Ils étaient chaleureux, mais peu nombreux les partisans lorsque l’autobus de Québec solidaire s’est arrêté à Val-d’Or, le 31 août dernier. Dans la «foule», on retrouvait majoritairement des bénévoles impliqués dans la campagne, une militante LGBTQ, deux militantes pour la présence de sages-femmes en Abitibi-Témiscamingue et quelques visages connus pour leurs positions critiques devant les pratiques de la mine Canadian Malartic. L’autobus a dû quitter Val-d’Or, dans la circonscription d’Abitibi-Est, et conduire une centaine de kilomètres plus loin, sur la route 117, vers Rouyn-Noranda, pour retrouver LE microcosme de solidaires de la région. «J’ai été témoin de l’engouement qu’il y avait là», raconte la préfète de la MRC de Témiscamingue, Claire Bolduc. «À Ville-Marie, il y a aussi un engouement. Ce n’est pas marginal», rajoute l’ancienne présidente de Solidarité rurale.
Ils sont plus de 600 membres de Québec solidaire dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue. C’est un peu plus que le Parti québécois qui en compte 550. À l’extérieur de Montréal, la circonscription serait la deuxième plus importante en membership après celle de Taschereau. Pour cette élection, l’équipe met toute la gomme. «Pour la première fois, on atteindra le maximum de budget autorisé par la loi, soit plus de 40 000 $, et on a près de 200 bénévoles impliqués», souligne Nicole Desgagnés, codirectrice de campagne. L’appui des porte-paroles est aussi visible sur le terrain. Lors de la fin de semaine de la fête du Travail, en plein Festival de musique émergente (FME), un événement musical très accouru dans la région, Gabriel Nadeau-Dubois en était à sa deuxième présence en deux semaines aux côtés d’Émilise Lessard-Therrien.
Rien de gagné
Mais être solidaire en Abitibi, c’est un peu comme être militant conservateur sur le Plateau Mont-Royal. L’orientation suscite de l’incompréhension et attire même la dérision. «Leur programme économique, c’est n’importe quoi», considère le président de la Chambre de commerce et d’industries de Rouyn-Noranda, Jean-Claude Loranger. Leur proposition d’augmenter les redevances minières ou d’augmenter le salaire minimum à 15 $/h dès un premier mandat, ça ne correspond pas aux attentes de notre milieu», rajoute-t-il.
En Abitibi, Québec solidaire est connu comme le parti qui souhaite nationaliser les mines. Un tel projet inquiète la région qui doit son existence même à l’industrie minière. «On n’est pas contre les mines, on veut vraiment défaire cette étiquette-là qui nous colle à la peau. On est conscients que ça apporte beaucoup de vitalité dans nos régions», répète souvent la candidate Émilise Lessard-Therrien. La question était aussi inévitable à poser à Manon Massé lors de son passage. «Effectivement, dans notre programme, on a déjà dit qu’on ne serait pas gênés de prendre le contrôle public de certaines ressources. Mais dans cette élection-ci, il n’est pas question de ça. Que nos détracteurs cessent de répéter que c’est ce qu’on met de l’avant, ce n’est pas dans notre plateforme actuellement», réplique la co-porte-parole. Pour continuer de faire profiter l’État de l’exploitation, Québec solidaire propose d’aller chercher 5 % de redevances sur le brut de l’extraction du minerai pour l’investir dans un fond de diversification de l’économie qui servira à soutenir les autres secteurs économiques de la région comme l’agriculture et l’industrie forestière.
D’autres propositions apparaissent saugrenues pour l’Abitibi-Témiscamingue. L’électrification de l’ensemble des voitures du Québec d’ici 2030 est préoccupante pour ceux et celles qui doivent traverser près 300 kilomètres de route isolée pour se rendre à Montréal.Manon Massé a aussi voulu se montrer rassurante sur cet enjeu. «On va échelonner ça de 2030 à 2050, on va donner des bonus pour inciter les gens à faire la transition et soutenir plus spécifiquement les gens dans les régions, particulièrement dans les régions éloignées, les gens qui ont une famille, et les gens à plus bas revenus».
QS «entend les préoccupations»
Pour démontrer sa sensibilité à la réalité de la région, Québec solidaire a profité de son passage à Val-d’Or pour réitérer sa volonté de cesser le financement public des écoles privées québécoises. «Les parents de Val-d’Or, tous les parents de l’Abitibi-Témiscamingue, eux, n’ont pas le choix. Il n’y en a tout simplement pas d’écoles privées en Abitibi-Témiscamingue. Ça veut dire que les taxes et les impôts des gens d’ici, de la région, servent à financer des écoles privées à Montréal et à Québec», a dénoncé Gabriel Nadeau-Dubois, en conférence de presse.
Mais est-ce que ces annonces et les réponses aux détracteurs suffiront à mieux faire connaître et apprécier le parti aux Abitibiens et aux Témiscamiens? Il reste encore beaucoup de chemin à faire, selon Claire Bolduc. «Ils font un effort, mais la connaissance fine des régions est encore manquante. Ils doivent moduler certaines de leurs propositions pour qu’elles soient applicables chez nous», affirme-t-elle. Pour sa part, Jean-Claude Loranger est déçu que la candidate de Rouyn-Noranda–Témiscamingue n’ait pas approché une rencontre avec la Chambre de commerce. «Contrairement aux autres partis, ils ne sont pas venus nous rencontrer. Ils ne sont pas près des entreprises», tranche-t-il.
Mais Émilise Lessard-Therrien demeure inébranlable. Elle est convaincue que les orientations de Québec solidaire s’arriment à son coin de pays. Résidente du Témiscamingue, là où l’économie est davantage basée sur l’agriculture, elle croit convaincre beaucoup de familles de ce secteur avec l’approche décentralisée de son parti. Claire Bolduc voit la campagne aller de près, mais ne veut pas dévoiler ses allégeances. Elle constate néanmoins que les cartes sont brouillées auprès des électeurs. «Les gens disent : ”ça ne va pas être facile de voter cette année!” Mais peu importe l’issue du scrutin, je crois qu’Émilise a déjà gagné. Sa campagne aura été bonne pour elle, mais aussi bonne pour le Témis».