J’ai donc été particulièrement heureux lorsque les journaux nous ont appris le dépôt, le 2 août, d’un rapport critiquant le déploiement et les manœuvres des forces policières lors du G7 en juin. C’est que les experts indépendants y dénonçaient ces « entraves déraisonnables aux libertés d’expression et de réunion pacifique ».
Heureux, parce que je me suis dit : «Enfin! Les autorités politiques et policières vont être l’objet d’un flot de vives critiques. Elles devront s’excuser, s’amender. Démissionner, peut-être?» Les jours suivants, j’ai consulté les journaux pour y chercher des éditos, chroniques et autres lettres d’opinion critiquant la police et défendant la liberté d’expression citoyenne. Rien.
Curieux, non?
Car si j’ai bien compté, la pièce SLĀV a été l’objet de plus de 150 textes dans les trois principaux journaux francophones, en un peu plus de 30 jours, soit 63 textes au moins dans Le Journal de Montréal (21 articles et 42 chroniques), sans compter les lettres de lecteurs ; au moins 70 textes dans Le Devoir (25 textes d’opinion, 21 lettres de lecteurs, 14 articles, 9 chroniques et 2 éditoriaux), et environ une vingtaine de textes sur la plateforme Cyberpresse.
Le Devoir proposait encore deux lettres sur le sujet le 8 août, soit un mois et demi après le début de la polémique.
Qu’on ne vienne pas me redire qu’il n’y a pas de débats au Québec…
Une polémique en cache une autre
L’an dernier, pourtant, bien peu de francophones du Québec avaient défendu la liberté d’expression de l’équipe ayant réalisé la série historique Canada : The Story of Us, produite par CBC/Radio-Canada dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de la fondation du Canada moderne. Bien au contraire, plusieurs déploraient que les personnages canadiens-français soient interprétés par des acteurs anglophones.
La représentation de la Nouvelle France avait aussi été vertement critiquée par nul autre que le Premier ministre Philippe Couillard et par son ministre Jean-Marc Fournier, du Parti libéral du Québec, par le Parti québécois et par le Bloc Québécois. Le président de la Société des professeurs d’histoire du Québec avait annoncé que ses membres n’utiliseraient pas cette série en classe. Le problème? Elle ne concordait pas avec le programme d’enseignement de l’histoire tel que défini par le ministère de l’Éducation du Québec, selon l’Institut d’histoire de l’Amérique française. La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada considérait pour sa part que l’histoire acadienne était bien mal représentée, à l’avantage d’«une vision clairement anglo-dominante de l’histoire de notre pays».
La liberté d’expression et de création comptait alors bien moins que la concordance avec «notre» interprétation de «notre» histoire.
Liberté d’expression et G7
Une semaine après le dépôt du Rapport, j’attendais encore qu’un des trois principaux journaux francophones publie un texte déplorant que la liberté d’expression citoyenne ait été entravée par l’excessif déploiement policier. Après tout, le rapport avait été commandé par le ministre de la Sécurité publique aux professeurs de droit Louis-Philippe Lampron et Christine Vézina, de l’Université Laval, et à l’ex-sous-ministre Mario Bilodeau. Bref, des gens raisonnables et respectables, pour qui s’inquiète de l’influence prétendue des «nouveaux fascistes», des «petits commissaires des peuples» et des «caniches de la rectitude politique», comme ont été qualifiés les activistes antiracistes.
Si pareille rhétorique catastrophiste peut servir à dénigrer quelques manifestantes et manifestants critiquant des pièces de théâtre, on peut bien trouver les mots pour dénoncer des gouvernements qui déploient des milliers de policiers lourdement armés pour contraindre les libertés d’expression et de réunion de «simples» citoyennes et citoyens.
Ne doit-on pas dénoncer cette «tyrannie des autorités intolérantes» et qualifier leurs policiers de «bien- pensants» qui obéissent à des ordres comme de bons «caniches»? Si on n’osera pas qualifier «nos» policiers de «nouveaux fascistes», ne doit-on pas déplorer à tout le moins la «menace et l’intimidation» et la «coercition», pour reprendre d’autres termes invoqués pour dénoncer la «censure» contre SLĀV et Kanata?
En fait, les trois quotidiens n’ont publié qu’un article le lendemain du dépôt du rapport – dans Le Devoir, par exemple. Et c’est tout. Pas une lettre de lecteur, pas une chronique, pas un édito. Pas même une caricature. Rien. Zéro. Niet. Nada.
Ben coudonc!
Personne chez l’élite intellectuelle du Québec pour prendre la défense des «citoyens ordinaires» et déplorer que le ratio, lors du G7, paraissait «parfois s’approcher – voire dépasser – le 1 policier pour 1 manifestant», indique le rapport. Toujours selon ce rapport, le déploiement ne respectait «pas l’équilibre qui doit exister entre le respect des libertés d’expression et de réunion pacifique et la protection de la sécurité du public». Sans parler des conditions tyranniques imposées par les juges aux 13 personnes arrêtées pendant le G7 : interdiction de communiquer entre elles, d’être sur le territoire de la ville de Québec, etc.
Bref, dans ce débat sur la «liberté d’expression», c’est bien plus la défense d’un camp ou d’un groupe qui importe, que celle d’un principe réellement absolu et universel.
Cet été, une fois de plus, les journaux québécois nous ont surtout montré que la «liberté d’expression» des uns est bien plus importante que celle des autres.