Dans les derniers mois, de nouveaux développements ont continué à soulever l’inquiétude quant à l’état de la liberté académique dans ce pays d’Europe centrale. À la fin de l’été, l’introduction d’une taxe de 25% du budget de toutes les organisations dont les activités font la «promotion de l’immigration» a forcé la suspension de l’Open Learning Initiative, un programme d’études destiné aux réfugié-es et aux demandeurs et demandeuses d’asile. Par ailleurs, le gouvernement a récemment décidé de retirer l’accréditation des programmes d’études dans le champ des gender studies, jugeant qu’il ne s’agit pas d’une science mais d’une idéologie. Cette mise au ban d’une discipline universitaire reconnue est sans précédent au sein d’un État membre de l’Union européenne.

De nombreux cas de censure d’événements et de travaux scientifiques abordant des thèmes gênants pour le gouvernement (comme l’immigration, les droits LGBT ou les inégalités entre les sexes), en particulier en sciences sociales, ont aussi été documentés. Enfin, une vague de mesures d’austérité et de privatisations touche actuellement l’éducation supérieure.

À la session d’automne 2018, Sabrina Paillé était Visiting Student au département de sociologie et d’anthropologie sociale de la Central European University (CEU) à Budapest.

Un tournant illibéral

L’offensive actuelle contre la CEU et le monde universitaire en Hongrie s’inscrit de plein pied dans le projet de société défendu par Viktor Orban, qui entend ouvertement faire de son pays une «démocratie illibérale». Depuis 2010, le premier ministre multiplie les mesures destinées à réduire le rôle de l’opposition, à supprimer l’indépendance des médias et à entraver le travail des organisations non gouvernementales œuvrant à la promotion des droits humains. La répression des universités et de la recherche participe d’une stratégie d’affaiblissement des contre-pouvoirs et de la société civile – et plus particulièrement des voix dissidentes jugées hostiles aux intérêts de la «nation».

La mise à mal de la démocratie et de l’état de droit en Hongrie ne passe pas inaperçue au sein du parlement européen. Au début septembre, une majorité de députés votaient en faveur du Rapport Sargentini condamnant «la violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée». Cela implique cependant peu de conséquences en pratique. La Hongrie pourrait à terme perdre le droit de vote au sein de l’Union européenne, mais cette issue est improbable car elle demanderait une décision unanime de tous les États membres. Par ailleurs, le Parti populaire européen, qui réunit les conservateurs et chrétiens-démocrates au niveau européen et dont fait partie le Fidesz, est divisé quant à l’attitude à adopter face à Orban. Alors que l’Allemand Manfred Weber a déjà déclaré publiquement que le dossier concernant la CEU constituait une «ligne rouge» pour le parti, celui-ci tarde à prendre position.

Quelle est la suite?

Si le sort de la CEU demeure à ce jour incertain, il ne le demeurera plus bien longtemps. L’administration de l’université entretient depuis un moment la possibilité de déménager le campus à Vienne. Le 25 octobre, le recteur Michael Ignatieff annonçait la décision de l’administration de lancer un ultimatum au gouvernement afin de conclure une entente d’ici le 1er décembre. Entre temps, les étudiant.es s’organisent. Une série d’actions de solidarité ont déjà pris place à travers les universités et instituts de recherche. Le 24 novembre, à une semaine de la date butoir, une grande manifestation pour la liberté académique a eu lieu à Budapest. Une occupation qui s’est poursuive toute la semaine de la place Kossuth Lajos devant le parlement, où se tient une université populaire, est en cours.

Quelle que soit l’issue, ce qui se passe en Hongrie touche à des enjeux qui dépassent l’avenir de la CEU et devrait retenir l’attention toute personne préoccupée de ce que font les populistes au pouvoir. Comme le chantaient les manifestants à Budapest, “It did not start with CEU, it will not end with CEU”.