Selon le DGEQ, voter, c’est «exprimer votre opinion» et «signifier votre point de vue sur la façon dont sont administrés les programmes sociaux» (ce n’est pas faux, mais votre point de vue est-il pris en compte?); «aider financièrement […], puisque chaque vote a une valeur financière» (le DGEQ fait ici référence à ce misérable 1,58 $ que reçoit chaque parti à chaque vote obtenu… ce n’est pas sérieux); choisir «la députée ou le député qui aura pour mandat de défendre vos intérêts» (seulement si vous «gagnez» vos élections, et encore…); «contribuer au bon fonctionnement de notre société» (ah! bon?) et «préserver la vitalité de notre démocratie» (si seulement vous croyez que la démocratie se réduit à un bulletin de vote).
Feu sur l’abstention
Si chacun de ces arguments peut être contesté de multiples manières, l’argumentaire contre l’abstention soulève encore plus de questions. Par exemple, le DGEQ prétend que «vous abstenir de voter, c’est laisser les autres choisir et décider à votre place», car c’est «donner un plus grand pouvoir à ceux qui votent : si 40 % des gens votent, c’est donc une minorité qui décide pour l’ensemble de la population». Peut-être.
Mais une élection signifie nécessairement que des gens vont décider à notre place, puisqu’il s’agit de nommer un chef qui nous gouvernera pendant quatre ans, qu’on ait voté ou non pour lui. Outre le chef, il y a trois minorités qui «décident pour l’ensemble de la population», dans notre système électoral : les 30 % (environ) de l’électorat ayant porté le gouvernement au pouvoir, puis la minuscule minorité des 125 parlementaires (pour une population de plus de 8 millions d’âmes) et, finalement, le conseil des ministres. Voter n’empêche donc pas qu’une minorité «décide pour l’ensemble de la population». C’est dans la nature même de la logique électorale. Sans oublier l’influence des conseillers non élus du premier ministre, des hauts fonctionnaires, du patronat, des petits amis du gouvernement, etc.
«Vous abstenir de voter» aurait aussi pour effet de concourir à faire «élire des personnes qui ne représentent peut-être pas vos intérêts». Les réfutations des arguments précédents font mouche ici aussi, sans compter que même «votre» parti pourrait «peut-être» ne pas défendre vos intérêts s’il est élu (oui, oui, cela s’est vu dans l’histoire). Sans parler de la trahison des promesses électorales et du programme.
Le DGEQ rappelle que «s’abstenir de voter», c’est «laisser celles et ceux qui votent décider quels partis politiques recevront le plus de financement public, puisque chaque vote a une valeur financière». L’argent influence en effet les élections et les luttes entre partis, mais il faudrait surtout regarder du côté des grandes fortunes, du trafic d’enveloppes brunes, des collectes de fonds et des pressions directes ou indirectes que peut exercer le patronat national et international sur le gouvernement, sans compter les liens personnels qu’entretiennent bien des élus avec l’élite financière du pays, quand ils n’en font pas eux-mêmes partie. Un vote individuel n’a aucun poids dans cette balance du pouvoir. De toute façon, pourquoi des abstentionnistes feraient l’effort de voter pour insuffler 1,58 $ pour huiler une machine électorale qui n’est qu’un vaste cirque?
Et les morts?
Certes, des gens sont morts pour le droit de vote. Mais des gens sont aussi persécutés pour appeler au boycottage d’élections. Et d’autres sont morts pour avoir voulu établir la vraie démocratie, la démocratie directe, y compris l’autogestion au travail. Ces gens se réclamaient de l’anarchisme, du communisme antiparlementaire et des conseils ouvriers (Rosa Luxemburg, entre autres). À chacun ses héros et ses martyrs, donc.
À chacun aussi ses bourreaux, dont certains emprisonnent, torturent et assassinent pour défendre le parlement contre celles et ceux qui rêvent de démocratie directe (oui, oui, cela s’est vu dans l’histoire. Sans oublier les armées des pays libéraux et républicains qui bombardent des villes et des villages, y compris quelques écoles et hôpitaux, sous prétexte d’y imposer notre régime parlementaire à des gens qui ne nous ont rien demandé (et que «nos» armées massacrent au nom de la démocratie, les empêchant ainsi pour toujours de voter).
La démocratie du DGEQ me rappelle en fait le mouton que le Petit Prince demandait au pilote de lui dessiner. Ce dernier a griffonné sur une feuille de papier une boite avec trois trous et il a dit au Petit Prince : «Le mouton que tu veux est dedans.» Tout comme le DGEQ cherche à nous faire croire que la démocratie est dans l’urne. Une vraie démocratie ne se laisse pas mettre en boite.