Pardonnez-nous nos offenses. Car nous avons pêché.
Jusqu’à maintenant, tout allait relativement bien. En échange de Félix Leclerc, vous nous avez renvoyé Brassens. Pour remplacer Diane Dufresne, vous nous avez donné Renaud. On vous a donné Charlebois, vous nous avez donné Les Négresses vertes… Ce furent, somme toute, des échanges généreux entre peuples se respectant. Mais depuis quelques années, les choses se sont drôlement gâtées. Vous nous avez généreusement offert Niagara, les Bérus et NTM; nous n’avons rien trouvé de mieux à faire que de vous imposer … Céline Dion, Garou et Anthony Kavanagh.
Mille excuses: rien ne peut justifier cela.
Mais le pire était encore à venir…
Voilà que, sorti de sa cabane au Canada, notre grand nerveux national, Mathieu Bock-Côté, fait désormais entendre ses gloussements désagréables jusqu’au sommet de la tour Eiffel.
Il parle avec votre drôle d’accent citronné, mais il est bien du Québec. Croyez-le ou non.
C’est ennuyeux – «relou», comme vous dites – nous sommes bien placés pour le savoir.
Le Bock-Côté, c’est celui qui parle sur toutes les tribunes médiatiques de sa propre censure. C’est la victime occidentale qui pleure en bombardant le Moyen-Orient. C’est le martyr du racisme anti-blanc. C’est le curé de campagne guidant le peuple majoritaire «manipulé» et «culpabilisé» par l’élite «progressiste»… Le Bock-Côté, c’est le courageux guerrier qui, contre vents immigrés et marines marées, défend les démagogues, l’autoritarisme de l’État, le pouvoir de l’argent, les arbres de Noël, le christianisme, l’appellation «mademoiselle», le jambon au sirop d’érable, le patriarcat, la civilisation occidentale menacée par les pays qu’elle domine et exploite, le capitalisme…
Le Bock-Côté, c’est le Spartacus des temps modernes. C’est la «laïcité-pour-tout-le-monde-sauf-les-chrétiens»; la «souveraineté-du-Québec-ni-de-gauche-ni-de-droite-mais-pas-de-gauche»; un appui à «l’indépendance-des-nations-sauf-la-Palestine»; une critique de l’«élite-intellectuelle-dominante-dont-il-ne-fait-magiquement-pas-partie»; et un double soutien fort conséquent au «nationalisme-québécois-et-à-la-douce-hégémonie-américaine».
Le Bock-Côté, c’est la nuance au service de la hiérarchie. Vous connaissez les peuples autochtones? Les «Indiens» figurant sur les cartes postales que vous achetez en visite dans le Vieux-Québec? C’est eux qui ont inventé les raquettes qui nous permettent d’aller courir les bois l’hiver pour chasser le caribou avec le bonhomme Carnaval. Bref, ces peuples vivent dans un état d’apartheid. Ils ont été spoliés, dépossédés et sont toujours dominés politiquement et économiquement. Leur sort ressemble, en gros, à celui que vous avez réservé aux Algériens – guerre d’indépendance en moins. Notre Bock-Côté en parle avec nuances…
Après nous avoir rappelé que la situation des Autochtones est celle d’un «tiers-monde intérieur» (c’est bien la moindre des choses), il ajoute qu’il faut «se tenir à l’écart des discours culpabilisants». La catastrophe de la Conquête de l’Amérique relève donc d’une responsabilité partagée. Elle est à égalité entre colonisateurs et colonisés. Il ne faudrait surtout pas culpabiliser personne! Avec Joe Dassin, un rockeur bien de chez vous, le Bock-Côté chante : «L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai».
Lorsque l’occasion se présente, la nuance prend le bord (elle «fout le camp» comme vous dites en vieux français). La rhétorique du Bock-Côté, c’est celle du verbe ampoulé. Il vous parlera de la «dictature des minorités haineuses» (Sieg Heil!), de la «peur de se faire insulter par le lobby trans» (qui nous hante tous à un moment donné où à un autre), du «terrorisme intellectuel» (boum!), de «la haine de l’homme» (pitié, ne la coupez pas!), de la «guerre contre l’excellence scolaire» (avec ses corps déchirés et ses anciens combattants); etc.
Le Bock-Côté lit également dans les pensées. Lorsque ses adversaires ne lui donnent pas sa moulée quotidienne, c’est parce qu’ils «cachent» quelque chose. Il est tellement fort qu’il sait ce qu’eux-mêmes ne savent pas. À travers son bec, le peuple «pense», «croit», «sent»… Lorsque ce dernier est en accord avec ses gloussements, c’est qu’il démontre son merveilleux sens commun; lorsqu’il est trop généreux, c’est qu’il est sous l’emprise d’un complot de la «gauche multiculturelle».
On se demande bien pourquoi, chères cousines et chers cousins lointains, vous avez importé une telle volaille. Il n’y en a pas assez, en France, de chroniqueurs réactionnaires? Parce qu’il est tout sauf original. Il est à la pensée politique ce que Johnny Hallyday est au rock n’roll : une espèce de mauvaise copie du pire.
Le Bock-Côté, c’est Finkielkraut en moins drôle. Comme un genre de sociologue sans sociologie. Une espèce de Marine Le Pen «trempée d’in bines» (ou «badigeonnée de sauce aux haricots blancs», si vous préférez). Le Bock-Côté, c’est la petite gaule molle à de Gaulle. Zemmour moins la franchise. Soral sans les muscles et Houellebecq moins le talent. Le Bock-Côté, c’est tout ça et beaucoup moins. Comme un déluge laurentien accompagnant les lendemains d’excès de cabane à sucre.
Mettons qu’après cette exportation, on pourra se dire quitte pour les «quelques arpents de neige» de Voltaire.
Allez, on retourne au bois chasser le castor… Bonne chance!