Quelque chose se passe

Le candidat de Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, en est à sa troisième campagne et il sent une tout autre énergie lorsqu’il va à la rencontre des gens du quartier. «Quand on est meneur dans la course, il y a certainement un effet. Par exemple, quand je fais du tractage, de plus en plus de personnes me disent de garder mon papier, car j’ai déjà leur vote, souligne le jeune candidat. Ça m’était arrivé avant, mais pas aussi souvent et jamais aussi tôt dans la campagne.» Le nombre de pancartes est aussi encourageant. Plus de résident-es du quartier que jamais l’affichent sur leur balcon.

Même son de cloche du côté d’Andrés Fontecilla, qui en est aussi à sa troisième campagne électorale pour Québec Solidaire dans Laurier-Dorion : « Je sens un appui beaucoup plus solide, il y a un basculement, surtout chez les péquistes, on nous prend plus au sérieux. On fait maintenant partie de l’échiquier politique », dit-il.

Des terrains de jeux particuliers

Les luttes dans chaque circonscription prennent des allures différentes. Alors que d’habitude, Québec solidaire évite et même fuit la tactique de l’appel au vote stratégique, car il le désavantage partout dans la province, Andrés Fontecilla l’encourage.

Il ne se gêne d’ailleurs pas pour souligner aux électeurs et aux électrices que le parti est présentement à égalité avec les libéraux dans Laurier-Dorion. « Contrairement à ailleurs au Québec, ce type de vote nous avantage », souligne le candidat.

Il compte sur l’envie des électeurs de tourner la page sur les libéraux. «On rappelle aux gens que le député sortant c’est Gerry Sklavounos. Et le parti libéral ne semble pas vouloir changer d’approche à Laurier-Dorion. Le nouveau candidat est quelqu’un qui provient du cercle restreint de Gerry Sklavounos. Ils ont choisi la continuité alors que les électeurs veulent tourner la page», s’exclame le candidat avec conviction. Le candidat du parti libéral, George Tsantrizos, a été le bras droit de Gerry Sklavounos pendant 11 ans comme attaché politique.

« En plus, ils mènent une campagne timide dans Villeray, ils semblent concentrer leur effort dans Parc-Extension seulement, alors que l’on s’assure d’être dans les deux quartiers », conclut Andres Fontecilla. Il estime aussi que la conjoncture est idéale pour donner un avantage à Québec Solidaire : « Il y a d’autres partis qui viennent piger dans l’électorat classique des libéraux. NPD Québec présente un candidat issu de la communauté grecque et les conservateurs ont un candidat de la communauté bangladaise. » Tout ça devrait gruger les votes du parti libéral, selon lui.

Andrés Fontecilla mise aussi sur le fait qu’il est un candidat connu des électeurs, qui en est à sa troisième tentative. C’est le cas aussi d’Alexandre Leduc, qui avait fini deuxième au dernier scrutin avec 30 % du vote dans Hochelaga-Maisonneuve. « Après s’être présenté autant de fois, les gens sont convaincus du sérieux de ma démarche, ils comprennent que ce n’est pas seulement un trip de hipster », blague-t-il. Il estime que les résident-es souhaitent un député qui comprend le quartier et qui le connaît bien. Il est d’ailleurs conscient qu’il sera comparé à la députée sortante du Parti québécois, Carole Poirier, connue depuis de nombreuses années dans la circonscription. Alexandre Leduc espère ainsi miser sur son expérience comme candidat, mais aussi comme résident d’Hochelaga-Maisonneuve.

Le pari du vote stratégique

Alors qu’Andrés Fontecilla trouve des avantages au vote stratégique, Vincent, le candidat de Rosemont, veut convaincre ses électeurs du contraire. En effet, il avait qualifié l’appel au vote stratégique de Jean-François Lisée de «méprisant» pour les électeurs et électrices. Rappelons que le chef péquiste avait profité d’un débat dans sa circonscription, le 11 septembre dernier, pour lancer un appel aux résident-es à voter pour «empêcher la CAQ de prendre le pouvoir» et «ne pas diviser le vote, étant donné le système électoral actuel». Une remarque qui visait notamment les électeurs et électrices intéressé-es aux solidaires et qui auraient un appétit pour un gouvernement progressiste.

Il faut dire que Vincent Marissal est au coude à coude avec Jean-François Lisée dans les sondages. Aux dernières élections, Québec solidaire avait terminé troisième dans Rosemont. Mais le jeune parti met beaucoup d’énergie dans la circonscription qui borde Gouin et Mercier, deux bastions orange. Vincent Marissal est le premier à être conscient de la lutte qui se dessine dans Rosemont, un fief péquiste depuis presque 24 ans représenté aujourd’hui par le député Jean-François Lisée. «J’affronte un chef de parti, ça excite beaucoup les médias et le public pour des raisons évidentes. La bataille de coq, la guerre des titans, j’ai tout entendu, déclare l’ancien journaliste. C’est certain que ça teinte la campagne locale.» Mais, contrairement à Andrés Fontecilla, il ne mise pas sur l’envie des électeurs de se débarrasser du député qui siège dans la circonscription. « Je ne suis pas en politique pour battre Jean-François Lisée, précise-t-il. Ça fait 25 ans que je suis gérant d’estrade (en tant que journaliste) et maintenant, j’ai l’occasion de sauter sur la glace. »

Place au terrain

Bien que chaque secteur et chaque bataille ait des particularités qui les distinguent, le travail est le même pour gagner. Tous les candidats citent le terrain comme la seule stratégie gagnante. «Quand on est dans une circonscription gagnable qui n’a jamais été gagnée par un parti qui est en croissance, tout ce que l’on peut faire, c’est du terrain», insiste Vincent Marissal. Il appelle cela plus spécifiquement faire ses devoirs. Il s’agit de bien connaître le comté ainsi que les gens qui y habitent, cela va sans dire. « Le vague à la Jack Layton, comme c’est arrivé en 2011, c’est rare, ajoute-t-il. Des personnes qui se font élire alors qu’elles sont en vacances, ça n’arrive jamais. C’est d’ailleurs pourquoi on en parle encore, c’était une exception. » Il fait référence au cas très médiatisé de la candidate du Nouveau parti démocratique, Ruth Ellen Brosseau, qui avait remporté l’élection dans Berthier—Maskinongé contre toute attente aux élections fédérales de 2011.

Vincent Marissal ne compte pas sur la magie d’une deuxième vague orange, mais sur les bases habituelles d’une stratégie de campagne.

Mais la campagne locale peut être en vain dans certains cas. Royce Koop, professeur en science politique à l’Université du Manitoba, estime que le travail de terrain des candidats ne change pas nécessairement l’opinion d’un électeur. « Les candidats locaux vont souvent simplement être portés par la vague de la campagne nationale. Donc si la campagne est mauvaise, le candidat va sans doute en payer le prix, même s’il menait une bonne bataille dans sa circonscription. » Le travail sur le terrain peut néanmoins assurer un plus grand nombre de personnes qui se pointent aux urnes le jour du scrutin. « Un bon pointage, des appels coordonnés, des pancartes sur les balcons, tout cela n’attirent pas nécessairement de nouvelles personnes vers le parti, mais peuvent créer un certain élan dans la base électorale, nuance-t-il. Surtout si la course est serrée dans une circonscription ».

Maintenir le cap

Sur le terrain, des circonscriptions gagnables, comme celles abordées plus haut, gagnent souvent en élan. « Un candidat qui semble sur le point de gagner peut définitivement attirer un plus grand nombre de votes, surtout dans un système électoral comme le nôtre, explique Royce Koop. Les électeurs veulent voter pour le parti gagnant et non perdant, sinon ils ont l’impression de perdre leur vote. »

Et les candidats ne sont pas complètement impuissants devant la campagne nationale, car malgré un grand nombre d’électeurs qui prennent principalement en compte les chefs de parti, le représentant local importe aussi pour d’autres. « La majorité des gens suivent le débat et évaluent le comportement du chef de parti, mais un candidat local que l’on connaît bien, qui est éloquent et qui connecte bien avec la communauté, peut aussi faire la différence », concède le professeur Koop.