Moi-même nouveau téléspectateur — séduit ou piégé, je ne sais plus — de cette émission, je découvre pour la première fois le cours normal d’une saison entière de ce rendez-vous télévisuel. Récemment, trois amies m’ont invité à participer à leur podcast féministe, Les Ficelles, qui tâche de revenir semaine après semaine sur les épisodes de cette télé-réalité, avec un angle féministe critique et enthousiaste. Nous y avons discuté de la non-rémunération des candidat-e-s, de l’impact de l’image sur les souvenirs et j’ai proposé une réflexion sur ce que j’ai choisi d’appeler le travail invisible du drame.
Lors du podcast, Robin Brazill a soulevé la question de l’évacuation de la diversité dans cette saison d’Occupation Double. Les magies du montage ont fait que la réponse que j’ai bafouillé à son interrogation a été ramenée à ce qu’elle avait de plus abouti. Pour cette raison, j’aimerais profiter de ce billet pour rectifier ma réponse à la question de Robin, qui est on ne peut plus inscrite dans l’air du temps.
La culture du conflit
En termes d’éliminations, Occupation Double Grèce, contrairement à d’autres télé-réalités qui éjectent systématiquement leurs participant.e.s jusqu’à en arriver aux gagnant-e-s du concours qu’elles mettent en scène, a choisi de compliquer sa recette. Malgré les éliminations successives, de nouvelles personnes sont présentées à cette compétition pour l’amour, une voiture et une maison préfabriquée (et assurée pour un an – quand même).
Cette année ce sont Kristina la mère bi, Michael le Français, Jessika la dynamique professionnelle en marketing qui a des ami-e-s en Californie, Gregory le party boy de Québec, Nikola le mannequin d’origine est-européenne et Marilyne la pâtissière jamais friendzonée qui ont intégré les maisons à la suite des candidat-es du départ. Et toutes ces personnes se sont vues éliminer après une semaine ou deux d’aventure, à l’exception de Jessika. Il est vrai qu’il y aussi eu l’élimination des Alexandra (B. et G.) et celle de Philippe, un candidat d’OD Bali choisi par le public pour réintégrer la saison d’OD Grèce.
Il serait commode de pointer du doigt l’équipe de production, mais le concept d’Occupation Double veut désormais que le rôle de la sélection des candidat.e.s qui demeurent dans l’aventure ne tombe pas tant sur eux, ou encore le public, que sur les participant-e-s même. Au cours des dernières semaines, le public a pu constater que parmi les nouveaux dans l’aventure, seule Jessika réussissait à se faire une place. Je crois que la chose s’explique simplement : Jessika sécurisait un membre du groupe initial des participant-e-s. Après tout, elle et Renaud devenaient une espèce de power couple Instagram, augmentant leurs chances de se rendre en finale. Pour cette raison, face aux éléments du problème, il me semble que c’est la dynamique de groupe des membres initiaux de l’aventure qui explique cette évacuation de la diversité à OD Grèce.
Pour appuyer cette hypothèse, je poursuivrais la réflexion sur ce que j’ai choisi d’appeler le travail invisible du drame pour ma chronique au podcast de Les Ficelles. En effet, un autre lieu commun de l’analyse fictionnelle en Occident est que ce qui fait une histoire, c’est le conflit. Le cœur d’une histoire serait alors le conflit qu’elle met en scène et dont elle présente la résolution — ou pas. Autrement dit, le cœur battant d’une histoire c’est sa «bisbille» ou sa «zizanie».
À ce sujet, en comparaison à la saison précédente d’OD Bali, la présente saison d’Occupation Double nous révèle des candidat-e-s qui n’entretiennent pas des conflits qui les engage et les divise en tant que groupe. On assiste plutôt à un groupe qui maintient sa bonne entente au prix de refuser l’inclusion de nouvelles personnes et d’entretenir un de leur membre comme rejet. Encore cette semaine, on a pu voir que Julie-Anne, Pézie, Catherine et Maude se disaient les Fantastic Four aux dépens de Jessika tandis que Renaud, Andrew, Yan et Olivier nourrissent une bromance au détriment de Jonathan. Ce dispositif stable d’une cohésion de groupe au prix de l’exclusion de certain-e-s explique probablement le fait que des publicités de sensibilisation à l’intimidation occupent les pauses publicitaires de l’émission.
Des semblants de reconfigurations de ces dynamiques se sont dessinés récemment, vu le «scandale» du café entre Olivier et Pézie avant que n’ait commencé la saison d’OD Grèce et le quasi-putsch contre Renaud qui a été mis à nu comme étant un leader négatif dans la maison des gars. Il n’en reste pas moins qu’en somme, les choses n’ont pas bougé.
À mes yeux, il n’est d’aucun intérêt de blâmer qui que ce soit pour cet état de fait. Il m’apparaît plus intéressant de remarquer ce qu’il en est du conflit. Plutôt que d’être tenu en haleine par le classique d’une rivalité entre clans ou candidat.e.s, le public — ou moi — est maintenu dans le malaise face au tableau d’une fausse concorde.
À l’épisode 41 encore, Jessika confiait justement à la caméra : «Je pars une semaine en voyage, quand je reviens on dirait que je suis une nouvelle à nouveau (33:33)». À deux semaines de la finale, cette confession de Jessika m’a particulièrement troublé, en partie par empathie, mais surtout parce qu’elle signe l’échec flagrant du concept d’intégration des nouveaux candidats de cette année.
Que retenir de ce fiasco? Je répéterais la chose suivante : Occupation Double gagnerait à être scripté plutôt que de miser seulement sur les personnalités de ses candidat-e-s. D’une saison à l’autre, l’histoire que cette télé-réalité nous propose peut parfois réserver d’heureuses surprises, mais des idéatrices, des scénaristes et des scripteurs assureraient un rendu plus égal, si ce n’est égalitaire. Ces employé-e-s pourraient d’ailleurs être féministes, antiracistes ou queer — et surtout salarié.
Je dois reconnaître que des éléments prometteurs ont été proposés en termes de diversité à OD Grèce.
Une telle sélection ne dédouanait pas nécessairement l’équipe de production de souscrire à une politique risible de quota ethnique (une sorte d’instrumentalisation intéressée de la diversité que les anglophones nomment simplement tokenism). Cela dit, suite à la polémique qui avait suivi les propos racistes de candidates d’OD Bali l’année dernière, il y avait matière à concéder un pas en avant à cette sélection de candidat-e-s issu-e-s de la diversité, si ce n’est une prise de responsabilité.
Pour finir, j’inviterais tout-e intervenant-e en culture à lire le dernier rapport que DAM – diversité artistique Montréal a publié. C’est brillant, accompagné de recommandations et ça a le mérite d’inscrire sans fard le thème de la diversité dans ceux de la lutte contre le racisme systémique et le patriarcat. J’insiste sur cet enjeu, car il m’apparaît que, s’il ne dit pas à quelles oppressions il remédie, le vocable de diversité n’a pas la force à lui seul d’être un vecteur d’émancipation.
Bonne lecture et, espérons-le, bonne fin de saison d’OD.