Ces derniers mois, malgré une fusion réussie avec ON, le parti stagne dans les sondages. La candidature de Vincent Marissal représente donc une formidable opportunité d’attiser à nouveau l’intérêt des médias et de l’électorat, tout en inquiétant les partis rivaux et analystes de droite comme Joseph Facal qui préféreraient qu’on n’accorde aucune crédibilité aux politiques de gauche.
Le Parti québécois au premier chef, secondé par les médias de Québecor, envoient des salves de critiques, souvent contradictoires entre elles, pour décrédibiliser Marissal. On lui reproche notamment d’être un faux souverainiste, tout en nous apprenant, du même coup, que le Parti québécois l’aurait courtisé.
La venue d’un «candidat-vedette» au sein de QS pose aussi son lot d’inconvénients à l’interne, étant donné la structure horizontale prônée par l’organisation, et les engagements faits en congrès en faveur de la parité et de la diversité dans les circonscriptions gagnables.
Voyons voir comment l’ex-journaliste a pu répondre aux différentes critiques, en cette première journée de vie politicienne.
Est-il indépendantiste?
M. Marissal a fait face à l’épineuse question de son allégeance souverainiste en y allant d’une ébauche de son parcours biographique. Dans la version longue de son allocution, il explique avoir grandi dans une famille profondément souverainiste, ayant même reçu des menaces de la part d’anti-séparatistes. S’il n’était pas en âge de voter à l’occasion du premier référendum de 1980, il a tout de même «pleuré» la défaite «devant notre téléviseur noir et blanc». Puis, quinze ans plus tard, il affirme : «en octobre 1995, j’ai voté OUI, avec fébrilité».
Son sous-texte laisse toutefois entendre que, comme bien des Québécois-es indépendantistes, il aurait ensuite vécu une période de déception et de désillusion. L’expérience catalane, là où il s’est rendu à deux reprises pour prendre le pouls de la situation, lui a redonné espoir en un mouvement souverainiste populaire, non-partisan, inclusif et venant de la base. Il reconnaît en Québec solidaire une approche similaire.
«La relance du mouvement souverainiste passe, elle aussi, par une nouvelle approche et c’est ce que Québec solidaire propose avec la constituante. J’adhère avec enthousiasme à cette approche plus populaire, moins politicienne (…). Il faut sortir du syndrome du sauveur et sortir de l’obsession du calendrier», a affirmé l’ancien journaliste en conférence presse.
Les explications de M. Marissal me semblent ainsi compatibles avec le fait qu’il ait pu être en dialogue avec le Parti libéral du Canada au cours des derniers mois. Beaucoup de souverainistes désabusés, en attente d’une éventuelle vague, ont pu appuyer le PLC afin d’éloigner le gouvernement conservateur du pouvoir, à Ottawa. C’est toutefois Québec solidaire qu’il a choisi en dernière instance. Il n’a peut-être pas levé le poing en l’air comme l’avait fait Péladeau. Mais son discours était tout à fait clair : il désire sincèrement une vague indépendantiste à la catalane.
Est-il de gauche?
Encore là, le choix de Québec solidaire est la preuve par l’action que ses valeurs se trouvent très à gauche. «The proof is in the pudding», dira-t-il en point de presse. De manière éloquente, il revendiquera haut et fort sa «radicalité», ou même son «extrémisme», selon la version écrite de son exposé :
«On reproche aussi, parfois, à QS d’être «extrémiste». Si la recherche de l’égalité entre hommes et femmes est un symptôme d’extrémisme, si la révolte devant les écarts grandissants entre une minorité de riches et une majorité de plus en plus pauvre en est un autre, si la volonté de réparer la démocratie gangrénée par le cynisme témoigne aussi de ce «mal», tout comme le ras-le-bol devant le refus de débattre des véritables réformes progressistes ou d’une autre voie vers l’affranchissement du peuple, et bien, oui, coupable votre Honneur, je suis un extrémiste».
Il évoquera son appui à une hausse du salaire minimum à 15$, une offensive pour contrer les paradis fiscaux, à plusieurs reprises il décrira son attachement envers la gratuité scolaire, de meilleures conditions pour les infirmières et enseignants-es, un meilleur partage des richesses, la lutte aux changements climatiques, il s’oppose aux mesures austéritaires, et ainsi de suite. Ce ne sont pas des positions d’extrême-gauche, loin de là, mais elles sont décrites comme telles par de grands partis et un consensus médiatique de plus en plus droitisants.
Un journaliste l’a d’ailleurs défié durant la période de questions, comme si le programme de QS était exagérément radical, désirant tout nationaliser, même les «banques». M. Marissal l’a réfuté en rappelant les vraies propositions du programme – il n’y est pas question de «nationaliser les banques» –, qu’il connaissait visiblement davantage que le journaliste.
Pourquoi faire obstacle à Lisée dans Rosemont?
Québec solidaire ne compte présentement que trois députés-es. Rares sont les sièges prenables, et Rosemont fait partie du palmarès des gains les plus probables en octobre 2018. En ce sens, un récent sondage donnait 27,6% au PQ, contre 24% à QS en deuxième position, et ce, avant même l’arrivée de Marissal.
Quand Jean-François Lisée affirme que QS divise le vote souverainiste, il faut comprendre qu’on divise «son» vote. En vérité, le Parti québécois n’a jamais fait de cadeau aux Amir Khadir et Françoise David par le passé, ni à Manon Massé présentement. Le PQ a toujours tout tenté pour rayer QS de la carte. Comme l’a dit Marissal, notre mode de scrutin est ainsi fait. Tant que nous n’aurons pas la proportionnelle, Québec solidaire se retrouve avec beaucoup moins de sièges qu’il est supposé en avoir, et n’a pas le luxe de sacrifier l’un des seuls comtés restants.
Avec raison, l’ex-journaliste fera valoir son enracinement profond dans Rosemont. Il y vit depuis plusieurs années avec sa conjointe et leurs quatre enfants qui fréquentent les écoles du quartier. Il y fait ses emplettes et a noué des dizaines d’amitiés. Marissal sent qu’il est chez lui et que c’est l’endroit où il pourra avoir le plus d’impact.
À propos de Lisée, Marissal lui a décoché quelques flèches avec une étonnante aisance, l’accusant de propos indignes envers Alexandre Cloutier, les demandeurs d’asile d’origine haïtienne et une certaine communauté culturelle (musulmane) durant sa course à la chefferie. Il fera aussi allusion aux «dérives identitaire du PQ», comme l’épisode de la Charte, qui, selon lui, a fait perdre le pouvoir aux péquistes en 2013 : «Le PQ n’a pas besoin de quelqu’un d’autre pour pour se tirer dans le pied».
Les critiques internes à QS
Le choix des candidat-es s’est avéré houleux dans de nombreuses circonscriptions. Même si, en principe, chacun est libre de se présenter et de faire face au vote démocratique des membres, il se joue des tractations afin de maximiser la parité, la diversité, ainsi que les chances de victoire.
Les calculs stratégiques afin de maximiser les gains électoraux contreviennent nécessairement, en certaines occasions, aux engagements adoptés en congrès national pour favoriser la parité et la diversité. La venue de Vincent Marissal, candidat masculin et non-racisé, a donc suscité des débats agités au niveau local. Des militants-es avec qui je me suis entretenu ont exprimé le souhait que la problématique des candidats-vedettes soit débattue à l’avenir en congrès national, pour clarifier les choses.
Comme l’a souligné L’actualité, le candidat solidaire Haroun Bouazzi avait tout d’abord exprimé le souhait de se présenter dans Rosemont. Les pourparlers allaient bon train. L’organisation nationale lui a ensuite fait savoir que Marissal voulait s’y présenter. D’un commun accord, M. Bouazzi brigue désormais l’investiture dans Maurice-Richard, qui est quand même un comté prenable, pour la personne qui remportera l’investiture (Raphaël Rebelo y mène aussi campagne en tant que candidat solidaire). A posteriori, M. Bouazzi se dit tout à fait heureux de la tournure des événements.
Québec solidaire devra donc prendre en compte les conséquences malheureuses que peuvent entraîner l’avènement de candidats-es ayant une certaine notoriété publique, sur le respect des engagements quant à parité et la diversité.
On apprend en outre que M. Marissal recevra un salaire à titre de conseiller spécial en affaires publiques auprès de l’aile parlementaire. Aurait-on offert le même traitement à un.e candidat.e moins connu-e? Qui pourrait vraiment rivaliser le favori à l’investiture rosemontoise?
Un univers de risques
Cela dit, bien qu’il soit manifeste que Marissal ait négocié certaines conditions avant d’arrêter son choix, il faut reconnaître qu’il prend un risque.
Historiquement, Rosemont est un château fort péquiste. L’ex-employé de La Presse relève tout un défi et sera dorénavant teinté politiquement, si jamais il est défait et retourne à son ancienne profession. Il a choisi ce qui est pour l’instant un tiers parti, alors que bien des partis aux portes du pouvoir auraient pu lui faire miroiter une limousine.
Du côté de QS, on prend aussi un risque. Le parti misera sur son image et ses talents de communicateur afin de susciter l’intérêt des médias et de l’électorat pour mieux créer une vague solidaire.
Si Marissal est élu et que QS parvient à réaliser moult gains, ce pourrait dé-marginaliser QS pour toujours, d’autant plus qu’il est fort populaire auprès des jeunes. Espérons que le mouvement des plaques tectoniques de la politique québécoise pourra se poursuivre à la faveur du progressisme, car un gouvernement caquiste à venir ne ferait que nous engouffrer plus profondément dans le conservatisme social et économique.