Le Comité étudie la possibilité de déposer un recours collectif au nom des locataires et interpelle le gouvernement afin de resserrer la réglementation en matière de reprise de logement.
Geoffrey Roy, jeune professionnel qui travaille dans l’industrie du jeu vidéo, habite la Petite-Patrie depuis maintenant cinq ans. En juillet dernier, l’appartement dans lequel il réside change de propriétaire. L’acquéreur du bloc se fait plutôt discret selon Geoffrey : «On ne l’a jamais vu, il ne s’est jamais présenté».
La reprise de logement est une procédure établie par la Régie du logement qui permet à un propriétaire locateur de reprendre un logement qui lui appartient pour y habiter où y faire habiter un membre de sa famille. Le locateur doit émettre un avis au locataire lui signifiant qu’il devra quitter son logement lors de l’expiration du bail.
Pendant le temps des fêtes, Geoffrey reçoit la visite d’un huissier. Surpris, il découvre que son propriétaire veut reprendre son logement pour y faire résider un membre de sa famille. En parlant de la situation avec son entourage, Geoffrey s’aperçoit qu’une de ses amies, aussi résidente de la Petite-Patrie, a reçu une lettre du même genre, le même jour, provenant d’un autre propriétaire.
Les deux amis ont fait leur propre recherche et se sont rendu compte que leurs propriétaires respectifs, Davide Zaffino et Mara Ceccon, formaient un couple. «En parlant à nos voisins on s’est rendu compte que les mêmes noms de parents étaient utilisés pour reprendre les appartements. À ce moment-là, on a eu la preuve qu’il y avait tentative de fraude »
Une enquête qui porte fruit
Geoffroy et son amie se sont regroupé avec d’autres locataires qui vivaient la même situation et ont décidé de consulter le Comité logement de la Petite-Patrie. Lorsqu’ils s’y sont rendus le 7 janvier, d’autres locataires, eux aussi aux prises avec un avis de reprise de logement appartenant au couple Zaffino-Ceccon où à un associé, étaient déjà sur les lieux.
Mélanie Baril, organisatrice communautaire au Comité logement, a mené son enquête et a pu identifier 17 avis de reprises émis cette année par le couple Zaffino-Ceccon ou des associés, tous représentés par l’entreprise de gestion immobilière Gestion Spyder. Dans ces avis, on compte cinq avis de reprise différents pour loger la mère de monsieur Zaffino, quatre pour loger le père de madame Ceccon en plus d’en formuler cinq en leur propre nom et trois autres pour des associés.
Mélanie Baril a aussi pu retracer huit autres avis de reprise formulé par le couple ou des associés dans les dernières années. De ce chiffre, six ont été abandonné. Quant aux deux autres, Mélanie Baril affirme que les bénéficiaires de l’avis n’ont jamais habité le logement. «Une entente a été prise en 2012 pour héberger la mère du propriétaire. De ce qu’on en sait, elle n’a jamais habité dans ce logement. L’immeuble qui a été acheté 450 000$ a été revendu deux ans après pour 795 000$».
Dans un autre cas, Mélanie Baril a établi qu’un logement repris pour la mère de madame Ceccon avait été immédiatement reloué sur le marché, faisant passer le loyer du logement de 710$ à 1675$.
Une démarche frauduleuse
Selon le Comité logement, le couple Zaffino-Ceccon utilise systématiquement la procédure de reprise de logement comme levier pour engranger frauduleusement des profits en augmentant drastiquement le coût des loyers où en revendant à plus fort prix un immeuble vidé de ses locataires. «On se rend bien compte que tout ça sert à un flip immobilier, à un coup d’argent et certainement pas à héberger les membres de la famille comme se veut une reprise de logement», indique Mélanie Baril.
«Ce sont des stratagèmes, des tactiques, des voyous de l’immobilier qui utilisent la loi pour vider les immeubles et réaliser un coup d’argent», affirme son collègue, Martin Blanchard. Selon lui, la procédure de reprise est utilisée systématiquement pour détourner les droits des locataires.
Pour remédier à la situation, le Comité propose que les reprises de logement soient soumises au contrôle judiciaire de la Régie du logement et qu’un examen sérieux des preuves du propriétaire soit réalisé par la Régie. Selon le Comité, un suivi des demandes devrait aussi être mis en oeuvre afin de valider que les bénéficiaires de la reprise occupent véritablement le logement visé. L’organisme souhaite que Québec impose également un moratoire sur les reprises et les évictions dans les quartiers et municipalités dont le taux d’inoccupation des logements est inférieur à 3%.
Le Comité logement mis en demeure
Les démarches du Comité logement de la Petite-Patrie ne sont pas passées inaperçu auprès de Davide Zaffino. Le propriétaire a fait parvenir une mise en demeure au Comité le 21 janvier leur signifiant de cesser d’affirmer qu’il agit de façon illégale et de cesser de demander à ses locataires de ne pas signer les avis de reprise de logement qu’il a signifié.
Le document de la mise en demeure, qui nous a été fourni par le Comité, explique que « la situation familiale de Monsieur Zaffino vous est inconnue, tout comme les besoins de celle-ci. En ce sens, vous avez distribué des tracts sans avoir vérifié l’information y contenue (sic), visiblement afin de nuire à Monsieur Zaffino ».
La coordonnatrice du Comité, Anne Thibault, dit ne pas être impressionnée par la mise en demeure. «C’est un peu comme ils agissent avec les locataires, c’est une mesure pour intimider le comité logement. Ce qu’on nous reproche c’est de faire notre job, qui est d’informer et de regrouper les locataires. On ne peut pas nous empêcher de faire notre travail. Il n’y a pas d’insulte. On fait juste dire aux locataires qu’on existe et qu’on est au courant de la situation » indique-t-elle.
Selon le comité, la majorité des locataires visés par les 17 avis de reprise ont été contacté par leur propriétaire pour les informer qu’ils abandonnaient la procédure de reprise de leur logement.
Une bataille qui se poursuit
Le Comité logement de la Petite-Patrie affirme étudier la viabilité d’un recours collectif dans ce dossier. Le responsable des dossiers politiques, Martin Blanchard, explique que la nature de la demande sera de faire cesser les avis de reprise, considéré par du harcèlement par le Comité, et de forcer le versement de dommages punitifs.
Quant à Geoffroy Roy, son logement fait partie de la minorité dont l’avis de reprise n’a pas été abandonné. Si son propriétaire n’abandonne pas la procédure, il entend bien faire valoir sa cause devant la Régie du logement. «Comme le dossier est béton je suis confiant d’aller devant la régie pour me battre. Un propriétaire qui veut un logement pour sa famille, je n’ai aucun problème avec ça. Mais que la procédure soit utilisée frauduleusement, là je suis moins d’accord».
Geoffroy estime que le combat pour conserver son logement est aussi une action pour contrer la gentrification dans le quartier. «J’ai vu la gentrification se passer dans le Mile-End et là je vois les mêmes signes dans la Petite-Patrie. Je trouverais ça dommage que la Petite-Patrie perdre ce qu’elle a en ce moment. Je crois que c’est important de revendiquer nos droits pour éviter une gentrification artificielle du quartier».