Aussi étrange que cela puisse paraître, très peu d’encre a coulé à propos de la nouvelle politique militaire canadienne depuis sa publication en juin 2017. Et aucun média ne s’est réellement rattrapé depuis le dévoilement du budget Morneau.
Pourtant, à l’heure où le bruit des bottes se fait de plus en plus entendre tant au sud de la frontière que de l’autre côté de l’Atlantique, la nécessité d’une analyse critique est d’autant plus cruciale, le Canada emboîtant vraisemblablement le pas qu’adopte le reste de ses alliés de l’OTAN, dans un contexte de nouvelle Guerre froide.
Déjà, l’augmentation drastique du budget militaire a de quoi soulever d’importantes questions — 6,5 % par an pour les prochaines années, passant de 17,1 G (2016-2017) à 24,6 G (2026-2027) en termes de comptabilité d’exercice et de 18,9 G à 32,7 en termes de comptabilité de caisse. Les fonds seront principalement dédiés au remplacement de navires et d’avions, à une augmentation du nombre de déploiements au recrutement au domaine spatial, à l’expansion du programme de drones ainsi que des forces spéciales.
La novlangue, économique et autre
Nous avons droit, dans le texte de la nouvelle politique militaire, à une éloquente démonstration de novlangue qui transforme le recrutement massif comme une opportunité d’aventure et de carrière uniques, et dont l’effort principal sera concentré dans les écoles postsecondaires. On verra défiler des publicités rendant le service militaire «sexy» en présentant des images d’opérations, d’exercices et de soldats qui ne forment qu’une infime minorité de troupes d’élite auxquels la recrue moyenne ne pourra que rêver.
La politique d’achat local, qui mènera inévitablement à l’expansion du complexe militaro-industriel canadien, transforme les dépenses militaires en «investissements» qui, à terme, rendront l’économie canadienne de plus en plus dépendante de l’industrie de l’armement (fallacieusement nommée «industrie de la défense»). Les dépenses accrues dans le domaine aérospatial et la volonté de rapprochement avec le monde universitaire feront du Canada un collaborateur indirect à la militarisation de l’espace et du savoir académique.
Les deux bras dans l’engrenage impérialiste
Déployées sur le flanc est de l’OTAN depuis trois ans déjà, les troupes canadiennes participent à des exercices militaires près de la frontière russe en Pologne, en Ukraine et en Lettonie. Des «exercices» qui constituent en fait une démonstration de force de l’alliance atlantique déclenchée par l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Des soldats des forces spéciales sont toujours déployés au nord de l’Irak, même s’ils sont moins actifs présentement, la Turquie ayant recommencé son travail d’exaction des Kurdes, surtout ceux de Syrie.
Le Canada subira de plus en plus de pression de la part de son voisin du sud pour non seulement augmenter son budget, mais aussi pour déployer ses troupes au plus fort de crises et de conflits manufacturés par l’Empire américain, qui semble non seulement vouloir se préserver, mais aussi s’étendre. En février dernier, Donald Trump a annoncé une augmentation de 80 milliards de dollars pour un budget militaire qui totalisait déjà 625 milliards en 2017, alors que les forces américaines forment déjà la plus grande puissance militaire de l’histoire de l’Humanité et que les dépenses militaires américaines sont supérieures à celles de la Russie, de la Chine, de l’Inde et de la Corée du Nord réunies.
Des pressions qui se feront sentir sur le moral des troupes, qui se remettent à peine de la guerre d’Afghanistan. On reparle de plus en plus d’une mission au nord du Mali, présentée comme un retour au «maintien de la paix» mais d’un niveau de risque avoisinant celui encouru en Afghanistan. On ne parle que d’hélicoptères pour le moment, mais une mission plus large comprenant un contingent d’unités de combat est tout à fait probable.
Des pressions qui se feront donc sentir également sur Anciens Combattants Canada, déjà débordés depuis les coupes drastiques du régime Harper et qui n’ont pas été comblées par l’actuel gouvernement, malgré les promesses.
Missions clandestines
L’augmentation prévue du budget des forces spéciales ouvrira la porte à une augmentation des opérations clandestines tant à l’étranger que sur le territoire canadien, alors que le Parlement ne dispose d’aucun réel mécanisme de surveillance qui rend ces unités d’élite imputables. On verra aussi un effet indirect sur les agences de renseignement canadiennes, qui travaillent en partenariat avec les forces spéciales.
La croissance des moyens de surveillance, dans le contexte de l’alliance atlantiste «Five Eyes» qui comprend les services de renseignement du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, pose donc de nombreuses questions quant aux cibles potentielles de ces agences qui ne se limiteront pas aux groupes armés et terroristes, mais aussi sur toute organisation qui «menacerait» l’État canadien — écologistes, activistes des Premières Nations, groupes de dissensions politiques, antimilitaristes, etc.
Dans un contexte de durcissement d’un gouvernement américain déjà fascisant et d’élections à venir au Canada, le pays se retrouve face à un grand dilemme qui va bien au-delà de la simple démarche réaliste en termes de politique militaire. L’OTAN se comporte de plus en plus comme le bras armé du néocolonialisme occidental, ce qui provoque des tensions accrues avec les pays non-alignés. L’arrivée possible d’un gouvernement conservateur ne ferait qu’accélérer le pas sur le sentier de la guerre, bien que les libéraux poursuivent essentiellement les mêmes politiques que leurs prédécesseurs derrière la vitrine progressiste.
Un dilemme sur lequel les citoyen-nes devront impérativement se pencher.