Il est aujourd’hui un passeur d’idées conservatrices et réactionnaires de l’Europe vers le Québec. Ce trafic d’idées est son fonds de commerce. On ne compte plus ses textes qui présentent l’immigration comme un grave problème, la fermeture des frontières comme une solution miracle et les progressistes internationalistes comme de dangereux idéalistes déconnectés du vrai «peuple». Il présente ses positions très critiques de l’immigration en son nom propre dans ses chroniques, ou dans des reportages où il cite à profusion des intellectuels et des politiciens qui pensent comme lui.
À croire qu’il est en poste à Paris avec pour seul mandat de dénoncer l’immigration. Il y a pourtant une multitude d’autres sujets dont pourrait traiter le seul et unique correspondant du Devoir en Europe pour le plus grand bénéfice du lectorat : le protectionnisme agricole en Europe, les expériences d’urbanisme, les mutations du syndicalisme, les politiques d’austérité, le tourisme de masse, la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le système de santé en France, les garderies en Norvège, les conditions de vie des personnes aînées, etc..
Seulement 0,37% de risque de mourir
Lisant sa chronique intitulée «Le délire humanitaire» qui portait sur la migration africaine vers l’Europe, je suis resté éberlué de constater qu’il poussait sa logique anti-immigration jusqu’à souligner que le risque de mourir noyé en Méditerranée sur une embarcation d’infortune n’était que de 0,37%!
Pourquoi diable mettre en lumière ce chiffre de 0,37%, si non pour mieux ridiculiser le «délire» et le «misérabilisme humanitaire», pour reprendre les mots méprisants du chroniqueur?
Selon cette logique mathématique, que penser des 81 journalistes tués dans le monde, en 2017? Ce nombre, encore plus insignifiant que celui des victimes de la migration, ne représente que 0,096% de tous les journalistes… aux États-Unis, seulement. Conclusion, il ne faudrait pas se laisser berner par le délire et le misérabilisme des agences de presse qui dénoncent la répression contre les journalistes et les atteintes à la liberté médiatique.
Par le choix des mots et des chiffres, le chroniqueur cherche à minimiser la tragédie humaine, à minorer l’ampleur du désastre. Le chroniqueur aurait pourtant pu choisir d’autres chiffres et nous rappeler qu’il y a eu plus de 3 000 morts en Méditerrané, l’an dernier seulement. 3000 morts, c’est 23 fois plus de morts que lors des attaques du 13 novembre 2015 en France (Bataclan, etc.). C’est, chaque année, le nombre de victimes de l’attaque aérienne du 11 septembre 2001 et plus de deux fois celui du naufrage du Titanic. Chaque année.
Entre 3000 morts réels et 0,37% de risque de mourir, on voit bien ce qu’on cherche à nous faire voir et à nous cacher : beaucoup de mort d’un côté, presque pas de morts de l’autre. Bref, choisir des chiffres, c’est choisir des images, c’est un choix de valeur, c’est choisir son camp politique.
Que les Africains restent chez eux
Christian Rioux prétend qu’accepter les personnes migrantes en Europe a pour effet de «vider l’Afrique de ses forces vives», que sceller les frontières est une belle manière d’aider l’Afrique. Il s’agirait d’une solution plus efficace, pour tout le monde, que celle des idéalistes antiracistes qui veulent sauver les personnes migrantes.
Il faudrait donc se réjouir «de ce que l’angélisme, qui fait considérer ces migrations massives comme une “chance” pour l’Europe, soit de moins en moins répandu dans la classe politique […]. L’immigration massive est une catastrophe, pour les pays européens comme pour les pays d’origine.» Voilà ce que Christian Rioux prétend de chronique en chronique, même si ces propos sont en réalité ceux de Marine Le Pen, la cheffe du Front national, qui accordait une entrevue au sujet de l’Afrique, en 2017, au journal Le Monde.
Le journal Le Devoir a donc beau revamper son esthétique avec une toute nouvelle maquette, on y recycle encore de vieilles idées réactionnaires, comme cette thèse du Front national voulant que tout ira mieux si chacun reste chez soi (sauf Christian Rioux, ce Québécois logé à Paris).
Mais le chroniqueur oublie de dire que la fermeture des frontières est toujours à sens unique. Cela n’empêchera pas des millions de touristes «blancs» de débarquer en Afrique dans des hôtels de luxe et d’y pratiquer le braconnage d’animaux en voie d’extinction ou le tourisme sexuel, ni les États occidentaux d’y soutenir des régimes autoritaires, ni les armées occidentales de frapper en Afrique, ni les firmes occidentales d’y piller des ressources naturelles et d’importer à bon prix des produits d’Afrique (matières premières, nourriture, etc.).
Identitaire et victimaire
Christian Rioux est un ancien marxiste qui a abandonné l’analyse économique pour s’adonner à des méditations identitaires. Il n’a pas seulement renié ses idées de jeunesse : il défend celles de l’extrême droite. Adoptant une posture catastrophiste et victimaire, il semble flotter en apesanteur dans le monde pur des identités et des valeurs, là où les morts sont réduits à des données infinitésimales pour en minimiser l’importance, et surtout pour ridiculiser celles et ceux qui aujourd’hui encore sont progressistes et internationalistes.
Pour le bien du Québec, Christian Rioux devrait rester en France, un pays où ne vit que 0,86% de la population mondiale. C’est dire à quel point ce qui s’y passe et ce qui s’y pense est insignifiant…