Le 29 mai 2018. Souvenez-vous de ce jour.
Steve Kean, le PDG de Kinder Morgan, a annoncé lors d’une conférence téléphonique à des investisseurs que les 4,5 milliards leur seraient réglés même si un troisième acheteur n’était pas trouvé. Le cours des actions de l’entreprise a immédiatement explosé à la suite de l’annonce qu’elle se délestait de cet actif toxique.
La recherche de ce troisième acheteur est prometteuse, mais incertaine. Pour rendre l’offre plus alléchante, le gouvernement a annoncé qu’il dédommagerait l’acheteur éventuel de toutes pertes liées aux actions gouvernementales municipales et provinciales, mais également dans l’éventualité que l’oléoduc ne puisse être complété avant une certaine date malgré des « efforts commerciaux raisonnables ». Alors, même si un acheteur est trouvé, les contribuables seront tenus de débourser des milliards de dollars.
J’ai écrit en avril dernier à propos de l’extorsion en voie d’être commise à l’endroit du Canada par Kinder Morgan dans l’espoir de se départir d’un actif risqué, d’un projet qu’elle n’a même plus les moyens de mener à terme, qu’elle ignorait même s’il pourrait être construit, ou même être rentable s’il devait être construit. Leur dernier espoir était que le gouvernement du Canada accepte d’être le dindon de la farce en les délestant de ce cas à problème.
Félicitations à la Texas Oil Company, née des cendres d’Enron, vous vous êtes bien jouée de nous. Une décision est attendue au cours des prochains mois dans l’une des affaires judiciaires auxquelles fait face l’oléoduc. Contrairement au cas du gouvernement de la Colombie-Britannique, le cas autochtone statuant que la consultation de ces derniers était insuffisante est considéré comme solide. Si cette décision va à l’encontre du gouvernement, ou si la cause est perdue en appel à la Cour suprême, l’oléoduc sera mort. Il emportera avec lui des sommes se situant entre 4,5 et 12 milliards de dollars de nos taxes.
Kinder Morgan le savait. Pourquoi alors notre gouvernement l’ignore-t-il ?
Même si les tribunaux penchent en faveur du gouvernement à chaque étape, la résistance menée par les peuples autochtones en Colombie-Britannique s’intensifiera et chaque mètre d’oléoduc sera une bataille. Il y aura des arrestations, des gens enchainés à chaque élément du paysage et le coût de construction de l’oléoduc atteindra des proportions vertigineuses. Pendant ce temps, des groupes autochtones à travers le pays se sont engagés à faire de la désobéissance civile contre l’oléoduc sur leurs territoires.
Plus important encore, tout indique que lorsque l’oléoduc sera construit, le marché pour le produit qu’il transporte ne sera peut-être plus aussi prédominant. Certainement pas à un prix qui rend l’investissement rentable, les experts prédisant plus probable un prix du baril de pétrole se situant autour de 50 $ qu’un retour vers un prix de 100 $ le baril.
Vous voulez d’autres mauvaises nouvelles ? J’en ai pour vous. L’Organisation maritime internationale des Nations unies (OMI) a récemment approuvé de nouvelles normes beaucoup plus sévères en matière de carburant pour les 50 000 bateaux qui naviguent actuellement sur les océans en utilisant un carburant de mauvaise qualité à haute teneur en soufre. « Ces nouvelles lois, qui seront mises en place d’ici 2020, requièrent un carburant avec une teneur en soufre de 0,5 %, une réduction de 700 % par rapport à la moyenne actuelle. » Qu’est-ce que cela signifie pour le pétrole albertain ?
« Le bitume albertain sera probablement un grand perdant, puisqu’il contient en moyenne onze fois plus de soufre que le brut classique, et produit un ratio élevé de Bunker C de mauvaise qualité une fois raffiné. À partir de 2020, selon les rapports de l’industrie, le flot d’achats de bitume dilué pour carburant à bateau des raffineries américaines commencera à diminuer jusqu’à atteindre un mince filet, l’Europe n’en achètera plus, car cela ne correspond pas à son type de raffinage, et les raffineries asiatiques dédieront leurs nouvelles raffineries à la production de diesel à basse teneur en soufre pour le carburant à bateau. »
Kinder Morgan le savait. Pourquoi alors notre gouvernement l’ignore-t-il ?
« Quels pays ou raffineries asiatiques ont signé des contrats à long terme pour l’achat de bitume albertain pour les décennies à venir ? » a demandé le journaliste Paul McKay dans un article paru sur le site Energy Mix. « Combien s’engagent-ils à payer par baril livré ? » L’Office national de l’énergie ne l’a pas demandé, et la réponse est que tout le monde l’ignore.
Finalement, considérons un instant notre survie sur cette planète, et penchons-nous sur un nouveau rapport du Stockholm Environment Institute (SEI) . Celui-ci conclut que « si le Canada permet l’expansion de la production de pétrole comme prévu, les émissions globales pourraient augmenter de 50 à 150 millions de tonnes de CO2 d’ici 2030 » — ce qui équivaudrait à mettre sur la route 32 millions de voitures par année.
Ceci nuirait à l’atteinte des objectifs sur les changements climatiques et ralentirait la transition mondiale vers un futur à faible émission de carbone.
« Les conclusions du SEI soulèvent des questionnements quant aux efforts liés à l’expansion de la production de pétrole canadien, incluant les nouvelles infrastructures à longue durée de vie telles que l’oléoduc de Kinder Morgan. »
« Le gouvernement fédéral canadien peut faire preuve d’ambition et accroître significativement sa contribution à l’égard des objectifs en matière de changements climatiques en limitant l’expansion future de l’extraction des sables bitumineux », a avancé Peter Erickson, scientifique chevronné du SEI et auteur du rapport.
« Inversement, une incapacité à faire cela pourrait presque complètement contrecarrer les bénéfices climatiques de son Plan d’action sur le climat actuel. »
Eh oui, Trudeau et la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, n’« harmonisent pas l’environnement et l’économie », comme ils l’affirment ; ils ruinent l’environnement et trompent la planète dans leur quête d’opportunisme politique. Vous pensez que Trump est mauvais ? Rien de ce qu’il a fait ou projette de faire n’aura un aussi gros impact sur les changements climatiques que la myopie de notre gouvernement prétendument progressiste, ici au Canada.
Kinder Morgan le savait, et s’en fichait. Pourquoi pas notre gouvernement ?
Pour Justin Trudeau, ceci sera son Waterloo. La même génération de jeunes qui l’a propulsé vers la victoire lors des dernières élections se sent trahie et abandonnée. Nos leaders politiques sont réticents à régler l’une des problématiques les plus cruciales de notre temps et nous n’oublierons pas leur lâcheté et leur trahison.
Peu importe ce que nous faisons, ou pour qui nous voterons afin de remplacer le menteur en série qui habite le 24, promenade Sussex, nous allons y perdre des milliards de dollars. Argent qui aurait pu servir à financer des hôpitaux, des écoles, des logements abordables, des transports en commun. Argent qui aurait pu être investi afin de faire du Canada un chef de file en matière d’énergies renouvelables du futur, plutôt que de s’accrocher à une industrie désuète.
Aujourd’hui, notre gouvernement a déclaré la guerre aux jeunes canadiens, à notre avenir, tout cela pour les profits d’une poignée de compagnies.
Le 29 mai 2018. Souvenez-vous de ce jour.
C’est le jour où notre gouvernement a déclaré la guerre aux jeunes Canadiens, à notre avenir, tout cela pour les profits d’une poignée de compagnies.
Parce que tout cela n’a jamais été une question de création d’emplois, il ne s’agit là que d’un conte de fées que l’on nous raconte dans l’espoir que l’on n’y regarde pas de plus près. L’expansion de l’oléoduc produira moins de 100 emplois permanents, avec plus de mille emplois temporaires liés à sa construction.
Une fraction de ce que l’on donne à Kinder Morgan pour lui permettre d’échapper à son projet criblé de dettes permettrait d’offrir une requalification et des emplois dans le secteur des énergies renouvelables à tous ceux qui le souhaitent en Alberta et au Canada.
Il importe peu aux équipes de construction de construire un oléoduc ou un panneau solaire, elles veulent du travail. Un gouvernement visionnaire anticiperait l’inévitable chute de l’industrie de l’énergie fossile qui se pointe à l’horizon, requalifierait les travailleurs pour les emplois qui seront les plus demandés au cours des trente prochaines années et investirait afin de devenir un leader mondial dans l’énergie du futur.
Aux États-Unis, Donald Trump a joué un mauvais tour aux travailleurs des mines de charbon en leur promettant le retour des emplois qu’ils avaient perdus, les nourrissant avec de l’amertume et du ressentiment au lieu de les aider à se requalifier et à trouver de nouveaux emplois.
Ici, au Canada, Justin Trudeau joue un tour d’une égale cruauté à nos travailleurs, leur vendant les mérites de l’industrie pétrolière au lieu de les aider à assurer leur futur, et celui de leurs familles. Lorsque cette industrie s’effondrera, et nous savons tous que cela arrivera, ces travailleurs seront laissés à leur sort.
Au lieu du « champion du climat » que l’on croyait avoir élu, nous nous retrouvons avec un gouvernement qui assure sa survie en se cachant la tête dans le sable en matière de changements climatiques. Morneau affirme que l’achat est temporaire, que le gouvernement planifie de déléguer le projet à un acheteur lorsque l’« incertitude » des affaires judiciaires et des protestations sera résolue. Pourtant, en laissant de côté l’improbabilité que toute cette « incertitude » disparaisse par magie, qu’arrivera-t-il si personne ne souhaite acheter le projet ?
Morneau a lancé un appel public pour intéresser d’autres acheteurs lors des négociations avec Kinder Morgan, et personne ne s’est proposé. Ce n’est pas surprenant, puisque les compagnies pétrolières internationales sont au fait de tout ce qui est mentionné plus haut et se retirent massivement de l’Alberta. Dans les dernières années, des compagnies pétrolières internationales telles que Petronas, ConocoPhillips, Royal Dutch Shell, ExxonMobil et bien d’autres se sont retirées de projets en Alberta.
« Les seules personnes qui investissent dans les réserves de sables bitumineux sont les opérateurs canadiens », a affirmé l’économiste spécialisé en énergie Jeff Rubin, à Vice. « Les étrangers disent, regardez, ceci n’a pas de sens aujourd’hui. »
Le 29 mai 2018. Souvenez-vous de ce jour. C’est le jour où notre gouvernement a acheté le plus gros éléphant blanc de l’histoire, creusant ainsi un trou de milliards de dollars dans notre budget national.