économie minière en Abitibi. Il est faux de croire que c’est la seule, voire, la principale raison, insiste Martin Briault. «On mettait ça sur la faute des mines! Étude à l’appui, ce n’est à cause des mines, c’est un tournant démographique! C’est ce que Montréal a subi au début des années 2000».

Il fait référence à une étude réalisée en 2010 par l’École de travail social de l’Université de Montréal qui évaluait les besoins de logements sociaux en Abitibi-Témiscamingue. «En dépit d’une diminution de la population, on prévoit une augmentation d’environ 1267 ménages sur un horizon de 25 ans. Cependant, le nombre moyen de personnes par ménage passerait de 2,4 à 2. Ceci laisse tout de même présager une aggravation de la crise du logement», y lit-on.

D’octobre 2017 à 2018, les logements ont en moyenne augmenté de 3,4 %, soit un point de pourcentage de plus qu’à Montréal. Le rapport sur le marché locatif de la SCHL met aussi en lumière que ce sont les logements à une et deux chambres qui subissent les hausses les plus importantes

Un des auteurs de cette étude, Stéphane Grenier, est maintenant professeur en Travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et préside la maison d’hébergement pour personnes sans abri La Piaule, de Val-d’Or. Il considère que le passage du taux d’inoccupation de 0% à 0,4% en dix ans est peu réjouissant. «À 0,4%, ça veut dire qu’il y a 4 logements de libres par 1000 logements. À un moment donné, on a monté jusqu’à 1,8%, mais on n’a jamais dépassé la barre du 3%, qui est jugé comme étant le seuil de crise», souligne-t-il.

Se battre pour des taudis

Les conséquences de cette crise s’accumulent et prennent de l’ampleur. Non seulement les logements se font rares, mais ils sont aussi devenus rapidement très chers et peu entretenus. Bref, on se bat même pour habiter dans des taudis ou on peine à quitter ceux infestés de coquerelles. D’octobre 2017 à 2018, les logements ont en moyenne augmenté de 3,4 %, soit un point de pourcentage de plus qu’à Montréal. Le rapport sur le marché locatif de la SCHL met aussi en lumière que ce sont les logements à une et deux chambres qui subissent les hausses les plus importantes : 4,6 % de 2017 à 2018 pour les logements à une chambre.

La situation fait sortir de ses gonds le coordonnateur de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue (ALOCAT), alors que la situation est aussi critique ailleurs dans la région. «Depuis le début de la crise, il y a 12 ans, on s’approche d’une hausse de 33 % à Val-d’Or. La courbe, monte toujours de plus en plus vite et en plus et le parc locatif est vraiment magané», résume Bruce Gervais.

La crise ralentit aussi inévitablement l’expansion de certaines entreprises. Parce que paradoxalement, vit aussi une grave pénurie de main-d’œuvre. Les entreprises et les élus participent même à des missions de recrutement à l’étranger. « Val-d’Or se développe à une cadence incroyable et le logement et la main-d’œuvre deviennent des barrières au développement de notre industrie», soutient le commissaire industriel de la ville, Jean-Yves Poitras. Ce dernier s’inquiète de la culture du fly-in/fly-out ou du drive-in/drive-out urbain qui est en train de s’implanter dans la région.

«Ça change la donne tant du niveau coûts de main-d’œuvre que du logement», estime-t-il. Stéphane Grenier sonne aussi l’alarme sur cette dynamique pour l’avenir de la région. «On a même vu apparaître un camp minier à Malartic pour répondre à la demande. Ça, c’est une vraie plaie au plan de l’urbanisme. Ça ne crée aucun patrimoine immobilier et quand la mine ferme, les gens quittent la région», s’inquiète le chercheur.

Des projets originaux

Au fil des années, les cris d’alarme ont été entendus et les logements sociaux poussent un peu partout en ville. Des projets originaux ont aussi vu le jour, notamment l’immeuble de 24 unités de logement pour les Autochtones, Kijaté. «C’est une première au Québec. Un projet réalisé par et pour les Autochtones», souligne la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or (CAAVD), Édith Cloutier.

Son organisation a surmonté plusieurs obstacles administratifs et a dû défendre la pertinence et les bienfaits anticipés du projet sur la place publique. «Les familles autochtones sont jeunes et nombreuses. Les logements standards, même ceux à prix modiques ne répondent pas à leurs besoins. Kijaté est complètement géré par le CAAVD et offre des services culturellement sécuritaires», explique Édith Cloutier.

Un autre projet hors du commun est aussi sur le point d’être mis en chantier. Un immeuble dans lequel ont déjà été situés deux bars légendaires de la ville, ainsi où étaient localisées une quarantaine de chambres devenues complètement vétustes et dans certains cas insalubres, sera converti en logement social. Ce bâtiment a été acquis par la maison d’hébergement La Piaule au coût de 500 000$ après qu’il ait été saisi en vertu des biens issus du crime, il y a quatre ans. Le très populaire «Château Inn» deviendra le «Château de Marie-Ève».

L’histoire de ce nouveau nom donne à la fois des frissons dans le dos, mais aussi, une lueur d’espoir pour les 39 futurs résidents. Il rend un certain hommage à Marie-Ève Charon, une femme qui a été assassinée à Val-d’Or en 2016. «C’est l’image suprême de cette crise du logement. Marie-Ève Charron a été assassinée, parce qu’elle était mal logée, considère Stéphane Grenier. Avec tous ses problèmes de toxicomanie et ses problèmes psychosociaux, on n’arrivait pas à lui trouver un logement qui était adéquat pour elle en fonction de sa capacité de payer. Elle était en train de s’en remettre, elle s’améliorait, elle aurait mérité un meilleur logement de son vivant. Comme on n’a pas pu le faire, à titre posthume, on va lui offrir un château».