Dans les années 1970, 1980 et même 1990, les artistes semblaient avoir autant leur place au Parti québécois que les avocats, les économistes, les organisatrices communautaires ou les syndicalistes. Depuis le référendum de 1995, cette union qui semblait naturelle s’est effritée, malgré quelques appuis ici et là. Cette fois-ci, c’est plutôt Québec solidaire qui semble en profiter.

À l’image de plusieurs jeunes pour qui le parti représente leur éveil politique ou un premier espoir politique, plusieurs artistes embarquent dans la campagne électorale pour se joindre à un mouvement considéré inspirant.

On peut penser à ces dizaines d’affiches ou illustrations faites par des artistes de partout au Québec pour Québec solidaire. Un visuel qui détonne des campagnes politiques habituelles, qui s’assoit sur une soif de changement.

L’effet Dorion

La candidate de Québec solidaire dans Taschereau, à Québec, Catherine Dorion, répète souvent qu’elle veut ramener l’inspiration dans la politique. Comme si le Québec avait oublié qu’il avait déjà eu un de ses plus grands poètes comme député et ministre, tellement l’image du ministre-comptable est forte. Peut-être que Gérald Godin a été une exception trop rare.

Mickaël Bergeron

La solidaire a d’ailleurs invité plusieurs artistes de la région de Québec à «vandaliser» ses pancartes, à leur donner une nouvelle couleur, à leur donner un souffle personnel. Devenue Catherine «Batman» Dorion ici, avec un chapeau de fleurs là, «Queer solidaire» là, maquillée à la «David Bowie» ici, les artistes invités s’en sont donné à cœur joie.

«Je ne fais pas de l’art politique habituellement, explique Delphine Gagné, artiste en art visuel et étudiante au Conservatoire de Québec qui a accepté l’invitation de Catherine Dorion, mais là, cette année, j’ai l’appel. J’ai envie de participer à cet échange, à ce mouvement pour un monde meilleur.»

Actrice, metteure en scène, animatrice et aussi journaliste culturelle, Émilie Rioux aussi a senti cet appel. «Mon «oui» à Québec solidaire vient de la campagne à l’investiture de Catherine Dorion», explique-t-elle quelques minutes avant d’animer le Grand rassemblement solidaire à Québec le 14 septembre dernier. Si son éveil politique s’est fait en 2012 avec la crise étudiante, c’est la première fois qu’elle s’implique concrètement en politique.

«Là, je m’intéresse plus à la politique, parce que tout d’un coup, on me parle, réfléchit l’artiste aux multiples chapeaux. Dans les propos, mais aussi dans la manière. On prend le temps de me parler. Catherine Dorion est rassembleuse et comme porte-parole, elle est game de représenter tout le monde.»

Le cinéaste Samuel Matteau a lui aussi eu son éveil politique en 2012, mais n’a pas pour autant signé d’œuvres politiques depuis le Printemps érable. Il n’a pourtant pas hésité à suivre Catherine Dorion, au point d’être responsable du comité créatif de sa campagne, un peu comme un directeur artistique. Sa mission : être inspirant, réenchanter la politique.

Et ça marche! «Les artistes voient ce qu’on fait, raconte celui qui a aussi réalisé des vidéos pour la campagne nationale. Catherine inspire, Québec solidaire inspire, les artistes ont envie de s’associer à nous, d’embarquer. C’est très stimulant!»

Mickaël Bergeron

Samuel Matteau croit que le message de QS et la personnalité de Catherine Dorion jouent beaucoup dans l’équation, mais souligne qu’il y a aussi un alignement des astres. «On retrouve le même désir de changement qu’en 2012, la même pulsion, mais plus mature, plus clair, mieux organisé» estime le réalisateur. À ça, s’ajoute la liberté donnée par le parti aux artistes et aux mouvements locaux. «On peut essayer des choses audacieuses, être proactifs, devenir notre média et contrôler notre narratif.»

L’art politique

Ce qui surprend néanmoins dans cette vague artistique qui entoure Québec solidaire est qu’elle repose beaucoup sur des artistes qui, habituellement, ne sont pas politisés. L’artiste Wartin Pantois, surnommé parfois le «Banksy de Québec», est bien connu pour ses œuvres politiques, dénonçant la situation des sans-abris, des réfugié-es, des radio-poubelles et plusieurs autres. Pourtant, il n’a pas voulu s’associer à Québec solidaire pendant cette campagne.

«Moi, je veux être le contre-pouvoir, explique l’artiste de retour d’une résidence à Nantes. Je ne veux pas m’associer à un parti qui veut le pouvoir, même si ce parti serait sûrement le mieux au pouvoir. Je veux garder mon indépendance.» L’artiste se questionne aussi sur les glissements entre l’art partisan et la propagande, sur les frontières entre les deux.

Wartin Pantois pousse plus loin encore la réflexion sur l’art et la politique. «Je considère faire de l’art citoyen plus que de l’art politique», nuance-t-il. Tout est politique, selon lui, même «l’entertainement, le statu quo ou encourager la norme est aussi une prise de position. «Je vois mon travail comme un devoir de citoyen, j’agis comme citoyen dans ma cité. J’attire l’attention sur des citoyens, pas sur des têtes d’affiche.»

L’artiste refuse aussi de ne résumer la politique qu’aux élections. «Peut-être que je crois moins au système électoral, même si je vote, poursuit Wartin, mais la démocratie, ce n’est pas que ça. Être citoyen, ce n’est pas seulement pendant les campagnes électorales. Il y a plusieurs façons de contribuer au débat public, moi j’utilise mon art.»

Une vision que ne renie pas Samuel Matteau. «Dans l’inconscient, on a tendance à croire que l’artiste n’a pas sa place en politique, avance le cinéaste, mais les artistes apportent une couleur unique. Les artistes permettent d’aller au-delà du message, de reconstruire les symboles.»

«Dans l’inconscient, on a tendance à croire que l’artiste n’a pas sa place en politique, avance le cinéaste, mais les artistes apportent une couleur unique. Les artistes permettent d’aller au-delà du message, de reconstruire les symboles.»

«Il y a une vue élitiste et hermétique de l’art» de la classe politique juge Émilie Rioux, qui souligne que les arts sont souvent communautaires, souvent marginaux. «Il y a eu plein d’artistes politiques, ça revient selon moi. C’est comme si on le redécouvrait qu’on le réapprenait.»

Que ce soit avec Québec solidaire ou comme citoyen, la même motivation se fait sentir : changer le monde. «Je ne changerai pas le monde tout seul, soulève Wartin Pantois, mais plein d’actions peuvent avoir une influence.»