Min SungSig est un musicien de 25 ans. Je le rencontre sur le toit du Seendosi (Nouvelle Ville en coréen) — où il travaille — un bar marginal à la mode, caché au quatrième étage d’un vieux bâtiment industriel du quartier ouvrier d’Euljiro, dans le centre de Séoul. Citoyen d’une nation obsédée par l’éducation supérieure et le prestige qu’elle confère (la Corée du Sud est le pays de l’OCDE qui compte le taux le plus élevé de diplômés de l’enseignement supérieur chez les 25-34 ans), il n’a pas tenu un mois dans le collège professionnel où il s’était inscrit après l’école secondaire. Ça ne l’intéressait pas.
Dans un pays où l’avènement de la famille nucléaire comme modèle familial le plus répandu, par opposition à la famille élargie traditionnelle, est encore récent, SungSig a la particularité d’avoir été élevé par une mère monoparentale. Malgré les importants stigmates sociaux associés à la monoparentalité en Corée, SungSig me raconte qu’il estime avoir eu une enfance plus heureuse que s’il avait vécu avec ses deux parents. «Moi ça ne m’a jamais dérangé. J’ai eu une enfance assez libre et je n’ai jamais ressenti le poids de ma situation familiale. Et puis, parce que ce sont les hommes qui dominent la famille ici, je crois que j’aurais été exposé à beaucoup plus de pression si mon père avait vécu avec nous. J’aurais probablement eu plus de mal à faire ce dont j’avais envie [au niveau scolaire et professionnel]» explique-t-il.
Il y a chez SungSig, sinon un cynisme, une sorte de légèreté vis-à-vis du monde. En témoigne le regard moqueur par lequel il réagit à certaines de mes questions. Les jeux de Séoul, me dit-il en souriant, ne lui évoquent que le vaste Parc Olympique de Songpa-gu, le quartier où il a grandi. Pyeongchang ne lui inspire rien, sauf peut-être les excès du système politique et économique dans lequel il vit, me dit-il lorsque je lui demande ce que les jeux à venir peuvent bien représenter pour un pays qui, sur papier, n’a plus rien à prouver au monde. «Les gens en veulent toujours plus, c’est tout», hasarde-t-il.
Au bout d’un moment je lui demande ce qu’il aimerait que le monde retienne de la Corée du Sud, demain lorsque les faisceaux médiatiques ne seront plus braqués sur la péninsule. Il fronce les sourcils et se met à réfléchir. «Qu’il existe des sous-cultures…», me dit-il finalement, «et que les politiciens sont pourris», ajoute celui qui a tout de même voté pour Shim Sang-Jung, cheffe du petit parti de gauche Jeong-ui-dang (Parti de la justice) aux dernières élections. Il s’arrête et tire sur sa cigarette, avant de reprendre, «c’est que, tu vois, dernièrement notre pays a été un peu porté en triomphe à travers le monde, pour sa gestion «démocratique» de la crise politique qui a mené à la destitution de la présidente précédente, mais c’est du pareil au même. Deux partis s’échangent le pouvoir depuis des années. Les politiciens appartiennent à une caste impénétrable.»