Les États créent les nationalismes, qui engendrent les nations. Il n’y a là aucun phénomène naturel ou «normal». La solidarité verticale, nécessaire à l’État et au capitalisme est un phénomène historique effectivement moderne et bourgeois. La nation permet au capital d’engendrer son mouvement d’autovalorisation et à l’État de légitimer les coups de matraques et le contrôle social. Dans une perspective émancipatrice, rejeter radicalement le nationalisme contemporain est ainsi parfaitement logique.

Entre la Palestine et Israël, il y a un monde – par ailleurs séparé par un mur d’apartheid et des kilomètres de barbelés. Entre le nationalisme américain et celui des Autochtones, il y un ethnocide – qui se poursuit encore aujourd’hui.

Il faut cependant prendre garde : nos désirs ne sont pas des réalités. La critique du nationalisme en idées n’engendre malheureusement pas la fin des problèmes matériels qu’il engendre. Les monts et vallées créées par le colonialisme et l’impérialisme ne tirent malheureusement pas leur révérence devant les vœux pieux. Entre la Palestine et Israël, il y a un monde – par ailleurs séparé par un mur d’apartheid et des kilomètres de barbelés. Entre le nationalisme américain et celui des Autochtones, il y un ethnocide – qui se poursuit encore aujourd’hui.

Dans un tel contexte, mettre dos à dos les nationalismes revient à se porter au secours du plus fort et de sa violence colonisatrice. Peu de gens vont nier cette évidence.

Le Québec

Le cas du Québec est évidemment plus polémique… D’abord, il est une nation occidentale. Le niveau de vie est ici incomparable avec ceux des pays colonisés. Ensuite, il est une nation «comme les autres», dans le sens où il possède désormais une classe dirigeante nationale, voire impérialiste.

Ne pas aller plus loin dans l’analyse nous condamne toutefois à échapper une part importante de l’histoire du Canada français. C’est entre autres sur la Conquête britannique de 1760 que s’est bâtie le Canada. Celle-là constitue en soi un véritable massacre. En plus de la violente déportation des Acadiens, elle tue à elle seule un individu sur sept (10 000 morts sur une population de 70 000 individus).

La violente négation des droits des peuples autochtones est évidemment au centre de cette histoire. Elle est bien entendu incommensurable avec celle des Canadiens français; ce qui n’excuse toutefois aucunement la marginalisation systématique des francophones dans l’histoire canadienne. Les unes après les autres, les provinces canadiennes vont toutes adopter des lois éliminant ou limitant grandement l’enseignement du français : 1864 (Nouvelle-Écosse), 1871 (Nouveau-Brunswick), 1873 (Île du Prince-Edouard), 1890 (Manitoba), 1905 (Saskachevan et Alberta) et 1916 (Ontario).

À la quête d’une identité propre, ceux qu’on appelait jusqu’au 20ème siècle les «Anglais» se sont appropriés l’identité canadienne, qui était depuis quelques siècles celle des Canadiens français.

La Police montée (RCMP, qui deviendra la GRC), symbole canadien stéréotypé, est elle-même créée dans le but de «rendre l’ouest anglophone et protestant» au détriment des Métis et des Canadiens français.

À la quête d’une identité propre, ceux qu’on appelait jusqu’au 20ème siècle les «Anglais» se sont appropriée l’identité canadienne, qui était depuis quelques siècles celle des Canadiens français. Et l’on pourrait dire la même chose de l’hymne national, écrit pour la cérémonie de la Saint-Jean Baptiste.

Québec moderne

Les exemples dans le passé lointain sont nombreux. Mais le Québec moderne n’échappe pas à ces rapports de domination.

Encore en 1965, pourtant majoritaires dans la province, les Québécois se situent tout en bas de l’échelle salariale, loin derrière les Anglais (au premier rang) et juste au-dessus des Autochtones (au dernier). Il n’est pas exagéré d’affirmer que la situation était encore à cette époque néo-coloniale. Town of Montreal était une ville fermée (littéralement clôturée jusqu’aux années 1980); et le monde des affaires étaient très majoritairement réservé aux «Anglais» – des patrons se nommant «LeBlanc» s’auto-rebaptisaient «White».

On pourrait également parler longtemps du racisme et de la force des Orangistes au sein du gouvernement, des crises de la conscription, de la Crise d’octobre, du profilage policier à l’endroit des «séparatistes», du chantage économique et des fraudes lors des deux référendums, etc.

Cette oppression a sans doute pris des proportions moins importantes depuis la fin de la Révolution tranquille. Elle a été combattue, pouce par pouce, par les générations précédentes. Elle constitue toutefois l’expérience vécue de gens qui sont toujours vivants. Dans la perspective de l’histoire longue, elle a pris fin il y a quelques minutes à peine. Les cicatrices qu’elle a laissées dans la mémoire et les corps sont toujours vives.

On retrouve d’ailleurs encore aujourd’hui des indices de cette oppression: les universités anglophones sont 4 à 5 fois plus subventionnées que les francophones; casser du sucre sur le dos des Québécois est chose commune dans les médias canadiens; «fucking french canadians» disaient les policiers de Toronto alors qu’ils étaient en mission profilage anti-Québec en 2001 en marge des manifestations contre le G20; etc.

Contrairement au Canada, le Québec n’est pas un État. Il représente à peine 2% de la population en Amérique du nord – soir la marge d’erreur statistique. En phase avec une partie de la gauche modérée, le nationalisme canadien apparaît pourtant comme étant plus «ouvert» que celui du Québec. Trudeau parlait même d’un État «postnational». C’est le luxe que le nationalisme majoritaire peut se payer, lui qui n’a plus rien à prouver.

Dans un tel contexte, considérer comme équivalent les nationalismes québécois et canadien revient à favoriser le dernier, soit le plus puissant. Sortir du nationalisme n’est donc pas si facile. Ce dépassement exige que l’on reconnaisse à la fois les blessures historiques vécues par le peuple québécois et le rôle joué par les classes dominantes nationales dans cette oppression. Il exige également que l’on regarde de manière critique les concepts d’État, de nation, de peuple et de pays.

Sortir du nationalisme n’est donc pas si facile. Ce dépassement exige que l’on reconnaisse à la fois les blessures historiques vécues par le peuple québécois et le rôle joué par les classes dominantes nationales dans cette oppression.

«Ni Québec» – parce que la sortie n’en est pas une.

«Ni Canada» – parce que l’enfermement reste à ce jour insupportable.