Les politicien.nes qui rament à contre-courant ont rarement la vie facile. Les exemples sont nombreux dans le reste de l’Occident : des législateurs américains comme Tulsi Gabbard et Bernie Sanders, Carles Puidgemont en Catalogne ou encore les maquisards politiques de Podemos de même que Jean-Luc Mélenchon et José Bové en France.
Après une quinzaine d’années de politique active, Amir Khadir aura certainement mérité sa carte de membre de ce club des mal-aimés du parlementarisme, non sans une grande fierté.
La renaissance d’une culture politique indépendantiste de gauche
La fin des années 1970 et la première moitié des années 1980 fut le son du glas d’une culture politique québécoise de gauche après plus d’une décennie d’indépendantisme à saveur anticolonialiste, de mouvements tels qu’En lutte! et d’un répertoire médiatique qui comprenait des revues comme Parti pris et des journaux comme Québec-Presse. Malgré l’apparition de nécessaires périodiques comme La Vie en Rose et À bâbord!, en plus de médias résilients comme la revue Relations ou L’Aut’journal, l’avenir semblait sombre pour les idées de gauche dans les dernières années tant dans la sphère médiatique que politique, enterrées sous les appels incessants au Péril rouge.
«Sur le plan du nombre c’était très peu, mais sur le plan symbolique, c’était très significatif», dit Amir Khadir à propos de l’arrivée de l’Union des forces progressistes en 2002, construit autour des forces politiques altermondialistes et antiguerre, de même que le virage à droite toute du Parti québécois de Lucien Bouchard. «C’était intéressant de voir ce regroupement de groupes épars, à une époque où l’axe politique tournait autour [des options] souverainistes/fédéralistes, plutôt que gauche/droite, ce que nous voulions», ajoute-t-il.
Et malgré cette portée symbolique, le fougueux député reste satisfait du travail accompli depuis près de vingt ans. «Aujourd’hui, pour nous accoter, il faut que France insoumise ait deux cents milles membres en règle […] je ne crois pas que ce soit leur cas», affirme-t-il. «D’avoir fait élire trois députés solidaires à l’Assemblée nationale du Québec, et ce, sans proportionnelles, c’est aussi un exploit en soi» confie le premier député élu de Québec solidaire en 2008.
Pour ce qui est de l’indépendance, Khadir semble confiant de ressusciter un mouvement depuis longtemps usurpé par une frange conservatrice qui a complètement chamboulé le paysage idéologique du Parti québécois.
«C’est sûr que le Parti québécois a perdu des plumes auprès des jeunes, des intellectuels et des indépendantistes modernes et progressistes qui conçoivent le projet autrement qu’à travers les lignes ethnolinguistiques ou identitaires», dit-il, parlant aussi de «dérives» et de «mirages qui ont nui au PQ (la Charte des valeurs, le reformatage du PQ, etc.)».
De la place des rebelles dans le système
Mais parmi les espaces vides que le député de Mercier laissera derrière lui, celui de rebelle au milieu des conformistes sera certainement le plus dur à combler, que ce soit par son engagement auprès des grévistes étudiants de 2012 et 2015 que par ses positions politiques radicales, aux antipodes de celles de ses confrères et consœurs davantage préoccupé.es par un certain décorum que par ce qui se déroule à l’extérieur des murs de l’Assemblée nationale et, par conséquent, de nos frontières.
L’arrivée du sommet du G7 illustre bien, selon lui, cette problématique, sachant que les citoyen.nes craignent généralement davantage les actions des manifestants.es que les éventuelles décisions prises derrière les portes closes du Manoir Richelieu. «Il y a eu tellement de propagande orchestrée par le pouvoir, dans les journaux, pour attirer l’attention du public sur certains dérapages», tonne-t-il, soulignant que Québec solidaire allait agir comme contrepoids à ce discours, bien qu’avare sur les détails sinon qu’une participation active pour dénoncer la complicité des gouvernements occidentaux avec la «surpuissance planétaire» — l’empire américain, la montée du militarisme, la haute finance mondiale.
Même chose pour les positions officielles en ce qui a trait à la politique étrangère, spécialement reliée aux guerres d’agression au Moyen-Orient, notamment en Syrie.
Sur cette épineuse question, Khadir hésite, choisit ses mots, mais demeure rempli de convictions. «La propagande d’une certaine force géopolitique d’intervention et de conquête est très efficace», dénonce-t-il, rappelant du même coup que ceux qui profitent du commerce des armes versent dans le jusqu’au-boutisme pour protéger leurs profits. «Ça repose sur des centaines de milliards de dollars par année.Alors ils ne resteront pas les bras croisés […] Ils sont en constant complot pour ce qui est du pouvoir de l’argent», dénonce-t-il en amenant une nuance importante. «C’est dans la nature des choses; il n’y a pas de grand complot ourdi par des individus en particulier. Mais qu’il y aient des gens qui agissent pour aggraver la situation en permanence, c’est tout à fait normal».
Même triste constat pour ce qui est du discours convenu autour du conflit et de l’occupation israélienne en Palestine. «Très difficile [de dire la vérité sur ce conflit]. D’abord il y a des lobbies importants qui ont installé des Rubicon dans notre parlement comme ailleurs dans le monde. Ce n’est pas pour rien que nous sommes impuissants devant ces crimes contre l’Humanité commis par Israël actuellement — le génocide palestinien, l’encerclement de Gaza, sa barbarie à la petite semaine des dernières années», affirme-t-il.
Il demeure résilient sur cette question, qu’il juge vraisemblablement cruciale et au cœur de ses préoccupations. «Il faut surmonter ça. J’aimerais faire passer une motion en ce sens qui serait même acceptée par les Libéraux. À un moment donné, il faut placer les gens face à leur conscience», renchérissant sur l’utilisation de l’Holocauste pour justifier les politiques de colonisation et d’occupation israélienne, telles que dénoncées, notamment, par des intellectuels juifs comme Norman Finkelstein.
Partir la tête haute et la conscience tranquille
Une des grandes déceptions d’Amir Khadir semble demeurer ce que l’auteur de ces lignes décrit comme un désengagement intellectuel auprès des parlementaires. «Nous sommes dans une grande époque de la suprématie d’une radio et d’une télévision qui façonne notre société, notre culture, et l’oriente dans le divertissement, dans le superficiel et dans l’instantané», reconnaissant du même coup qu’il s’agit là de «truismes» assez connus.
«Mais c’est une vérité très pesante qui façonne à la fois notre réalité publique, domestique, mais aussi politique. Les trois décennies de néolibéralisme forcené introduites par [l’ex-président américain] Ronald Reagan et [l’ex-première ministre britannique] Margaret Thatcher ont aussi entraîné une déconsidération de la culture politique démocratique générale en faveur de la superficialité de ceux qui peuvent jouer la comédie devant la caméra», dit le député solidaire.
Malgré tout, il envisage sa vie de jeune retraité de la politique avec optimisme. «La relève est très solide», dit-il, faisant principalement référence à Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé. Pour ce qui est de la future candidate solidaire dans Mercier, Ruba Ghazal, Khadir ne semble éprouver aucune inquiétude alors qu’au moment de l’entrevue le 14 mai dernier, il n’était pas au courant de l’éventuelle candidature péquiste de Michelle Blanc.
Ironiquement, l’auteur de ces lignes l’a aperçue non loin du bureau de circonscription de Mercier, sur une terrasse, en pleine conversation avec Jean-Martin Aussant. Sa candidature devrait être annoncée officiellement dans les prochains jours.