En tant que première cheffe d’État élue en Afrique, Ellen Johnson Sirleaf incarne un symbole d’envergure pour les femmes du continent africain. Accédant au pouvoir après 14 années de guerre civile au Libéria, elle a d’ailleurs remporté le prix Nobel de la paix en 2011 pour son rôle dans le processus de paix au Libéria, ainsi que pour sa lutte pour l’autonomisation économique et l’éducation des femmes.

Le décret présidentiel de Sirleaf sur les violences faites aux femmes représente une avancée concrète contre les violences domestiques. Près de la moitié des femmes libériennes sont encore soumises à des mutilations génitales féminines, soit la scarification, l’excision complète ou partielle du clitoris (excision) ou la suture des lèvres (infibulation).

Près de la moitié des femmes libériennes sont encore soumises à des mutilations génitales féminines, soit la scarification, l’excision complète ou partielle du clitoris (excision) ou la suture des lèvres (infibulation).

Certains doutes subsistent tout de même autour de ce décret, comme le fait qu’il s’applique seulement aux femmes de moins de 18 ans ou que les mutilations génitales féminines perdurent informellement de manière insalubre si elles sont faites à l’abri de la surveillance des autorités. Selon UNICEF, quatre femmes sur dix au Libéria supportent encore cette pratique, qui est d’ailleurs perpétrée tant dans des communautés musulmanes que chrétiennes.

En tant que féministe libérale pro-marché, l’une des contributions majeures de Sirleaf aux droits des femmes fut de construire ou rénover des centaines de marchés locaux afin d’inclure dans l’économie formelle des centaines de femmes qui marchandaient sur des réseaux traditionnels, groupe démographique qui forme la base de son électorat.

Cependant, malgré les efforts de la présidente sortante, le Libéria se classe toujours 107 sur 144 dans le rapport sur l’égalité des genres de du Forum économique mondial.

Féministe ou fémocrate?

Imaginer la présidente sortante libérienne comme une icône féministe fait sourciller. Loin de préconiser un changement du statu quo, Sirleaf est plutôt la fière représentante d’une petite élite économique libérienne. Davantage fémocrate que féministe, sa présidence aura servi les intérêts de femmes (et d’hommes!) déjà favorisés par le système économique et politique en place.

Le terme de fémocratie a été imaginée par la chercheuse nigériane Amina Mama en 1995 pour parler des premières dames africaines souvent complices d’un système patriarcal, corrompu et inégalitaire. Les fémocrates ne luttent pas contre le patriarcat lorsque le patriarcat peut leur servir.

Les fémocrates ne luttent pas contre le patriarcat lorsque le patriarcat peut leur servir.

Son passé de combattante pour la liberté de son peuple, qui inclut deux séjours en prison, fait de Sirleaf une figure respectée par la communauté internationale. Toutefois, en tant que descendante d’esclaves américains affranchis, elle fait partie d’une toute petite élite locale qui a centralisé le pouvoir au détriment du reste de la population libérienne.

Le népotisme de Sirleaf est un exemple flagrant de fémocratie. Plutôt que de promouvoir l’accession au pouvoir de femmes de son parti, elle a nommé trois de ses fils à des postes de pouvoir dans son gouvernement. Elle a également refusé d’appuyer deux projets de loi qui avaient le potentiel d’améliorer la représentativité des femmes libériennes en politique. Le premier souhaitait obliger les partis politiques à se doter de 30% de femmes dans des positions de leadership et le deuxième aurait obligé l’allocation de certains sièges parlementaires à des femmes.

Les fémocrates telles que définies par Amina Mama se distancent des mouvements féministes traditionnels. Sirleaf rejette ainsi l’étiquette de féministe qu’elle trouve trop «extrême». Pourtant, sa première campagne présidentielle était basée sur un appel au genre et sur des reproches faits aux dirigeants masculins qu’elle jugeait trop agressifs et autoritaires. Elle rejette donc ce qui a contribué à son accession au pouvoir, et n’attribue aujourd’hui son succès qu’à sa seule agentivité. En plus de renier l’apport du féminisme à son triomphe, elle a profité de ses douze années au pouvoir pour consolider la domination d’une élite économique principalement masculine au Libéria.

Représentatif de son éloignement des mouvements de solidarité féministes, elle a déjà mentionné son support envers Bill Crosby contre ses multiples accusations d’inconduite sexuelle, dans une entrevue au journal britannique The Guardian. «Ils devraient le laisser tranquille.»

Le nom de Sirleaf s’ajoute donc à la liste des fémocrates en position de pouvoir dont les actions rendent risible leur titre d’icône féministe.

Le nom de Sirleaf s’ajoute donc à la liste des fémocrates en position de pouvoir dont les actions rendent risible leur titre d’icône féministe. Elle s’y trouve aux côtés de la présidente du Myanmar Aung San Suu Kyi, un autre symbole de résistance et de paix qui bafoue tous les jours les droits des femmes et des hommes Rohingyas de la minorité musulmane du Myanmar.

La présidence de Sirleaf est emblématique d’un féminisme néolibéral individualiste qui nie les gains effectués par les mouvements féministes collectifs. Si son apport à l’interdiction des violences faites aux femmes est indéniable, sa présidence n’a pas réduit les inégalités de genre au Libéria et n’a fait que renforcer le statu quo patriarcal.