Gaz, pétrole, or…Est-ce que cet Eldorado justifie l’intérêt canadien d’envoyer des troupes en sol malien?

Ça fait certainement partie de l’équation. De même que la volonté du Canada d’obtenir un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2021.

De toute façon, le sort en est jeté. Le Canada a déployé une première vague de soldats au Mali en juin dernier, un peu plus d’un an après que le ministre canadien de la défense Harjit Sajjan ait visité le pays afin d’étudier la possibilité d’y déployer des troupes sous l’égide des Nations-Unies dans le cadre de la Mission des Nations-Unies de stabilisation au Mali (MINUSMA).

Des soldats canadiens ont donc repris le chemin de l’Afrique, casques bleus enfoncés sur la tête. Un continent qui, malgré l’étendue et la richesse de ses ressources, demeure esclave de la dictature de l’aide internationale, de l’influence des ONG sur les politiques étrangères, de régimes-clients corrompus et, dans le cas qui nous occupe, d’un perpétuel état de dépendance quant à la sécurité des peuples qui l’habitent.

Déjà, le gouvernement fédéral a annoncé que la mission se terminera en juillet 2019, juste avant le début de la campagne électorale.

Un examen plus approfondi de l’histoire des missions de maintien de la paix des Nations-Unies révèle une étrange coïncidence entre les pays où sont massivement déployées ces troupes multinationales et les endroits où sont concentrés les intérêts politiques et économiques des pays occidentaux qui contrôlent l’agenda du Conseil de sécurité qui, lui, vote pour ou contre le déclenchement des missions de « maintien de la paix ».

Maintien de la paix…ou néo-colonialisme?

D’abord, un peu d’histoire. Au Mali, la mission onusienne actuelle découle du conflit qui a éclaté suite à la plus récente révolte touarègue (la quatrième dans l’histoire du pays), elle-même facilitée par la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye. Il est essentiel de rappeler dans ce contexte que le Canada a joué un rôle de premier plan dans cette opération militaire de l’OTAN visant à déloger le dictateur, emblème du panafricanisme et ennemi déclaré de l’Occident dans la foulée des soulèvements populaires dans les pays limitrophes. La MINUSMA a donc succédé, en quelque sorte, à l’opération Serval, menée par l’armée française au cours de l’hiver et du printemps 2013 et qui s’est terminée à la fin de l’été 2014.

Un peu plus tôt en 2018, le Conseil de sécurité a prolongé la mission jusqu’au 30 juin 2019.

On peut résumer ainsi le mandat dans sa version actuelle avec cet extrait tiré du site web de la mission :

En ce qui concerne le mandat de la MINUSMA, la Mission devrait notamment soutenir la mise en œuvre des réformes politiques et institutionnelles prévues par l’Accord – notamment restaurer et étendre l’autorité de l’État et l’État de droit sur tout le territoire national – et soutenir les mesures de défense et de sécurité, ainsi que des mesures de réconciliation et de justice. »

Bien qu’elle se détaille davantage dans la description officielle, un examen, même sommaire, du mandat de la MINUSMA, ne semble pas indiquer la volonté de la communauté internationale à favoriser l’autonomie militaire durable du Mali, un peu comme dans tout autre pays où les Casques bleus sont présents – un genre de « paternalisme bienveillant » qui veille surtout sur les intérêts des pouvoirs nationaux en place au détriment des revendications soulevées par de nombreux peuples, au nom de la « stabilité ». Dans le cas du Mali, on parle surtout de revendications territoriales par les peuples du nord qui habitent ce territoire que se partagent le Sahara et le Sahel.

Un examen plus approfondi de l’histoire des missions de maintien de la paix des Nations-Unies révèle une étrange coïncidence entre les pays où sont massivement déployées ces troupes multinationales et les endroits où sont concentrés les intérêts politiques et économiques des pays occidentaux qui contrôlent l’agenda du Conseil de sécurité qui, lui, vote pour ou contre le déclenchement des missions de « maintien de la paix ». Elles sont reflet de la volonté des anciennes puissances coloniales de poursuivre des activités d’influence post-indépendance (Congo, Centrafrique, Côte-d’Ivoire, pour ne nommer que celles-là). De son côté, Le Mali possède un fort potentiel minier et, bien que le Canada ne soit pas un colonisateur historique tels que la France et la Belgique, on compte sur le sol malien de nombreuses compagnies canadiennes qui procèdent à l’exploration et l’exploitation minière principalement au sud-ouest du pays.

Depuis avril 2018, on constate une volonté d’expansion des activités minières canadiennes au Mali, encore une fois à l’ouest. De nombreuses compagnies canadiennes ont acheté des permis d’exploration pour des gisements d’or.

Un acteur intéressé

On ne peut donc que constater, tristement, l’ironie de cette volonté du Canada de jouer à nouveau au pompier pyromane, en continuation avec les politiques militaristes du gouvernement Harper et sous le couvert d’un vernis faussement humanitaire.

Depuis 2013, les minières canadiennes prennent d’assaut le sous-sol malien. En 2015, les actifs miniers canadiens au Mali se chiffraient à 1,2 milliards de dollars pour 15 sociétés qui y étaient actives. L’année suivante, 12 compagnies se partageaient 1,5 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur des importations canadiennes dans le pays, selon les données de Ressources naturelles Canada. L’exploration aurifère constitue la principale activité des minières canadiennes dans le pays, principalement dans l’ouest.

Depuis avril 2018, on constate une volonté d’expansion des activités minières canadiennes au Mali, encore une fois à l’ouest. De nombreuses compagnies canadiennes ont acheté des permis d’exploration pour des gisements d’or. Pendant ce temps, le potentiel pétrolier se confirme plus au nord, dans le désert du Sahel.

Et c’est là que se trouve la clé de l’énigme – non seulement les groupes armés du nord luttent pour une indépendance territoriale, mais également pour le contrôle des ressources naturelles sous le sable – ou, du moins, le droit de négocier leur part avec les grandes compagnies qui viendront piller une fois de plus une grande portion du continent africain.

Le Canada doit-il donc allonger une partie de la facture pour jouir des richesses que se distribuent déjà les vieilles puissances coloniales?

Une leçon nécessaire à retenir

Et quelle leçon le Canada peut-il servir au continent africain, lui-même toujours empêtré dans son propre colonialisme domestique envers ses Premières Nations?

Lorsque le Canada a délaissé les missions onusiennes au profit de ses désastreuses épopées militaires en Afghanistan puis en Libye, six ans s’étaient écoulés depuis la fin de la débâcle des Balkans et le massacre de Srebrenica qui confirmaient l’échec de la Force de protection des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine. L’implantation de règles d’engagement complètement inadaptées à la réalité du conflit en Bosnie révélait le caractère caduc de ce modèle d’interventionnisme militaire supranational.

Or depuis ce temps, la nature des conflits s’est profondément transformée, les armées plus conventionnelles ayant été remplacées par des milices sans commandement centralisé ni uniformes, employant des tactiques de guérilla héritées des Talibans d’Afghanistan et des groupes armés en Irak qui les ont développées au milieu des années 2000. L’emploi de civils comme boucliers humains et les exactions commises par ces groupes armés sont également monnaie courante. Des réalités qui, couplées à la longévité quasi-éternelle des mission onusiennes sur le continent, sèment le doute quant à leur efficacité.

Au Mali, 150 Casques bleus ont été tués depuis le début du mandat de la MINUSMA. Les citoyen.ne.s canadiens sont-ils prêts à accueillir de nouveau des cercueils recouverts d’un drapeau et d’un bérêt? Car même si le rôle des troupes canadienne au sein de la MINUSMA se résume à des évacuations médicales, le danger demeure réel.

Et quelle leçon le Canada peut-il servir au continent africain, lui-même toujours empêtré dans son propre colonialisme domestique envers ses Premières Nations?

La sécurité et l’autonomie des pays d’Afrique ne peuvent émaner de ce type de paternalisme, malgré le caractère bienveillant que cherchent à évoquer les défenseurs des missions de « maintien de la paix ». Si des pays comme le Mali, le Congo et la Centrafrique se sont vus accorder leur indépendance politique de leurs suzerains coloniaux, la suite logique ne peut être que de poursuivre dans cette voie et d’aider ces pays à gagner une autonomie militaire et économique afin de compléter le processus de décolonisation.

Si le Canada veut réellement renouer avec l’illusion d’être un pays de paix (l’a-t-il seulement déjà été?), il devra d’abord faire le deuil de sa propre hypocrisie.

Ce texte se veut une mise à jour d’une analyse publiée dans la section « débat » de la Revue Relations, numéro Automne-hiver 2016