À 47 ans, Son Jeoung-Soon est poétesse, présidente d’une maison d’édition et professeure d’université. Elle me reçoit dans ses bureaux, à Ahyeon dans l’ouest de Séoul. Malgré son sourire chaleureux qui épouse les rebords de la tasse de son café froid, elle dégage un certain sérieux. Elle a vécu l’expérience des femmes qui ont eu à prouver leur valeur dans un monde d’hommes.
Embauchée à sa sortie de l’université (1989) par le Joongang Ilbo, un important quotidien national, elle est rapidement contrainte de quitter son emploi à l’issue d’une grossesse difficile. À l’époque, en Corée du Sud, celles qui retournent travailler après avoir eu des enfants sont encore peu nombreuses : «j’aurais pu conserver mon emploi, parce que le [Joongang Ilbo] avait un système de garderie. Mais j’ai quitté le travail parce que ma grossesse avait trop affecté ma santé», raconte Son.
Aujourd’hui, le taux d’emploi chez les femmes sud-coréennes ne dépasse pas les 50 %, contre 73 % chez les hommes. Contrairement à l’état, la plupart des grandes entreprises appartenant à des conglomérats industriels privés, comme Samsung ou Hyundai, offrent des avantages sociaux à leurs employé-es, par exemple des congés de maternité ou un service de garderie; ce n’est pas le cas des petites et moyennes entreprises. Ce qui n’a pas empêché Son Jeoung-Soon de réintégrer le monde du travail une fois rétablie. Après avoir fondé, en 1996, Moredream, sa maison d’édition, en 2001, après un concours de poésie qui lui permet de publier plusieurs poèmes dans Munhak Sasang (Esprit Littéraire), elle parvient à se faire un nom dans le monde littéraire.
L’impact des Jeux olympiques
Arrivée à Séoul à 18 ans pour étudier la littérature à l’université, Son n’était, selon ses propres mots, qu’une fille de la campagne, impressionnable face à l’immensité et au fourmillement de la grande ville. Les Jeux de Séoul de 1988 lui évoquent cette période de sa vie. C’était, pour elle, comme pour le pays, une période de transition. Dans la rue et sur les campus, les manifestations contre la dictature de Chun Do-Hwan faisaient encore rage, me dit celle qui les regardait de loin, «il était encore courant que des étudiants disparaissent, tués ou emprisonnés».
Puis les Jeux olympiques sont arrivés, à peu près en même temps que la transition démocratique et les yeux du monde. Un point tournant, au plan national et international. «Des gens [en Occident] qui n’avaient jamais entendu parler que de la Corée du Nord, tout d’un coup, connaissaient le nom de Séoul et apprenaient qu’il existe deux Corées. Et chez nous, ça a en quelque sorte fédéré les gens devant leurs écrans de télévision.» L’esprit rassembleur des Jeux olympiques de Séoul est incontestable selon Son. «Les jeux de Séoul, c’était plus ou moins 30 ans après la guerre de Corée. 30 ans de développement économique très rapide qui ont apporté leur lot de problèmes politiques et sociaux. Et je crois que ces jeux demeurent emblématiques des succès de ces trois décennies compliquées», dit-elle.
En 2018, ça fera aussi 30 ans que les jeux de Séoul ont eu lieu. Depuis, la Corée a non seulement continué à faire progresser son économie, en se positionnant en leader technologique mondial, mais aussi sa démocratie, me dit Son Jeoung-Soon, qui s’attend à ce que les jeux de Pyeongchang soient un jour considéré comme le symbole de 30 ans de progrès politiques, sociaux et culturels. «Encore aujourd’hui, déplore-t-elle, la Corée du Sud est surtout connue pour son dynamisme économique et, ultimement, mon espoir est que les jeux de Pyeongchang puissent être le symbole d’une Corée culturellement riche».
Le choix même de la région de Pyeongchang, qui comprend les monts Taebaek qui s’étendent jusqu’en Corée du Nord, est symbolique d’une volonté de promouvoir la paix et la communication entre les deux Corées, estime mon interlocutrice.