En tant que directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal (IEDM), Youri Chassin, aujourd’hui candidat de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ne pouvait ignorer que l’IEDM fait partie de la nébuleuse des think tanks soutenue par des magnats du pétrole comme les frères Koch notamment pour convaincre les gouvernements de ne pas nuire aux intérêts pétroliers (voir la première partie de ce dossier publiée hier). En fait, M. Chassin semble s’être inspiré de la nouvelle idéologie climato-sceptique de groupes comme le Cato Institute, qui minimise les dangers du réchauffement plutôt que de les nier bêtement. Rien ne démontre, dans la campagne électorale en cours, que la CAQ et son chef, François Legault, sont vraiment préoccupés par les changements climatiques.

Les mesures visant à réduire la production et la consommation d’hydrocarbures sont présentées par les néo-climato-sceptiques comme nuisibles pour l’économie, coûteuses pour la population et surtout prématurées, puisqu’il n’y aurait pas d’urgence à se passer du pétrole.

Le réchauffement du climat est présenté comme un phénomène très compliqué, une façon subtile d’amener les citoyens à ne pas trop se casser la tête avec ça, eux qui ont déjà tant d’autres soucis et qui devraient plutôt s’inquiéter des hausses de taxes sur les carburants.

Plutôt que de limiter notre dépendance au pétrole, les gouvernements devraient faire confiance au marché, qui finira bien par développer de nouvelles technologies pouvant limiter les émanations de gaz à effet de serre (GES). Ce mantra est bien résumé par le Cato Institute, un des nombreux think tanks américains soutenus par les Koch :

Global warming is indeed real, and human activity has been a contributor since 1975. But global warming is also a very complicated and difficult issue that can provoke very unwise policy in response to political pressure. Although there are many different legislative proposals for substantial reductions in carbon dioxide emissions, there is no operational or tested suite of technologies that can accomplish the goals of such legislation. Fortunately, and contrary to much of the rhetoric surrounding climate change, there is ample time to develop such technologies, which will require substantial capital investment by individuals. ­

C’est la ligne de pensée que Youri Chassin a systématiquement suivie lorsqu’il a écrit sur le climat, l’énergie et l’environnement, ses thèmes de prédilection. M. Chassin a pu profiter d’une tribune grand public en publiant ses chroniques dans le Journal de Montréal. Voici quelques extraits de ses articles, tous disponibles sur le site de l’IEDM.

Bourse du carbone : dans quelle galère embarquons-nous? 3 juillet 2014

Comme nombre de bonnes idées, malheureusement, c’est dans son application que le marché du carbone pose problème. Ainsi, dès janvier, le prix du litre d’essence augmentera d’environ 3 ¢ en raison de cette nouvelle taxe.

On peut penser que les Québécois-es seraient prêt-es à payer un peu plus cher pour se déplacer. Mais on ne doit pas oublier que le Québec est déjà l’une des provinces taxant le plus l’essence au Canada. Cette augmentation de 3 ¢ par litre n’apparaît pas substantielle en elle-même, mais c’est le total qui fait mal quand on sait qu’une famille possédant deux voitures paie facilement plus de 1200 $ par année en taxes sur l’essence.

Un éléphant vert au PQ, 21 janvier 2015

Dans cet article, M. Chassin ridiculisait deux candidats à la chefferie du Parti québécois, dont Bernard Drainville qui proposait «que le Québec devienne la première économie sans pétrole, la première économie vraiment verte des Amériques».

Parler d’utopiques projets à grand renfort de buzzwords était peut-être séduisant à une époque. Mais aujourd’hui, alors que l’information circule abondamment, ces deux candidats n’ont pas fait leurs devoirs. Les éléphants verts sont jolis en théorie, mais ne survivent pas à la réalité.

Surtaxe de 3,57 cents à la pompe… pour Québécois seulement! 7 avril 2015

Malheureusement, le Québec est déjà une des provinces taxant le plus l’essence au Canada. Une famille possédant deux voitures paie déjà, bon an mal an, plus de 1200 $ par année en taxes sur l’essence!

Quant à nos entreprises, elles devront débourser pour acheter des droits d’émission au lieu d’investir dans leur développement. L’impact de ce coût supplémentaire ne peut qu’entraîner une perte de compétitivité pour les entreprises installées ici et un ralentissement de l’économie, puisque seuls le Québec et la Californie ont décidé pour le moment de mettre cet accord en application. Sans l’ajout d’autres partenaires dans ce «marché», cette initiative a peu de sens.

Les bananes de St-Jérôme en péril, 20 juillet 2015

Dans cet article, M. Chassin ridiculisait le maire Coderre et d’autres maires pour leur opposition au projet d’Énergie Est.

Tenter d’arrêter le commerce qui transite par le Québec équivaut à une demande de rançon : donnez-nous des retombées économiques sinon… pas de projets! Le problème, c’est que demain, qui se permettra de jouer les brigands de grands chemins à nos dépens?

Anticosti deviendra-t-elle la Terre-Neuve du Québec, 29 octobre 2015

Or, il existe une belle opportunité d’enrichir l’île, ses habitant-es et le Québec dans son ensemble. Et cette opportunité passe par l’exploitation d’une richesse abondante de l’île : son pétrole. (…)

Le Québec abonde en ressources énergétiques, mais les efforts en vue de développer les réserves d’hydrocarbures de la province ont essuyé ces dernières années retards et obstacles réglementaires, en plus de l’opposition de groupes militants. Si le Québec donnait le feu vert tant attendu au développement de ses ressources, notamment pétrolières sur l’île d’Anticosti, l’économie du Québec en entier s’en porterait mieux.

Les morts «climatiques» et la pauvreté, 25 novembre 2015

La Conférence de Paris sur les changements climatiques s’ouvre dans 5 jours et, inévitablement, les journaux se remplissent de nouvelles alarmantes sur les changements climatiques (…)

Par contre, il ne faut pas tomber dans l’alarmisme (…)

Il est pertinent de souligner deux éléments pour contrer le catastrophisme (…)

Penser qu’on va tous mourir dans d’effroyables tempêtes tient davantage du Bonhomme Sept Heures que de la réalité scientifique.

Anticosti, pipelines et pétrole : la majorité silencieuse se révèle pragmatique, 17 février 2016

Même si on souhaite ne plus utiliser de pétrole demain matin, ce n’est pas encore envisageable. Dans ces conditions, il ne faut pas confondre la pensée magique avec une option raisonnable ou envisageable.

Le coût de la réduction des GES : 600 $ à 1800 $ par Canadien, 22 avril 2016

C’est (les objectifs de réduction de GES) vraiment très peu réaliste dans l’état actuel des choses.

Les trois amigos promettent beaucoup, 29 juin 2016

Dans le passé, plusieurs gouvernements ont promis davantage d’énergie verte, sans trop s’attarder aux conséquences économiques pour leurs citoyens et citoyennes. En Espagne, ce fut une catastrophe. Les prix de l’électricité ont grimpé en flèche, affectant les consommateurs et les finances publiques. Les familles allemandes paient quant à elles plus de 400 $ par année en moyenne pour subventionner les énergies vertes. (…)

Si la promesse d’augmenter la part des énergies renouvelables signifie l’appauvrissement des citoyens et citoyennes d’Amérique du Nord, la moindre des choses serait d’être transparents.

L’échec prévisible du Fonds vert, ou comment choisir les pires projets, 8 août 2016

Les politiciens et les fonctionnaires ne sont pas les bonnes personnes pour choisir les projets de réductions des GES à financer.

L’or «pas si noir» stimule notre économie, 24 mars 2017

Parfois, on a tendance à oublier que le pétrole n’est pas qu’une source de pollution. Comme source d’énergie, le pétrole permet à notre société de fonctionner. Comme source d’activité économique, le pétrole permet à l’économie québécoise de fleurir. Tout n’est pas noir lorsqu’il s’agit de l’or noir. Il y a le mot «or» aussi.

«Se passer du pétrole n’est ni urgent, ni facile»

Cette affirmation de M. Chassin (et de son collègue Germain Belzile) représente la quintessence de la nouvelle idéologie climato-sceptique, qui s’adapte tant bien que mal au réchauffement indéniable du climat.

Bien évidemment, se passer du pétrole n’est pas facile, mais c’est certainement urgent. Il est urgent de prendre les mesures difficiles pour s’en passer. Mais en répétant que ce n’est pas facile, les néo climato-sceptiques atteignent malheureusement le but que s’est fixé le lobby des hydrocarbures : décourager la population de changer ses habitudes et la dissuader de se mobiliser pour obliger les gouvernements à nous sortir du pétrole.

Cette phrase apparaît dans un cahier de recherche que MM. Chassin et Belzile ont publié en décembre 2014 pour dénigrer les propositions de deux groupes environnementaux, Équiterre et Vivre en ville, visant à réduire la consommation de pétrole. Elle s’intitule : «Peut-on se débarrasser du pétrole? Les coûts d’une transition énergétique accélérée».

Les écologistes sont présentés comme des rêveurs déconnectés de la réalité économique et dont les propositions, si elles étaient adoptées, viendraient appauvrir les Québécois :

Les arguments des retombées économiques, de la réduction des importations et de la création d’emplois verts, souvent invoqués pour illustrer d’autres avantages des moyens proposés, contredisent les prémisses de base de l’analyse économique.

Subventionner un emploi nécessite forcément de prélever ailleurs dans l’économie des taxes et des impôts qui, eux, détruisent des emplois non subventionnés. Ainsi, en Ontario, chaque emploi dans les énergies vertes coûte plus de 179 000 dollars.

Les vrais rêveurs sont pourtant ces économistes qui pensent que l’économie peut continuer de tourner sans changement radical. Les experts du climat sont formels : les changements climatiques en cours nous mènent tout droit vers une catastrophe planétaire et un effondrement économique sans précédent. Peu importe cette réalité, M. Chassin insiste sur les bénéfices reliés au pétrole :

Selon eux (les écologistes), la grande place qu’occupe le pétrole dans nos vies et notre économie signifie que nous sommes «dépendants du pétrole».

La notion de dépendance est toutefois trompeuse. Si l’utilisation du pétrole comme source d’énergie génère des désagréments et de la pollution, elle engendre aussi d’importants bénéfices, particulièrement pour le transport des personnes et des marchandises. (…)

Il ne sert à rien de diaboliser une ressource s’il n’existe pas de solutions de rechange réalistes, ni d’échafauder des projets sans prendre en compte leurs coûts et la volonté populaire de les assumer.

M. Chassin martèle que la transition énergétique proposée par les écologistes engendrerait une baisse draconienne du niveau de vie des Québécois.

Tenter d’accélérer ce processus requiert des programmes gouvernementaux toujours coûteux et rarement efficaces. (…)

De cette façon, l’atteinte de l’objectif fixé par Équiterre et Vivre en ville, soit de diminuer de 60 % la consommation d’essence pour les transports privés, devrait se matérialiser par une hausse du prix de l’essence de 100 %. Il faudrait donc ajouter de nouvelles taxes sur l’essence pour faire passer le prix de 1,38 à 2,76 $. (…)

Penser qu’il y a des économies à faire en se passant d’un produit dont la consommation augmente le bien-être et la productivité équivaut à suggérer que nous devrions tous jeûner pour épargner sur les dépenses d’épicerie.

La solution au problème du réchauffement climatique — un problème qui n’est pas urgent, rappelons-le — est donc de laisser les entreprises développer de nouvelles technologies. Entre-temps, les gouvernements devraient y réfléchir à deux fois avant d’augmenter les taxes sur l’essence de façon importante et d’utiliser ces nouvelles recettes pour subventionner les énergies vertes, car la grande majorité des Québécois ne voudraient pas d’une telle mesure.

Le progrès technologique nous permettra certainement à moyen terme de réduire la consommation de pétrole et de passer à des énergies plus propres. Entre-temps, il faudrait davantage prendre en compte dans les débats publics les coûts que représentent les propositions des groupes environnementalistes pour accélérer cette transition vers des sources d’énergie plus vertes.

Tous ceux qui suivent l’actualité au Québec ont pris note de la vision de M. Chassin sur le rôle de l’État, tel qu’il l’avait développée sur son blogue, trois semaines avant de présenter sa candidature pour la CAQ : «Si je me montre si suspicieux envers les solutions étatiques, c’est principalement parce que je ne crois pas au mythe d’un État au service du bien commun. Déjà, l’idée qu’il puisse exister un «bien commun» sonne l’alarme. La joute politique se fonde justement sur l’absence de consensus quant à la nature du fameux bien commun.»

Il existe pourtant un bien commun, la planète Terre, qui n’appartient surtout pas aux magnats du pétrole. Des décisions doivent être prises à l’abri de leur lobby. Deux visions s’affrontent. Les scientifiques (et l’ONU, la FAO, le GIEC, etc.) répètent jour après jour qu’il est urgent de sortir d’une économie basée sur la combustion fossile. Youri Chassin, ses collègues de l’IEDM et toute la nébuleuse de think tanks soutenus par l’industrie du carbone affirment au contraire que nous pouvons prendre notre temps. M. Legault croit-il les scientifiques ou son candidat Youri Chassin?

Croyons-nous en la science ou au lobby du pétrole? C’est probablement la question centrale qui devrait se poser en cette fin de campagne électorale. D’autres dossiers, comme l’immigration, ont fait l’objet de nombreux échanges entre les partis; il est peut-être temps de passer à un autre débat, un débat sur une crise réelle et pressante, celle du climat, qui exige des mesures concrètes et immédiates.