La nouvelle loi 144, entrée en vigueur en juillet, vise à ouvrir les portes des écoles publiques de la province à tous les enfants de 6 à 16 ans, sans égard à leur statut d’immigration. Une preuve d’adresse et une preuve d’identité seront désormais suffisantes pour inscrire un-e élève; plus aucun document d’immigration ne sera exigé à l’inscription. Mais, selon plusieurs défenseurs et défenderesses des droits des personnes sans papiers, cette loi comporte d’importantes lacunes, tant au niveau de la loi en soi qu’au niveau de sa mise en pratique.
«C’est une bonne mesure, qui permet aux jeunes sans papiers d’aller à l’école au même titre que d’autres jeunes, mais nous avons quelques inquiétudes au niveau de la mise en application,» dit Serge Bouchereau, du Comité d’Action des Personnes Sans Statut.
«Je dirais que cette loi règle le problème à 90 pour cent,» dit le député solidaire sortant Amir Khadir, dont le parti a défendu la cause des élèves sans papiers pendant plusieurs années.
Bouchereau, Khadir et Steve Baird, membre du collectif Éducation Sans Frontières qui milite pour une telle loi depuis de nombreuses années, observent que la loi exclut les élèves dont les parents ou titulaires de l’autorité parentale vivent hors Québec. «Si un élève habite chez ses grands-parents, par exemple, mais que ses parents habitent dans un autre pays, cet élève ne sera pas admissible à la gratuité scolaire,» précise Steve Baird. Les personnes qui ont 18 ans ou plus et celles qui n’ont pas de preuve d’identité pourraient aussi se retrouver exclues, poursuit M. Baird.
Ces élèves recevront, comme auparavant, des factures de 5800 $ à 7200 $, dépendamment du niveau de scolarité de l’enfant, un montant que beaucoup de familles ne sont pas en mesure de payer, selon Steve Baird. Les frais peuvent s’élever à 20 000 $ si un élève est en situation de handicap.
Les militant-es craignent également que malgré la nouvelle loi, même les enfants admissibles à l’éducation gratuite ne puissent y accéder. Steve Baird note que plusieurs commissions scolaires n’ont pas mis à jour leurs pages d’inscription en ligne pour refléter le fait qu’un document d’immigration n’est plus requis. Il ajoute que par le passé, certaines écoles ne respectaient pas la confidentialité des familles sans statut.
«Selon notre expérience d’encadrement des familles, on rencontre certaines barrières… qui sont toujours présentes,» dit Steve Baird. «Les familles ont peur de confier leurs renseignements à une institution gouvernementale, et leurs peurs seront exacerbées s’ils trouvent que leurs informations ne sont pas traitées avec confidentialité… Ils vont se retirer du processus d’inscription et ils vont même retirer leurs enfants de l’école», affirme-t-il.
Barbara Fritz, une collègue de M. Baird, soulève aussi la question de la sensibilisation des employé-es des écoles. «Ce n’est pas parce qu’il y a une loi que tout le personnel de toutes les écoles vont nécessairement l’appliquer» a-t-elle dit. Elle cite une étude par une ONG torontoise, datant de 2010, où seulement 31 écoles sur 201 interrogées ont déclaré que des élèves sans statut pouvaient y étudier légalement et gratuitement – même si une loi à cet effet était en vigueur depuis 17 ans.
Esther Chouinard, porte-parole du ministère de l’Éducation, mentionne que «l’ensemble du réseau scolaire recevra bientôt des informations» concernant la mise en application de la loi. Des cinq commissions scolaires francophones de la grande région de Montréal, deux ont répondu aux questions de Ricochet sur la mise en application de la loi. «Les membres du personnel impliqués dans le processus d’inscription des élèves ont été informés sur les nouvelles dispositions applicables,» a dit Valérie Biron, directrice adjointe de la Commission scolaire de la Pointe de l’île.
Gina Guillemette, de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, ne fait mention d’une formation spécifique pour les employés, mais elle souligne une politique existante qui demande aux employés de recueillir «le minimum d’information nécessaire» pour inscrire les enfants à l’école. «Notre procédure n’a pas changé; on ne refuse personne, on n’exige pas de documents d’immigration (et) on n’écrit le statut d’immigration de l’élève nul part,» poursuit Mme Guillemette. «Tout ce qu’on veut, c’est que l’élève puisse aller à l’école aussitôt que possible.»
Une longue lutte
Cette loi est le fruit d’une lutte de plusieurs années, menée entre autres par Québec solidaire et le collectif Éducation sans frontières, qui fait de la sensibilisation sur la question depuis 2011. En 2014 un rapport de la protectrice du citoyen a mis en lumière le fait qu’un nombre important de jeunes (les estimations allaient de 300 à «plusieurs milliers») n’allaient pas à l’école à cause de leur statut d’immigration précaire.
Deux ans plus tard, en septembre 2016, Françoise David avait déposé une motion pour que «le statut d’immigration d’un élève d’un enfant résidant au Québec ne soit pas une contrainte à l’accessibilité à l’enseignement primaire et secondaire gratuitement.» Par la suite, pas moins de trois projets de loi ont été déposés à cet effet, sans résultat jusqu’à cette année.
Amir Khadir explique que la motion de Françoise David a été déposée à un moment ou des réfugié-es syriens arrivaient en nombre grandissant et des demandeurs d’asile commençaient à affluer vers la frontière américaine. En mars 2017, QS avait déposé le projet de loi 793 visant à créer des «écoles sanctuaires.» Pendant ce temps, les libéraux tentaient de régler le problème avec deux autres propositions — la loi 86, qui sera ultimement abandonnée après plus de deux ans de discussions, et la loi 105, qui sera finalement passée sans aucune provision pour les élèves sans papiers.
«Il y a deux ans, on a accepté le principe (de l’accès gratuit à l’école pour les jeunes quel que soit leur statut d’immigration). Le gouvernement n’avait même pas besoin d’une loi, ils auraient pu faire un décret ministériel, mais ils ne l’ont pas fait,» se désole M. Khadir.
Serge Bouchereau craint que les familles elles-mêmes ignorent les changements à la loi, et compte organiser un atelier pour des parents affectés au cours du mois de septembre. «Les parents peuvent poser toutes les questions qu’ils veulent et on agira en fonction de ça,» dit-il. Il ajoute que pour lui, le simple fait d’admettre un enfant dans la salle de classe ne suffit pas. «Les élèves sont souvent traumatisés et les parents ne savent pas à quel saint se vouer. Les écoles devraient être en mesure d’aider les parents à aider leurs enfants… à retrouver un certain équilibre. Il faut que les écoles deviennent de vrais sanctuaires», pense-t-il.