Ces mobilisations s’inscrivent dans une histoire méconnue, à laquelle seulement quelques livres s’intéressent Schools Out!: The Hidden History of Britain’s School Student Strikes. On y apprend qu’au XIXe siècle, bien des grèves du salariat sont menées par des enfants qui travaillaient alors à l’usine. Avec l’éducation obligatoire, ces jeunes importent à l’école la grève comme moyen de contestation.

Certaines années, comme en 1911 en Grande-Bretagne, des dizaines d’écoles sont en grève pour protester contre les châtiments corporels et les devoirs à la maison. Des élèves exigent aussi d’être payés pour étudier. Aux États-Unis, les élèves d’écoles secondaires ont joué un rôle important dans les mobilisations contre la ségrégation raciale, dans les années 1960. Bref, les jeunes se mobilisent comme des adultes pour défendre leurs droits, leurs intérêts et leur dignité.

Et au Québec?

Les élèves se mobilisent aussi contre la violence des enseignants, comme à l’école Mgr-Langevin, à Rimouski, en 1993. Ou, encore, pour exiger un assouplissement de la discipline et l’introduction de politiques antiracistes et antisexistes, comme à la polyvalente Armand-Saint-Onge, à Amqui, en 1994.

Les élèves du secondaire au Québec ont parfois participé aux grèves nationales du mouvement étudiant, comme en 2005 et en 2012 (en particulier, dans les écoles Joseph-François-Perrault, Paul-Gérin-Lajoie, Sophie-Barat et le Vitrail, à Montréal, et Joseph-François Perrault et De Rochebelle, à Québec). Quant aux mobilisations contre les règlements sur la tenue vestimentaire, il s’agit d’un phénomène ancien. En 1996, déjà, des centaines d’élèves de l’Académie Les Estacades, au Cap-de-la-Madeleine, ont manifesté pour la liberté vestimentaire. Un appel à la bombe a forcé l’évacuation de l’école. Vers 2000, des grèves ont été organisées pour protester contre la suspension d’élèves qui avaient teint leurs cheveux en bleu ou en mauve, par exemple à l’école des Sources, à Dollard-des-Ormeaux. Les élèves se mobilisent aussi contre la violence des enseignants, comme à l’école Mgr-Langevin, à Rimouski, en 1993. Ou, encore, pour exiger un assouplissement de la discipline et l’introduction de politiques antiracistes et antisexistes, comme à la polyvalente Armand-Saint-Onge, à Amqui, en 1994.

En 1996, des élèves des écoles Albert-Carrier et Joseph Fecteau, à Thetford Mines, ont signé une pétition et séché les classes pour manifester contre un nouveau système de retenues, vandalisant une vitrine de l’entrée de l’école et des voitures stationnées.

La même année, les élèves de la polyvalente de Donnacona ont protesté contre l’utilisation d’une journée de congé pour remplacer une journée annulée à cause d’une tempête de neige, en plus d’exiger un cours d’art. Les serrures des portes ont été sabotées avec des clous pendant la fin de semaine, pour empêcher l’entrée en classe le lundi, et une manifestation a bloqué la route 138. La direction a finalement instauré un cours d’art et s’est engagée à ne pas sanctionner les rebelles.

En 1999, plusieurs écoles ont été touchées par une vague de protestation contre l’annulation d’activités parascolaires, conséquence de laborieuses négociations entre le syndicat des enseignantes et enseignants et le gouvernement. Des routes sont bloquées (la 20, la 112, la 138) de même que le pont Pie-IX entre Montréal et Laval, et le pont Jacques-Cartier par des élèves de l’école Saint-Jean-Baptiste, à Longueuil. Des directions suspendent des centaines d’élèves, par exemple à Saint-Thérèse, et la police procède à l’arrestation de 270 élèves dans la cour de l’école Chomedey et leur impose des amendes de 118$. François Legault, alors ministre de l’Éducation du gouvernement péquiste, juge «inacceptable l’utilisation des élèves à des fins syndicales».

François Legault, alors ministre de l’Éducation du gouvernement péquiste, juge «inacceptable l’utilisation des élèves à des fins syndicales».

Histoire étouffée?

Il ne s’agit-là que de quelques cas d’un phénomène qui n’est pas documenté. Les directions optent souvent pour la répression, par exemple par l’imposition de retenues ou la suspension des contestataires. C’est le cas à l’école Alexander Galt, à Lennoxville, en 1997, suite à une grève contre le dysfonctionnement du système de chauffage, alors que la température descendait sous les 15 degrés Celsius dans les classes.

Dans quelques cas, les élèves reçoivent l’appui des parents, ce qui force la direction à manœuvrer avec doigté.

Certaines directions y voient une occasion de se former à la démocratie, pour une jeunesse qui n’a pas encore de droits politiques et qui est considérée apolitique, ignorante et manipulable. Cette démocratie de la jeunesse s’exprime par la tenue d’assemblées générales dans les cafétérias et les gymnases, quand la direction le permet, ou dans des parcs.

Certaines directions y voient une occasion de se former à la démocratie, pour une jeunesse qui n’a pas encore de droits politiques et qui est considérée apolitique, ignorante et manipulable.

Comme dans d’autres mouvements sociaux, la colère s’exprime aussi par l’action directe individuelle et collective, y compris l’usage de pétards et la mise à feu de boîtes de Drano, comme à l’école Édouard-Montpetit, à Montréal, où plusieurs centaines d’élèves protestaient contre la mauvaise organisation des examens.

«Ce qu’on veut prouver, c’est qu’on est capable de s’organiser», avait déclaré Hugo, un élève de 3e secondaire au Vitrail, lors de la grève étudiante de 2005 (La Presse, 9 mars 2005, p. A10).

Plusieurs de ces mouvements ne sont pas lancés ni organisés par le Conseil d’élèves, cette institution élue qui prétend incarner le principe de la représentation politique. Certes, certains Conseils d’élèves participent aux mouvements de contestation ou se présentent comme des arbitres entre la direction et les rebelles, mais les mobilisations leur échappent généralement. Il y a donc une tension, voire une opposition, entre l’institutionnalisation d’un régime électoral à l’école et des pratiques démocratiques directes bien plus participatives et inclusives.

Enfin, n’est-il pas déplorable que l’école qui prétend former les jeunes à la citoyenneté n’enseigne pas cette histoire le plus souvent totalement inconnue, même si elle est pourtant riche de leçons quant à la signification de la «démocratie»? Mais on peut comprendre qu’un ministère de l’Éducation, une direction d’école ou même des enseignants n’aient aucune envie d’apprendre aux élèves qu’il leur ait possible de se mobiliser et de contester collectivement.

Enfin, n’est-il pas déplorable que l’école qui prétend former les jeunes à la citoyenneté n’enseigne pas cette histoire le plus souvent totalement inconnue, même si elle est pourtant riche de leçons quant à la signification de la «démocratie»?
Merci à la doctorante Héloïse Michaud, en science politique à l’UQAM, pour son apport à cette recherche.