Les petites communautés de Kedgwick et de Saint-Quentin, au nord-ouest du Nouveau-Brunswick, sont englouties par des kilomètres de forêt. Les scieries et les usines qui crachent une épaisse fumée blanche dans le ciel dominent le paysage et les camions chargés de bois font partis du trafic de la région.

Ici, l’industrie forestière fait vivre les communautés. Et plusieurs résident-es du coin n’hésitent pas à s’afficher ouvertement contre certaines de ses pratiques.

Des pancartes rouges «Non à l’arrosage» sont plantées devant plusieurs maisons le long des routes. Leur cible? Le glyphosate, qui est la molécule active de l’herbicide le plus utilisé au Canada, le Roundup, et commercialisé par le géant Monsanto. Le produit sert à éliminer la végétation indésirable dans les plantations d’arbres et dans les champs.

Alors qu’au Québec son épandage est interdit sur les forêts publiques, le produit est très utilisé au Nouveau-Brunswick. 28 % des terres forestières traitées au Canada se trouvaient au Nouveau-Brunswick en 2014, selon un rapport produit par le ministère de la Santé.

«On s’est dit il fallait qu’on fasse quelque chose. Parce que la destruction, nous on la sent, on la voit tous les jours», lance Francine Lévesque. Elle et son mari, André Arpin, fondateurs d’une entreprise qui propose des randonnées de canot, habitent sur le bord d’une rivière à Kedgwick.

Ils s’inquiètent de la coupe des arbres dans la région, mais aussi de l’impact de l’herbicide sur la santé humaine, sur la biodiversité des forêts et sur les populations animales, notamment le chevreuil.

Le produit a été classé comme «cancérigène probable» par une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le glyphosate a néanmoins été à nouveau homologué par Santé Canada il y a un an et son utilisation sera permise pour une période de 15 ans. Mais les militant-es, comme d’autres organismes comme la Fondation David Suzuki, estiment que l’agence gouvernementale a mal fait ses devoirs lors de son évaluation en omettant des preuves scientifiques crédibles.

Le produit a été classé comme «cancérigène probable» par une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le glyphosate a néanmoins été à nouveau homologué par Santé Canada il y a un an et son utilisation sera permise pour une période de 15 ans.

André Arpin et Francine Lévesque s’impliquent plus activement depuis quelques années pour alerter la population sur les effets potentiels du glyphosate.

«Nous avons fait signer une pétition et sur 1200 personnes rencontrées dans notre communauté rurale, seulement 14 ont refusé de signer. 98% des personnes rencontrées ont appuyé le mouvement pour arrêter l’arrosage», illustre André Arpin.

Le couple fait partie d’un comité, ÉcoVie, qui s’est formé il y a presque trois ans dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Depuis, ses membres réseautent avec d’autres groupes un peu partout sur le territoire, notamment avec les anglophones, très actifs dans le sud.

Des adversaires de taille

C’est chez Maurice Violette, un homme énergique de 76 ans et ingénieur en télécommunication à la retraite, qu’ÉcoVie a vu le jour.

«J’ai vu de l’arrosage tout prêt d’ici et je me suis mis à fouiller, fouiller, fouiller. J’ai découvert plein de choses et à un moment donné, c’était trop, alors j’ai invité tout le monde autour de la table, ici, pour partir un mouvement», dit-il.

L’homme réside en plein milieu de la forêt proche de Kedgwick, dans une maison impossible à localiser sur Google Map et accessible par un chemin de terre. Une douzaine de personnes se sont réunies chez lui pour s’organiser.

Depuis la fondation du comité, Maurice Laviolette sent que les choses bougent un peu. Mais rien de concret ne change. «On voit certainement une prise de conscience de plus en plus. Mais au gouvernement, il n’y a aucun effet», souligne-t-il.

Les militant-es disent se battre contre des adversaires de taille. Le géant Irving est la principale entreprise qui profite de l’herbicide sur les terres de la couronne à travers son imposante filiale forestière J.D. Irving, selon des données en provenance du ministère de l’énergie et des ressources. Le produit est également utilisé par Énergie Nouveau-Brunswick, l’équivalent d’Hydro-Québec.

«Les gens d’Irving sont là depuis des générations et ils ont bâti un contrôle sur les médias et les gouvernements, pour être dominants au niveau des ressources. Ils ont des clubs de pêche proche d’ici avec des pistes d’atterrissage et ils invitent les décideurs à des forfaits de pêche», illustre André Arpin.

«Les gens d’Irving sont là depuis des générations et ils ont bâti un contrôle sur les médias et les gouvernements, pour être dominants au niveau des ressources. Ils ont des clubs de pêche proche d’ici avec des pistes d’atterrissage et ils invitent les décideurs à des forfaits de pêche»

Irving a démarré dans le secteur du pétrole dans les années 1920 et a, depuis, diversifié ses activités pour devenir une force économique majeure au Nouveau-Brunswick et aux alentours. Le conglomérat possède presque tous les médias écrit de la province.

Lutte au niveau municipal

Sceptiques face au Parti progressiste-conservateur et au Parti libéral du Nouveau-Brunswick, qui s’échangent le pouvoir depuis des années, les opposant-es au glyphosate ont concentré leurs forces au niveau municipal.

Ils ont été à la rencontre de dizaines d’élus municipaux dans la province dans l’espoir que les conseils adoptent une résolution pour appuyer leur mouvement contre l’épandage, voir même des arrêtés municipaux pour l’interdire sur leur territoire.

Amédée Boucher, lui, est surtout actif dans la Péninsule acadienne, au nord-est de la province. Les champs de bleuets sont nombreux dans la région et au Nouveau-Brunswick, l’herbicide est également utilisé dans le secteur de l’agriculture. Amédée Boucher sillonne la région à vélo pour faire signer une pétition et aller à la chasse aux appuis. Cinq municipalités ont signé des lettres d’appuis contre le glyphosate et d’autres pourraient emboîter le pas. «Nos élus sont déconnectés et ne veulent pas écouter la population, alors je suis allé à la base, où on vit et où on reste», lance-t-il.

La municipalité régionale de Tracadie a été la première ville à clamer son intention d’adopter un arrêté pour interdire l’épandage sur son territoire. Le maire explique que les inquiétudes sont vives.

«Plusieurs citoyens du coin de Brantville et Rivière-du-Portage ont approché leur conseiller de quartier. Il y a des gens qui ont des champs de bleuets et c’est à proximité des maisons. Tu as des jeunes qui prennent l’autobus et tu as quelqu’un avec l’habit tout en blanc et le masque qui fait l’épandage de produits chimiques juste à côté», raconte Denis Losier.

Mais selon le maire, il n’est pas clair qu’un arrêté de ce genre soit valide et une bonne réflexion reste à faire.

Surface forestière ayant subi un arrosage de glyphosate, sur la route 180, plus communément appelée «le Chemin des ressources»

«J’ai eu des rencontres avec le ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux et la question qu’on avait, c’était à savoir si on avait le pouvoir de légiférer au niveau d’un arrêté pour l’interdire sur notre territoire. Parce qu’il reste qu’en bout de ligne, pour n’importe quel arrêté d’un conseil municipal, les lois du gouvernements ont préséance», affirme Denis Losier.

Prochaine étape : l’élection provinciale

2018 est une année électorale au Nouveau-Brunswick et les citoyens iront aux urnes d’ici le 24 septembre. Les opposants au glyphosate veulent en profiter pour passer leur message et certains s’organisent activement.

Du côté des militants du nord-ouest, on mise beaucoup sur la candidature de Charles Thériault pour le Parti vert dans le Restigouche-Ouest

«Charles s’était présenté comme indépendant en 2014 et avait récolté 18% des votes. C’était sa première fois. Nous avons l’espoir que ce sera augmenté, comme il est connu», pense Francine Lévesque.