Le collectif féministe Les Sorcières avait alors confectionné un «kit d’apostasie» (on en trouve aussi ailleurs). Je me souviens qu’une bénévole de l’évêché avait téléphoné pour demander à mon amoureuse les raisons de sa démarche et lui proposer une rencontre pour discuter de son orientation spirituelle.
Apostasie politique
Même si le contexte était bien moins dramatique, je me suis souvenu de la démarche de mon amoureuse quand je me suis présenté au bureau de ma circonscription, il y a quelques jours, pour être radié de la liste électorale. Un jeune homme lisait derrière le comptoir d’accueil. Il m’a invité à passer dans la salle d’attente, où m’attendaient une vingtaine de chaises vides. On m’a tout de suite proposé d’entrer dans la salle de révision. Les quatre femmes y travaillant sont restées éberluées devant ma demande. «Pour quelle raison voulez-vous être radié?», m’a-t-on demandé. «Je ne vote pas», ai-je répondu. J’ai craint qu’on me propose de discuter de ma spiritualité démocratique.
La femme assignée à l’ordinateur a commencé à remplir un formulaire en ligne qui offrait plusieurs raisons de radiation :
- Ne pas avoir «la qualité d’électeur» ;
- Un changement ou une erreur d’adresse ;
- Être sous curatelle ou décédé.
À ma demande, elle a coché l’option «raison personnelle». Le système informatique s’est alors grippé. Il a fallu appeler à l’aide une autre responsable, puis une autre, puis un responsable qui a téléphoné à Québec. Un petit groupe s’agitait alors autour de l’ordinateur, essayant de relancer la machine pour enregistrer ma radiation.
L’ordinateur toujours en panne, je suis sorti après un certain temps, avec une copie du formulaire rempli à la main confirmant que je suis officiellement apostat du parlementarisme (rassurez-vous : la panne affectait tout le système, sans que j’en sois responsable).
Péché capital
L’apostat politique est soumis à un lourd jugement moral, comme s’il s’agissait d’un péché. C’est à tout le moins ce que je ressens quand j’évoque ma démarche. Je ne suis qu’un méprisable pécheur aux yeux des fidèles qui se massent à chaque occasion dans les bureaux de vote, pour communier ensemble en glissant un bulletin de vote — le très sain corps du peuple — dans l’urne électorale, d’où sortira la voix du peuple. Vox populi, vox Dei .
Rien de surprenant que le vote apparaisse sacré, puisqu’on nous apprend à voter dès notre jeune âge pour un Conseil d’élèves. Une telle pratique relève d’une volonté d’endoctriner les enfants. Il n’y a pas si longtemps, les écoles préparaient la jeunesse à la première communion, et même accompagnaient les enfants jusqu’à l’église. Aujourd’hui, on les prépare à voter, en leur demandant de répéter le même geste année après année, à savoir voter pour un autre enfant qui prétend pouvoir représenter les élèves auprès de la direction (quelle blague…).
Adulte, on revient dans le même gymnase d’école pour poser le même geste sacré. Oui, je sais : des gens sont morts pour l’obtention du droit de vote, comme Jésus pour racheter nos péchés. Oui, je sais : voter est un droit, une responsabilité, un devoir.
Mais depuis le début du système électoral, des voix s’élèvent aussi pour dire qu’il est absurde de se donner des maitres et qu’il ne faut pas être gouverné si nous voulons être libres et égaux. Même les plus marginaux des marginaux ont dénoncé le cirque électoral. Aux États-Unis, par exemple, l’anarchiste Emma Goldman était une pauvre femme juive immigrée de Russie et plusieurs fois jetée en prison puis expulsée du pays. Malgré ses souffrances, elle n’a jamais placé sa foi politique dans le cirque électoral. Pour elle comme pour bien d’autres, la liberté et l’égalité ne peuvent sortir des urnes, mais seulement de la lutte politique et de l’organisation collective et autonome. Il ne peut y avoir de démocratie que directe ; s’il y a des chefs, il n’y a pas de démocratie.
Au nom du DGEQ
L’abstention apparait à ce point abjecte et immorale pour plusieurs qu’il faudrait sans doute une prière de repentance, pour purifier notre belle province de ce péché politique. Récitons donc « Au nom du DGEQ », après avoir effectué un signe de croix, comme celle que l’on inscrit sur le bulletin de vote :
Au nom du DGEQ/du parlement/et de la souveraineté du peuple/Amen.
Notre DGEQ/Qui es à Québec/Que Ton Acronyme soit sanctifié/Que Ton Règne se perpétue/Que Ta Volonté soit faite/en ville comme à la campagne.
Donne-nous aujourd’hui/notre bulletin de vote de ce jour/Pardonne nous nos abstentions/comme nous pardonnons aussi/à qui n’a pas voté.
Je crois au parlement/le souverain tout-puissant/créateur des villes et des campagnes/et aux partis politiques/ses multiples fils, nos seigneurs.
Le sain parlement conçu par la voix du peuple/est le fruit des urnes/il a conservé son crucifix.
Je crois en la voix du peuple/à la corruption des chefs de parti/à la nation éternelle.
Mon DGEQ/je crois fermement toutes les vérités que Tu as révélées/et que Tu nous enseignes dès l’école/parce que Tu ne peux ni Te tromper, ni nous tromper.
Nous Te rendons grâce pour tous Tes bienfaits/ô DGEQ tout-puissant/qui vit et règne dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
Amen. »